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« Mais sous le Pontificat de Clément XIV, lorsqu'il s'agit de la suppression des Jésuites, le Pape lui-même suggéra au marquis de Pombal de se servir de Pagliarini pour lui faire arriver les pièces traduites en italien, vu que M. Almada, employant à Rome pour cette traduction des personnes vénales, il ne pouvait pas trop compter sur leur travail. Le roi voyant cela dit que Pagliarini, son secrétaire de légation, avait tous les titres pour être admis dans le cabinet, après tant de preuves données de sa probité et de son attachement à la cour. Depuis ce moment le marquis de Pombal commença à s'en servir pour les pièces les plus délicates concernant Rome. Il écrivait la pièce en portugais, puis la mettait au propre; ensuite la traduisait en italien; et après qu'elle avait été revue par le marquis, il la copiait dans la forme sous laquelle elle devait être présentée au Pape. Ge travail l'occupait depuis le matin jusqu'à minuit pendant quinze jours, car il devait encore les expédier par le courrier, et écrire d'autres lettres selon les occurrences. Dans la secrétairerie d'état il doit se trouver des papiers écrits de la main de Pagliarini, et MM. Jean Gomer, d'Araujo et Jose Leitzeb en peuvent être d'excellents témoins, sans parler des autres.

« Nicolas Pagliarini, qui se trouve âgé de soixantedouze ans, dont trente ont été employés au service de la cour de Portugal, sachant que l'auguste souveraine daigne bénignement considérer les services des personnes qui ont bien mérité de la couronne; et ayant un neveu appelé Thomas qui s'applique avec succès aux études ecclésiastiques, jeune homme recommandable par sa bonne conduite et son excellent caractère, et capable de bien servir sa Majesté très fidèle, prend la liberté de le présenter au trône de sa Majesté, et de supplier de vouloir le substituer à lui-même à sa mort dans l'emploi d'agent royal, qu'il remplira même sans

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aucun émolument, se contentant des bonnes mains qui sont attachées à son office. >>

Quand le libraire Pagliarini adressait à la fille de Joseph Ier de Portugal cette singulière supplique, il était bien éloigné de penser qu'un jour ce document serait produit par l'histoire comme une preuve à la charge de ses protecteurs dans le Sacré Collège et dans les chancelleries. Après avoir été corrompu par Almada, Pagliarini s'occupait à corrompre les autres. Il avait mission d'infester l'Europe de livres obscènes ou irreligieux; il était l'ennemi déclaré du Saint-Siége et de la Compagnie de Jésus; on en fit une espèce de personnage. En feuilletant les papiers qu'il a laissés, on s'étonne de le voir en correspondance active avec des cardinaux, des ministres et plusieurs religieux de divers ordres. C'était sous leur couvert qu'il propageait les œuvres enfantées par les scribes de Pombal. Une lettre de ce Pagliarini au cardinal André Corsini va nous initier aux moyens que le libraire diplomate employait pour répandre ses pam→ phlets dans la ville de Rome.

« L'impression de la Déduction chronologique et analytique est enfin terminée, lui mande-t-il. Par ordre de l'excellentissime seigneur comte d'Oyeras, je vous ai fait expédier par Gènes un nombre d'exemplaires correspondant à celui de la première partie qui vous a été transmise. Comme ces premiers exemplaires ont été adressés à Votre Eminence par notre consul Piaggio pour être distribués dans cette cour, et en supposant que la même chose puisse s'exécuter relativement à ceux-ci, j'ai voulu enlever tout motif de scandale au Quirinal. J'ai donc formé différentes enveloppes qu'on pourra faire parvenir à leur adresse sans qu'on sache ce qu'elles contiennent. Il suffit que Votre Eminence veille au moyen de les faire arriver sûrement de Civita-Vecchia à Rome. Votre Eminence est pleinement informée de tout ce que

ces paquets contiennent. Elle comprend donc quels peuvent en être les conséquences et les préjudices pour la Cour romaine, qui, en persévérant dans son système, marche à grands pas à une ruine totale. »

La haine vouée aux Jésuites, par avidité ou par ambition, réduit un prince de l'Eglise à mettre un des plus beaux noms de l'Italie au service des pamphlétaires qui attaquent le Siége romain. Le cardinal André Corsini s'est fait le colporteur de Nicolas Pagliarini. Ce ne sera pas assez de cette honte même après sa mort Pagliarini a voulu être fatal à l'Eminence dévenue son commissionnaire, et il n'a pas détruit sa correspondance. Le cardinal André était le complice de Pombal; voici en quels termes il mendiait à la porte du ministre : « Je ne saurais, écrit-il de Rome le 12 novembre 1766, exprimer à Votre Excellence l'infinie consolation que j'éprouve des bonnes nouvelles de sa santé, qui me sont parvenues par l'entremise de M. Nicolas Pagliarini. Je voudrais vous exprimer comme je le désirerais ma constante affection envers Votre Excellence et toute sa très honorée famille, ainsi que mon sincère et intime dévouement à cette royale cour, pour laquelle j'ai toujours eu et aurai toujours le respect et la reconnaissance que je lui dois à tant de titres. Que ce soit là les véritables sentiments de mon âme, j'espère que vous en aurez été assuré par M. le commandeur d'Almada, qui sait fort bien avec quelle sollicitude nous nous sommes employés, le cardinal Neri mon oncle et moi au service de votre cour. C'est sans contredit de cette attitude de notre part que provient l'éloignement non équivoque de Sa Sainteté et du ministère pontifical pour nous et notre famille, qui' en a souffert de notables préjudices. Nous n'en tenons aucun compte pourvu que nos soins se trouvent agréés par cette cour, et que nous puissions être sûrs de sa protection. Nous y avons sacrifié tous nos intérêts; nous

