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de procès-verbal. « Je me borne, Sire, à vous rappeler ces trois paroles (1):

<< Point de banqueroute;

» Point d'augmentation d'impôts;

» Point d'emprunts. »

Mais pour rester fidèle à ce triple engagement, il n'y a qu'une voie possible, difficile et périlleuse, il est vrai, celle de « l'économie ». Dans sa lumineuse perspicacité, Turgot prévoit déjà que le plus grand danger viendra du roi lui-même et de sa bonté. « Il faut, Sire, vous armer contre votre bonté de votre bonté même; considérer d'où vous vient cet argent que vous pouvez distribuer à vos courtisans, et comparer la misère de ceux auxquels on est quelquefois obligé de l'arracher par les exécutions les plus rigoureuses, à la situation des personnes qui ont le plus de titres pour obtenir vos libéralités. >>

Ici se manifeste la préoccupation constante de Turgot: l'intérêt des malheureux, l'amélioration du sort du peuple. D'autre part, il montre au roi « les manoeuvres et les cris des hommes de toute sorte intéressés à soutenir les abus; car il n'en est point dont quelqu'un ne vive. » Était-il possible de mieux pénétrer l'avenir réservé à ses courageux efforts? Dès le premier jour, dans cette première lettre au roi qui est le premier acte de son ministère, il connaît, il désigne cette « ligue pour les abus » qui devait un jour le

renverser.

Mais comment analyser la conclusion de cette admirable lettre? Comment peindre l'élévation mélancolique de la pensée, l'inébranlable et sereine conviction, le désintéressement, la pénétration de celui qui l'écrit? Après avoir une dernière fois réclamé instamment l'économie et invoqué la fermeté du roi, « voilà, ajoute-t-il, les points que Votre Majesté a bien voulu me permettre de lui rappeler. Elle n'oubliera pas qu'en recevant la place de contrôleur général, j'ai senti tout le prix de la confiance dont elle m'honore; j'ai senti qu'elle me confiait le bonheur de ses peuples, et, s'il m'est permis de le dire, le soin de faire aimer sa personne et son autorité; mais en même temps j'ai senti tout le danger auquel je m'exposais. J'ai prévu que je serais seul à combattre contre les abus de tout genre, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus; contre la foule des préjugés qui s'opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains des gens intéressés à éterniser le désordre. J'aurai à lutter même contre la bonté naturelle, contre la générosité de Votre Majesté et des personnes qui lui sont le plus chères (*). Je

(1) Si Louis XVI avait prononcé lui-même ces trois paroles, Turgot aurait eu grand soin de le lui rappeler: nouvelle preuve qu'elles

ont bien été dites par Turgot, quoi qu'en pense Montyon.

(2) Il semble prévoir l'inimitié de la reine.

serai craint, haï même de la plus grande partie de la cour, de tout ce qui sollicite des grâces. On m'imputera tous les refus; on me peindra comme un homme dur, parce que j'aurai représenté à Votre Majesté qu'elle ne doit pas enrichir même ceux qu'elle aime, aux dépens de la subsistance de son peuple. Ce peuple, auquel je me serai sacrifié, est si aisé à tromper, que peut-être j'encourrai sa haine (1) par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié (2), et peut-être avec assez de vraisemblance pour m'ôter la confiance de Votre Majesté. Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m'étais jamais attendu. Je suis prêt à la remettre à Votre Majesté, dès que je ne pourrai plus espérer de lui être utile; mais son estime, la réputation d'intégrité, la bienveillance publique qui ont déterminé son choix en ma faveur, me sont plus chères que la vie, et je cours le risque de les perdre même en ne méritant à mes yeux aucun reproche. »

Malgré cette clairvoyance, Turgot s'efforçait d'avoir confiance. Il savait qu'il aurait le roi pour lui. Le roi! A ce nom, tous les vieux sentiments monarchiques de sa race se réveillaient en lui. Pourquoi Louis XVI ne serait-il pas ce prince réformateur qu'il avait rêvé? Pour accomplir ses plans, en dépit de toutes les résistances, une seule chose semblait nécessaire : la volonté du roi. Or, comment douter qu'il ne l'eût conquise tout entière en sa faveur, après l'entrevue qui venait d'avoir lieu? Il disait en terminant : « La bonté attendrissante avec laquelle Votre Majesté a daigné presser mes mains dans les siennes, comme pour accepter mon dévouement, ne s'effacera jamais de mon souvenir. Elle soutiendra mon courage, elle a pour jamais lié mon bonheur personnel avec les intérêts, la gloire et le bonheur de Votre Majesté. » En même temps il écrivait à un ami: « Il est bien encourageant d'avoir à servir un roi qui est véritablement un honnête homme et voulant le bien (3). »

Le 26 août, Louis XVI nomma Turgot ministre d'État. Sans cette formalité, le contrôleur général n'étant point secrétaire d'État n'aurait pu assister au Conseil (").

Déjà il était entré en fonctions. Déjà ses amis accouraient, voulaient le servir et travailler suivant leurs forces ou leurs talents aux grandes choses qu'il méditait. Un adversaire, Georgel, rend compte en ces termes de leur empressement. « Les philosophes économistes vantaient Turgot comme un homme d'un génie supérieur; leurs vœux furent comblés quand ils le virent à la tête des finances; ils l'entourèrent et se dévouèrent entièrement à lui:

(1) Guerre des farines. V. liv. II.
(2) Lettres interceptées. V. liv. III, fin.

