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possible de lever sur les riches (1). Qu'on n'aille point cependant le prendre pour un niveleur. Il savait compter avec les nécessités de son époque; il savait faire la part des fatalités naturelles. Il ne confondait point l'égalité civile et politique avec l'égalité des conditions, et la simple équité avec une dangereuse chimère. Il comprenait même combien il serait difficile d'établir jamais le règne de la véritable égalité, lorsqu'il écrivait à Mme de Graffigny : « Liberté!... je le dis en soupirant, les hommes ne sont peut-être pas dignes de toi. - Égalité! ils te désireraient, mais ils ne peuvent t'atteindre (2).

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II.

· DE LA SOUVERAINETÉ, D'APRÈS TURGOT.

« Votre

La véritable souveraineté réside dans la raison et la justice. Telle est l'idée maîtresse qui domine l'ensemble des opinions politiques de Turgot. « La justice seule, fait-il dire au roi, peut maintenir l'équilibre entre tous les droits et tous les intérêts (3). » Majesté, lui dit-il lui-même, peut se regarder comme un législateur absolu, tant qu'elle ne s'écartera pas de la justice ('). » Et ailleurs : « Votre Majesté règne par son pouvoir (c'est-à-dire en fait) sur le moment présent. Elle ne peut régner sur l'avenir (régner réellement, être reconnue souveraine en droit) que par la raison qui aura présidé à ses lois, par la justice qui en sera la base (5). » Turgot considère donc tout pouvoir équitable et raisonnable comme un pouvoir légitime.

On comprend que, dans ce système, Turgot soit assez indifférent à la forme du gouvernement. La souveraineté appartient à ceux qui la possèdent, pourvu qu'ils en usent bien. « On peut être opprimé par un seul tyran; mais on peut l'être tout autant et aussi injustement par une multitude ("). » Que faut-il pour bien gouverner? « Il ne faut que bien connaître et bien peser les droits et les intérêts des hommes. Ces droits et ces intérêts ne sont pas fort multipliés, de sorte que la science qui les embrasse, appuyée sur des principes de justice que chacun porte dans son cœur, et sur la conviction intime de nos propres sensations, a un degré de certitude très grand, et néanmoins n'a que peu d'étendue. Elle n'exige pas une fort longue étude, et ne passe les forces d'aucun homme de bien (7). »

Turgot trouve la monarchie établie en fait; il l'admet comme un fait, et s'efforce seulement de tourner son action au profit des améliorations sociales qu'il a rêvées. Il ne distingue point, comme

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Montesquieu, entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Pourvu qu'ils soient réglés par le droit, il les accorde tous sans distinction à la royauté. « Aucune de vos cours, dit-il à Louis XVI, n'oserait contester à Votre Majesté un pouvoir législatif aussi étendu que celui des princes qui ont donné ou laissé lieu à ces abus que l'on déplore. La plus grande de toutes les puissances est une conscience pure et éclairée dans ceux à qui la Providence a remis l'autorité. C'est le désir prouvé de faire le bien de tous. Votre Majesté, tant qu'elle ne s'écartera pas de la justice, peut donc se regarder comme un législateur absolu, et compter sur sa bonne nation pour l'exécution de ses ordres (1). »

Cependant ce législateur absolu n'a de raison d'être que s'il se sert de son autorité pour le bien général. Il n'est pas, il ne peut pas, il ne doit pas être « l'ennemi commun de la société ». Son gouvernement doit être « paternel », et fondé « sur une constitution nationale ». << Il est élevé au-dessus de tous, pour assurer le bonheur de tous. » << Il est le dépositaire de la puissance publique pour maintenir les propriétés de chacun dans l'intérieur par la justice, et les défendre contre les attaques extérieures par la force militaire (*). » Turgot reconnaît donc une constitution nationale, une puissance publique dont le roi n'est que le dépositaire. Avec le temps ses idées sur ce point deviennent plus précises encore. Dans sa lettre au docteur Price, il reproche aux États américains confédérés d'avoir maladroitement copié l'Angleterre, « au lieu de ramener toutes les autorités à une seule, celle de la nation (3). » Turgot, s'il eût vécu, eût donc pris rang parmi les constitutionnels purs à l'Assemblée nationale.