sommes encore disposés à le faire dans quelque occasion que ce soit. Je vous écris avec autant de liberté, parceque cette lettre doit vous arriver par M. Pagliarini. Je sais qu'elle est en main sûre. »

Le ministre portugais avait besoin d'encourager à Rome de pareilles vénalités. André Corsini fut pensionné par la Cour de Lisbonne, et ses lettres autographes à Pagliarini font foi de cette transaction.

Cependant Pombal ne trouvait pas partout des improbités semblables. Les Pagliarini, les Corsini et les Norbert étaient rares à Rome et dans la Catholicité. Il s'irritait du silence qui se faisait autour de lui et des ovations de la charité accueillant partout les victimes de son arbitraire; il crut qu'il modifierait le sentiment universel en livrant un Jésuite au bûcher de l'inquisition. Le P. Malagrida lui était depuis longtemps odieux; ce fut à lui qu'il demanda compte de la réprobation dont les peuples le frappaient. Gabriel Malagrida était un vieillard presque octogénaire. Né en Italie le 18 septembre 1689, il avait passé dans les Missions la moitié de son existence. Rappelé en Portugal, il était, surtout depuis le tremblement de terre de Lisbonne, un objet de vénération pour les pauvres et pour les riches. Il vivait dans l'intimité de la famille des Tavora; mais cette liaison ne le constituait pas complice évident de l'attentat du 3 septembre 1758. Pour l'y mêler, il fallait d'abord établir la préméditation, connaître les coupables, et procéder les preuves à la main. Pombal ne s'arrêta point à ces indispensables préliminaires de la justice: il souhaitait que Malagrida et d'autres prêtres de l'Institut fussent les fauteurs du régicide; la sentence qu'il rendit le déclara. Le Jésuite devait périr avec ses coaccusés; un caprice ministériel le réserva pour de plus longues souffrances. Malagrida languit trois ans dans les fers; il y paraissait oublié, lorsque tout à coup Pombal se ravise. Le Père est sous

le coup d'un arrêt de mort; en vertu du jugement, il peut être exécuté d'un jour à l'autre comme instigateur d'un attentat contre la vie du Roi; Pombal dédaigne cette première sentence. Il a lui-même condamné Malagrida, il veut que l'Inquisition prononce à son tour sur ce vieillard. Il ne s'agit plus de régicide, mais de fausse prophétie et de dévote immoralité. On lui imputé d'avoir, dans la solitude de son cachot, composé deux libelles sur le Règne de l'Antechrist et la Vie de la glorieuse sainte Anne, dictée par Jésus à sa sainte Mère.

Malagrida, infirme et captif, sans force, privé d'air, de lumière, d'encre, de plumes et de papier, était supposé se repaître d'hallucinations qui, relatées dans son jugement, attestent bien plutôt un cerveau malade qu'un hérésiarque. Le manuscrit n'est pas représenté; on cite quelques fragments de ces deux ouvrages, que le capucin Norbert arrangea pour la circonstance, et on appelle le Saint-Office à flétrir le Jésuite. Un des frères du Roi était grand-inquisiteur, il refuse de juger le délire ou l'innocence; ses assesseurs l'imitent. Pombal saisit ce prétexte pour conférer la dignité de grand-inquisiteur à Paul Carvalho Mendozza, son frère, qui fut au Maranon l'ennemi le plus implacable de la Compagnie de Jésus. Un nouveau tribunal est formé. Il n'a pas l'institution pontificale, il ne peut exercer aucun pouvoir juridique; mais Pombal lui a dicté ses ordres, le tribunal s'y conforme. Le P. Malagrida est déclaré auteur d'hérésies, impudi.que, blasphémateur et déchu du sacerdoce. On le livre au bras séculier, et il périt, le 21 septembre 1761, dans un auto-da-fé solennel. « L'excès du ridicule et de l'absurdité, dit Voltaire (1), fut joint à l'excès de l'horreur. Le coupable ne fut mis en jugement que comme un prophète, et ne fut brûlé que pour avoir été fou, et non pas pour avoir été parricide. »

(1) OEuvres de Voltaire, Siècle de Louis XV, t, x1i, p. 354.

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