(3) Dup. Nem., Mém., I, 147.
() Merc. Fr., sept., 1774, p. 247.

son cabinet et ses bureaux se transformèrent en ateliers où les économistes forgeaient leurs systèmes et leurs spéculations (1). » Nous verrons plus tard jusqu'à quel point cette dernière assertion de Georgel est justifiée par les faits.

Dupont de Nemours revint exprès du fond de la Pologne où il avait accepté un poste de confiance auprès du roi Stanislas Poniatowski (2). Il fut le secrétaire assidu, le confident intime du maître. Nommé d'abord inspecteur général du commerce par simple commission, le 20 septembre 1774, il fut régulièrement confirmé dans ces fonctions le 16 décembre 1775 « pour examiner les mémoires qui lui seraient remis et en rendre compte au contrôleur général des finances (3). »

Morellet prodigua à son ami ses encouragements, ses conseils, ses observations écrites sur les projets d'édits; il se fit l'interprète des gens qui adressaient des demandes au ministre; il se chargea de dépouiller la correspondance et de recevoir les visites (*). Il n'eut aucun titre, mais en récompense de ses importants travaux et des services nombreux qu'il avait rendus à la science économique et à l'administration, notamment par la publication de son mémoire sur la Compagnie des Indes, Turgot lui fit décerner par arrêt du Conseil une gratification perpétuelle de deux mille livres sur la caisse du commerce (*).

Il répara en même temps, dans la mesure de ses forces, l'injustice faite au malheureux abbé Sigorgne, exilé depuis 1748. Il lui fit obtenir une abbaye (6).

De telles largesses étaient bien modestes: on en murmura pourtant. << On dit que l'argent ne vous coûte rien quand il s'agit d'obliger vos amis, lui écrivait Condorcet. Je serais au désespoir de donner à ces propos ridicules quelque apparence de fondement. Je vous prie donc de ne rien faire pour moi dans ce moment: quoique peu riche, je puis attendre quelque temps. Laissez-moi faire la place de M. de Forbonnais (inspecteur général des finances); chargez-moi de m'occuper du travail important de la réduction des mesures, et attendez que mon travail ait mérité quelque récompense (7). »

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(2) Il était secrétaire du conseil royal de l'instruction publique et gouverneur du prince Adam Czartoryski, neveu du roi. (L. de Lavergne, Journ. des Econom., mars 1870; Notice hist. sur la vie et les ouvrages de Dup. de Nem. lue le 28 juillet 1820 à l'Ac. des Insc. et Bell.-Lett., VIII, 26. 1827.) Grimm accuse Dupont de Nemours d'avoir reçu de Turgot une pension de 1,200 fr., pour être revenu de Pologne. (Grimm, Corr., XI, 36.) En tout cas la pension n'etait pas excessive.

(3) Rec. d'A. 1. fr., XXIII, 289.
(4) Morell., Mém., I, 225.

(5) Id., I, 173.

(6) Id., I, 14.

(7) Coud., Euv. Ed. Arago, I, 251.

Condorcet, que cette lettre honore, fut en effet nommé inspecteur général des monnaies.

Mais il ne suffisait pas que le nouveau ministre eût auprès de lui quelques conseillers dévoués. Il fallait encore que dans le nombreux personnel chargé de préparer ou d'exécuter ses ordres, il trouvât des auxiliaires honnêtes et capables, en même temps que fermement décidés à le seconder.

CHAPITRE III

L'administration des finances et les services qui en dépendaient en 1774. Épuration du personnel.

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On sait combien étaient vastes les attributions du contrôleur général à la fin du XVIIe siècle. Comme la question financière, qui se mêle à toutes les autres, avait pris peu à peu une importance capitale, il était devenu une sorte de premier ministre. Rien de sérieux ne pouvait se faire sans lui. Il réunissait entre ses mains presque toute l'administration civile du royaume : impôt, budget, dépenses et dettes de l'État, douanes et octrois, enregistrement, hypothèques et tout ce qui de près ou de loin concernait les finances; domaines de la couronne; eaux et forêts; service des vivres de la guerre, fabrication des poudres et salpêtres et autres détails concernant l'organisation matérielle de l'armée; ponts et chaussées, canaux et navigation intérieure; industrie; postes; ports de commerce et commerce intérieur; hôpitaux, assistance publique, etc. Toutes les affaires de gouvernement intérieur que le contrôleur général ne réglait pas directement n'en étaient pas moins soumises par le fait à son examen. Les pensions, dons, brevets, que les secrétaires d'État avaient le droit d'accorder dans leurs départements respectifs devaient être inscrits au budget, et passaient ainsi forcément sous ses yeux. Les dépenses de la guerre et de la marine ne pouvaient être arrêtées sans lui, et il avait ainsi une influence prépondérante dans les affaires étrangères et les questions de paix ou de guerre.

Un ministre particulier, Bertin, avait, il est vrai, la direction de l'agriculture, des mines, des archives, des loteries et de quelques autres services peu importants. Mais c'était là une diminution médiocre des attributions du contrôleur général, qui restait toujours le maître d'intervenir dans le département du secrétaire d'État Bertin pour le règlement des détails financiers. L'administration proprement dite des provinces échappait aussi en apparence au contrôleur général. Elle était partagée entre les secrétaires d'État de la maison. du roi et de la guerre. Mais, comme il nommait directement les intendants, sauf ceux des provinces frontières, et qu'il correspondait

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