On peut s'étonner cependant qu'il n'ait pas éprouvé le besoin de définir plus exactement ses opinions sur la souveraineté nationale, et qu'il n'ait pas compris plus clairement la nécessité de limiter le pouvoir central par le contrôle d'une assemblée représentative et législative. C'est qu'il se défiait de toute assemblée, quelle qu'elle fût. C'est qu'il croyait à l'influence irrésistible de l'éducation, de la raison, de l'opinion publique éclairée par l'une et par l'autre (*). A quoi bon des assemblées délibérantes si tout le monde pense juste et veut le bien? Turgot ne comptait pas assez avec les passions humaines, avec les calculs de l'égoïsme, avec les résistances de la routine. Il se laissait trop aller aux généreuses illusions de son siècle. Son espoir n'était qu'une utopie, lorsque, soumettant à Louis XVI son plan d'éducation nationale, il concluait en déclarant qu'« au bout de quelques années..., [le roi] aurait un peuple neuf, et le premier des peuples » ; qu'« au lieu de la corruption, de la lâcheté, de l'intrigue

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 504.
(2) Id., II, 270: Rép. à Mirom.
(3) Id., II, 807: Lett. au Dr Price.

() Voir sa Lettre à Mme de Graffigny, et principalement un texte très précis à ce sujet, p. 793, II. Euv. Ed. Daire.

et de l'avidité... [que S. M. avait] trouvées partout, elle trouverait partout la vertu, le désintéressement, l'honneur et le zèle (1). » Les Français de son temps n'étaient pas si mauvais qu'il voulait bien le dire; il n'était pas non plus si facile qu'il paraissait le croire de les rendre parfaits.

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Il n'entre pas dans notre plan d'étudier dans tous ses détails l'organisation administrative que Turgot voulait proposer au roi et qu'il a exposée tout au long dans son Mémoire sur les municipalités (2). Il nous suffira d'en indiquer les traits essentiels. Il comprenait très bien que le vice principal de l'ancien régime était l'incohérence et l'arbitraire de pouvoirs publics mal définis, l'absence d'ordre et de règle dans l'administration. C'est dans ce sens qu'il disait à Louis XVI: « La cause du mal, Sire, vient de ce que votre nation n'a point de constitution. C'est une société composée de différents ordres mal unis et d'un peuple dont les membres n'ont entre eux que très peu de liens sociaux; où par conséquent chacun n'est guère occupé que de son intérêt particulier exclusif, parce que personne ne s'embarrasse de remplir ses devoirs ni de connaître ses rapports avec les autres; de sorte que, dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d'entreprises que la raison et les lumières réciproques n'ont jamais réglées, Votre Majesté est obligée de tout décider par elle-même ou par ses mandataires. On attend vos ordres spéciaux pour contribuer au bien public, pour respecter les droits d'autrui et quelquefois même pour user des siens propres. Vous êtes forcé de statuer sur tout, et le plus souvent par des volontés particulières; tandis que vous pourriez gouverner comme Dieu, par des lois générales, si les parties intégrantes de votre empire avaient une organisation régulière et des rapports connus (3).

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Que proposait-il pour mettre fin à l'anarchie? Des assemblées consultatives de paroisse et de cité, de district, de province, qu'il

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 519: Mém. s. les municipalités.

Au reste, Turgot ne pensait nullement que son époque valût moins que les autres; au contraire. Sans être ébranlé, dit Condorcet, par les déclamations des adorateurs de tout ce qui est ancien, il jugeait de son siècle, et le croyait superieur à ceux qui l'ont précedé, en raison, en lumières, et mème en vertu.»«Nos gens corrompus d'aujourd'hui, disait-il souvent, auraient été des capucins il y a cent ans. Cond., Vie de T., 277.

(2) Ce mémoire était l'objet des méditations de Turgot, longtemps avant qu'il n'entrât au ministère. (Cond, Vie de T., 51.) Il fut probablement commencé vers le milieu de l'année 1775; il était déjà avancé en mai; en septem

bre, il était entièrement terminé. (Dup. Nem. Mém., II, 52.) La première idee de Turgo' avait éte d'inaugurer les réformes détaillées dans ce mémoire le 1er octobre 1775, à l'époque du renouvellement de l'année financière; mais le temps lui parut trop court pour entamer à cette date l'exécution de ses plans; il l'ajourna à l'année 1776. (Dup. Nem., Mém., II, 550, note.) Il tomba malade avant d'avoir pu soumettre son mémoire à Louis XVI. Celui-ci ne le connut que plus tard; il écrivit en marge quelques annotations qui ne font pas précisément honneur à son intelligence. (Soulavie., Mém. du règne de Louis XVI, III, 147 et suiv. H. Mart., Hist. de Fr., XVI, 380.)

(3) Eur. de T. Ed. Daire, II, 504 : Mém. s. les municip.

appelait des municipalités, et enfin une municipalité centrale ou nationale.

S1er.- Municipalités de paroisse.

