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lui faire expier le succès de son complot. Cet argument en action doit peser davantage dans la balance de l'histoire que toutes les théories de régicide qu'aucun fait n'a justifiés. Les Jésuites .ne tuèrent pas le personnage qui leur fit le plus de mal, et dont l'existence était à leur merci. Faut-il les, supposer assez inconséquents pour créer, contre les Rois qui les protégeaient en les aimant, un système de meurtre qu'ils n'auraient pas osé appliquer à des ennemis plus déterminés, et dont la mort n'entraînait ni périls ni désordres?

Pombal, qui régnait sur don Joseph en lui faisant peur des Jésuites, ne concevait pour sa vie aucune crainte personnelle. Il se jouait de ses victimes avec une froide cruauté, qui provoquait la vengeance; la ven→ geance ne vint pas. Le Souverain Pontife ne cessait de supplier le Roi de savoir être juste envers les innocents comme envers les coupables; Pombal répondit à ces prières par des proscriptions en masse. Le Pape, dévoué aux Jésuites, faisait toutes les concessions; le ministre se raidissait dans son opiniâtreté. Le Saint-Siége traitait avec lui de puissance à puissance. Le Pape aurait eu le courage de mourir; mais, croyant que la condescendance atténuerait des colères mal fondées, il s'efforçait de calmer l'irritation. Pombal affecta d'autant plus de violence qu'il semblait même à ses propres yeux être devenu un objet de terreur. Les craintes des autres firent que le ministre commença à se prendre au sérieux. Il menaçait, et on s'humiliait devant lui; il frappa, bien sûr d'avance que le pardon était au bout de la plus insignifiante concession ou du remords le moins compromettant.

Le Pape aimait les Jésuites; le ministre, qui, jusqu'au 1er septembre 1759, est resté irrésolu sur les mesures définitives qu'il adoptera contre eux, se décide à les faire jeter au rivage romain. A travers toutes les

douleurs qu'un caractère comme celui de Pombal peut susciter, le premier convoi arrive à l'embouchure du Tage, où l'attendait un navire de commerce, sans provisions et nullement destiné à recevoir un si grand nombre de passagers. Le pain et l'eau manquaient à dessein 1; mais les flots ne secondèrent pas le projet du ministre. Le bâtiment fut obligé de relâcher dans les ports d'Espagne; les vents contraires le poussèrent encore sur les côtes d'Italie. De partout il ne s'éleva qu'un cri de généreuse pitié en faveur de ces proscrits, bénissant la main, qui les frappait. La charité fit renaître l'abondance sur le vaisseau; elle rendit aux exilés l'énergie dont ils avaient besoin. Le 24 octobre 1759, ils débarquèrent à Civita-Vecchia au nombre de cent trente-trois. Ils avaient été reçus avec respect dans toutes les villes où le navire fut contraint de faire relâche ; à Civita-Vecchia on les salua avec admiration. Les magistrats se firent honneur d'entourer de bons soins ces prêtres qui priaient encore pour leurs persécuteurs. Les corps religieux leur offrirent une hospitalité toute fraternelle ; mais la réception des Dominicains eut quelque chose de plus cordial encore. On les proclamait les émules de la Compagnie de Jésus. Leur rivalité s'était montrée dans les tournois théologiques et dans les Missions, rivalité que la conscience et le talent inspiraient plutôt que la jalousie. Il y eut tant d'unanimité dans l'accueil fait à ces premiers exilés annonçant de nouvelles tempêtes, que les habitants de Civita-Vecchia consacrèrent sur le marbre, dans l'église des Frères-Prêcheurs, le passage des Jésuites. Les Dominicains eux-mêmes érigèrent un monument pour rappeler cette alliance contractée à la veille des désastres. D'autres navires, chargés de Pères de la Compagnie, partirent à différentes époques pour les états ecclésiastiques. Le Pape était leur défenseur; Pombal, en encombrant la ville de Rome de cette

multitude de bannis, espérait le faire repentir de sa justice et de sa pitié. (1)

Tandis que l'exil ou la captivité s'appesantissait sur les Profès de l'Ordre, le cardinal Saldanha s'arrogeait le pouvoir de dispenser de leurs vœux les jeunes Jésuites. L'éducation publique était compromise dans ses œuvres vives; le ministre et le patriarche cherchèrent à provoquer des défections pour ne pas se trouver pris au dépourvu. Ils en appelèrent aux caresses des familles, aux menaces de l'autorité, aux séductions de la patrie et de la fortune. Quelques-uns de ces novices se laissèrent gagner; mais alors ces apostasies devinrent l'objet de l'animadversion universelle. Le peuple et les soldats de garde autour des maisons et des colléges accueillirent avec des huées ces hommes que l'imminence du danger effrayait, et qui ouvraient leur carrière par une lâcheté. Le plus grand nombre résista aux flatteries et à ·