La municipalité de paroisse, dit Turgot, s'occupera: «1o de répartir les impositions; 2° d'aviser aux ouvrages publics et aux chemins vicinaux spécialement nécessaires au village; 3° de veiller à la police des pauvres et à leur soulagement; 4° de savoir quelles sont les relations de la communauté avec les autres villages voisins et avec les grands travaux publics de l'arrondissement, et de porter à cet égard le vœu de la paroisse à l'autorité supérieure qui peut en décider (1) ». Elle se composera de tous les propriétaires de la paroisse. Chaque citoyen ayant un revenu annuel de 600 fr. aura droit à une voix dans l'assemblée. Chaque citoyen ayant un revenu supérieur à 600 fr., jouira d'autant de voix qu'il aura de fois 600 fr. de revenu. Les citoyens ayant un revenu inférieur à 600 fr. n'auront droit qu'à une part de voix proportionnelle à leur revenu; ils se réuniront entre eux pour choisir des députés qui auront seuls droit d'entrée à l'assemblée. Dans une paroisse de cent familles, on peut calculer que l'assemblée se composera d'environ cinq ou six personnes. Enfin, l'assemblée élira, à la pluralité des voix, un président, un greffier et un député qui la représentera à l'assemblée d'arrondissement.

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La municipalité urbaine sera pour les villes ce que l'assemblée de paroisse est pour les campagnes. Elle ressemblera à cette dernière, avec cette différence que chaque propriétaire citadin devra justifier d'un revenu de 15,000 fr., pour avoir droit à une voix. Dans les petites villes, l'assemblée urbaine pourra administrer directement les affaires locales; dans les grandes villes, elle nommera des officiers municipaux chargés d'administrer en son nom; dans les très grandes villes, << où il peut être utile que le gouvernement influe davantage sur le choix des officiers publics, et surtout dans celles où les charges municipales donnent la noblesse, les électeurs présenteront plusieurs sujets entre lesquels le roi choisira (3)». La police y sera confiée à des magistrats désignés aussi par le roi.

$3. Municipalités d'arrondissement.

:

La municipalité d'arrondissement se composera des députés des villes et des paroisses, à raison de un député par ville ou paroisse ordinaire; deux députés par capitale de province; Paris seul aura quatre députés. Le rang de chaque député sera réglé par le

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 509: Mém. sur les municipalités.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 531: Mém. s. les municip.

nombre de voix au nom desquelles il parlera. La municipalité d'arrondissement élira un président, un greffier et un député à l'assemblée provinciale; elle s'occupera de l'impôt, des travaux publics et des secours de charité concernant l'arrondissement.

S4.- Municipalités provinciales.

Elle se composera des députés des municipalités d'arrondissement. On peut calculer que leur nombre sera de trente environ. Elle aura, pour les affaires de la province les mêmes attributions que l'assemblée d'arrondissement pour celles de l'arrondissement. Elle choisira aussi son président, son greffier; elle élira deux députés à la municipalité nationale, l'un ayant voix effective, l'autre suppléant celui-là et, à moins qu'il ne le remplace, devant demeurer simple spectateur des délibérations.

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Elle se composera des délégués des assemblées provinciales. Elle s'occupera des travaux publics et des secours de charité d'intérêt général et de la répartition de l'impôt entre les provinces.

Telle est la hiérarchie administrative qui dans la pensée de Turgot devait remplacer l'ancienne administration, et réduire de beaucoup ou même annihiler entièrement le rôle des intendants et des subdélégués. C'était un essai, très incomplet il est vrai, de self governement que la royauté eût tenté en France, sous sa direction. Mais qui ne voit le vice capital de cette organisation? Turgot n'admettait dans ses municipalités que les propriétaires seuls. « Il semblerait au premier coup d'œil, avoue-t-il lui-même, que tout chef de famille devrait avoir sa voix, au moins pour choisir ceux qui auraient à se mêler des affaires de la communauté (1). » A cette objection, dont il sent très bien la gravité, il répond : « Les assemblées trop nombreuses sont sujettes à beaucoup d'inconvénients, de tumulte, de querelles....; il est difficile que la raison s'y fasse entendre..., la pauvreté des votants les rendrait faciles à corrompre...>> Ce ne sont là que des raisons de détail, de pur intérêt pratique, absolument étrangères aux principes, comme disait Turgot. Voici la véritable raison : « On voit, en y regardant mieux, qu'il n'y a de gens qui soient réellement d'une paroisse ou d'un village que ceux qui possèdent une partie de son territoire. Les autres sont des journaliers, qui n'ont qu'un domicile de passage... Ils sont au service. de la nation en général. Ils doivent jouir partout de la douceur des lois, de la protection... de la sûreté qu'elle procure; mais ils n'appartiennent à aucun lieu. En vain voudrait-on les attacher à l'un plutôt

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 510 : Mém. sur les municipalités.

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