(1) L'inscription des Frères-Prêcheurs était ainsi conçue :

D. O. M.

Lusitanis Patribus Societatis Jesu,

ob gravissimas apud Regem calumnias,
post probrosas notas,

multiplices cruciatus,

bonorum publicationem, ad Italiæ oram amandatis ;

terra marique

integritate, patientia, constantia,
probatissimis,

in hac Sancti Dominici æde exceptis,

anno M. DCC. LIX,

Patres Prædicatores

christianæ fidei incremento et tutelæ

ex instituto intenti,

ipsique Societati Jesu

ex majorum suorum decretis

exemplisque devinctissimi,

ponendum curarunt.

l'intimidation. Il y eut à Evora, à Bragance, à Coïmbre surtout, des luttes où la franchise de la jeunesse l'emporta sur la prudence de l'âge mûr. Un parent de Pombal, le P. Joseph de Carvalho, se mit à la tête du mouvement généreux qui entraînait les Jésuites non encore Profès à suivre le sort de leurs aînés dans l'Institut. Ils soutinrent le choc avec tant de courage, que les agents de Saldanha, vaincus, les reléguèrent dans les cachots. Ce qui s'accomplissait au sein de la métropole se faisait simultanément sur tous les points de mission. Chez les Cafres et au Brésil, au Malabar, sur la côte de Salsette, partout enfin où les Jésuites avaient fertilisé le désert, on les enleva à leurs travaux civilisateurs. On les réunit à Goa, où les cupidités de Pombal commençaient la spoliation du tombeau de saint François-Xavier ; puis, après les avoir entassés sur quelques galiotes, on les laissa errer sur les mers.

L'Ordre de Jésus n'existait plus en Portugal; le ministre poursuivait son œuvre : il cherchait par d'incessantes attaques contre le Saint-Siége à réaliser sa chimère d'Église nationale. Le schisme était dans ses espérances; en étudiant les doctrines de Fra Paolo et de Giannone, il essaya de le faire passer dans les mœurs du peuple. Là, il rencontra des obstacles devant lesquels son invincible ténacité se vit contrainte de reculer. Pombal avait des magistrats complaisants, des évêques dévoués jusqu'à la bassesse, qui lui arrangeaient un culte, qui traçaient au gré de ses désirs les limites du spirituel et du temporel; mais ce n'est pas avec des légistes ou quelques prêtres courtisans que l'on change une religion. Le peuple était catholique, il répudiait avec tant d'énergie ce qui portait atteinte à sa vieille foi, que le ministre s'aperçut enfin de l'inutilité de ses tentatives. Elles lui servaient de contrepoids à Rome, il persévéra dans ses menaces. Rome, qui, en sa faveur,

poussait la condescendance jusqu'à la faiblesse, recevait dans les États pontificaux les Jésuites expulsés de Portugal. Sur le littoral de la Méditerranée comme dans les cités maritimes de l'Espagne, les bannis avaient été salués en martyrs. Cet hommage inquiétait ses orgueilleuses susceptibilités; les princes et les catholiques avaient alors de Pombal l'opinion qu'un écrivain protestant devait exprimer plus tard. « Les conséquences de cette destruction, soit en bien, soit en mal, dit Scholl (1), nous restent ici étrangères. Simple historien, nous allons rapporter les faits en tant qu'ils concernent le Portugal. Il est vrai que ces faits ont été enveloppés dans les ténèbres, et que plus d'une fois il est impossible de · pénétrer jusqu'à la vérité. Néanmoins, malgré les ombres qu'on a épaissies autour d'elle, une chose est claire : c'est que les reproches fondés que Carvalho a pu faire à ces Pères se réduisent à bien peu de chose. Le ministre s'est plus souvent servi des armes de la mauvaise foi, de la calomnie et de l'exagération que de celles de la loyauté, »

Pombal semait l'or et les promesses pour multiplier ses complices. Il en rencontra dans le royaume très fidèle et même dans les États pontificaux. Le commandeur d'Almada Mendozza, ministre de Lisbonne à la cour pontificale, était devenu comme tous les diplomates ambitieux un ardent ennemi des Jésuites. Ce fut lui qui se chargea d'imprimer contre eux les pamphlets que produisait l'officine de Pombal. Un libraire, du nom de Nicolas Pagliarini, vivait alors à Rome. Semblable à ces aventuriers d'affaires qui vendent le vice, l'erreur ou le mensonge comme une marchandise, et qui débiteraient au public leur condamnation à mort pour achalander leur boutique, Pagliarini était besogneux, avide et in

(4) Cours d'histoire des États européens, t. xxxix, p. 50.

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