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trouvait bien par-ci par-là, dans les tableaux, quelques traits « qu'une décence, non pas bégueule, mais philosophique, et que le goût lui-même pouvaient blâmer»; il n'y voyait qu'un motif de plus pour placer le nouveau poëme à côté de celui de Voltaire, de cet ouvrage, disait Ginguené, « qu'il y a maintenant une véritable tartufferie à ne pas citer au nombre des chefs-d'œuvre de notre langue. » Le succès de la Guerre des Dieux fut tel, que trois éditions authentiques parurent la même année, sans parler de deux ou trois contrefaçons. Les petits vers anodins, comme du temps du Mercure, les madrigaux philosophiques pleuvaient sur Parny pour le féliciter. Quant à la rumeur soulevée chez les rigoristes, Ginguené n'y voyait que des cris suscités, soufflés aux simples par l'adroit fanatisme et par le royalisme rusé. C'est le même critique qui allait bientôt se montrer si sévère dans cette même Decade contre le Génie du Christianisme de son compatriote Chateaubriand. Ainsi d'honnêtes esprits, de recommandables écrivains ont leurs impulsions acquises, des directions presque irrésistibles, et se laissent emporter sans scrupule au courant d'une opinion, sous prétexte qu'elle est la leur (1).

L'année même où parut la Guerre des Dieux, et qui fut celle où s'exhalait le dernier soupir du Directoire, vit paraître une série de publications de même nature qui montrent à quel point la littérature alors n'avait

(1) Voir encore, si l'on est curieux de suivre l'engagement, la Décade, an vui, troisième trimestre, p. 554, et quatrième trimestre, p. 47.

pas moins besoin que la société d'un 18 brumaire, je veux seulement dire de quelque chose d'assainissant et de réparateur. C'est à cette date de l'an VII que naquirent aussi les Quatre Métamorphoses, de Lemercier; les Priapeia de l'abbé Noël n'avaient précédé que de quelques mois (an VI); je mentionne à peine le Poëte de Desforges, et je passe sous silence le De Sade; mais une simple liste des ouvrages publiés en cette fin d'orgie est parlante, et déclare assez le progrès d'une contagion dont les hommes honorables n'avaient plus toujours la force de se préserver. Parny lui-même autrefois, dans un joli dialogue qu'il avait trop oublié, et qui eût été ici bien plus à propos, avait pu dire :

Quel est ton nom, bizarre enfant?

L'Amour.

Toi l'Amour? · Oui, c'est ainsi qu'on m'appelle.
Qui t'a donné cette forme nouvelle?

Le temps, la mode, et la ville et la Cour (1). –
Quel front cynique! et quel air d'impudence!

-

Mais qu'aperçois-je? un masque dans tes mains,
Des pieds de chèvre et le poil d'un satyre?
Quel changement! .

J'ai quelquefois pensé que, si le Directoire avait pu se prolonger un peu honnêtement, il serait sorti de là une littérature plus originale, plus neuve que la plupart des soi-disant classiques du moment n'étaient à même de le soupçonner. Selon Lemercier, qui s'en rendait

(1) Ce mot la Cour indique une date antérieure; le dialogue est en effet de 1788; mais qu'il s'appliquait bien mieux encore dix ans plus tard!

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mieux compte, il s'agissait, par certains essais, de repoétiser notre langue, devenue trop timide (1). Mais ce qui aurait toujours nui à la valeur de ces tentatives, c'est que l'époque était trop relâchée, trop gâtée pour rien engendrer de complet et qui fit ensemble. Je le répète, sur ce point littéraire aussi, il fallait un 18 brumaire. Bonaparte n'eut garde de s'y tromper : il étendit la main à la littérature comme aux autres vices de la société, et ne tarda pas à y ramener la décence, la régularité, et par malheur aussi le mot d'ordre qu'il imposait en toute chose. Le début du Consulat s'ouvre dans une assez belle proportion encore d'ordre et de liberté, et on sait quelles œuvres brillantes ont honoré cette date glorieuse. L'Empire y coupa court, et pécha par excès de police littéraire, comme le Directoire avait péché par le contraire. Quant à Parny en particulier, Bonaparte le considéra toujours un peu comme un des vaincus du 18 brumaire; il ne lui pardonna guère plus qu'aux idéologues. Pour lui, c'était un idéologue surpris un jour en gaieté et qui avait fait esclandre.

Le succès de la Guerre des Dieux ne fit que mettre Parny en verve, et il continua sur le même ton dans divers chants restés inédits et dans d'autres petits poëmes qui parurent sous le titre de Portefeuille volė, en 1805. Pour ne pas avoir l'air d'éluder le jugement littéraire, même en telle matière où la question morale et sociale domine tout, nous dirons une bonne fois que n'avoir lu la Bible, comme le fit Parny, que pour en

(1) Décade de l'an vii, troisième trimestre, p. 100.

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tirer des parodies plus ou moins indécentes, c'était se juger soi-même et (religion à part) donner, comme poëte, la mesure de son élévation, la limite de son essor. Après cela, nous ne ferons aucune difficulté de reconnaître qu'il développe en cette carrière nouvelle plusieurs des qualités épiques, un art véritable de composition, des agréments de conteur, et qu'il y rencontre, dans le genre gracieux, bien des peintures fines et molles, telles qu'on peut les attendre de lui : l'épisode de Thaïs et Elinin a mérité d'être extrait du poëme dont il fait partie et de trouver place dans les OEuvres choisies, où, ainsi détaché, il peut paraître comme un malicieux fabliau.

Le grand écueil des élégiaques qui vieillissent (et Parny y a donné en plein dans ses divers poëmes irréligieux), c'est de ne savoir pas rompre avec l'image séduisante qui revient de plus en plus chère, bien que de jour en jour plus fanée. L'imagination n'était que voluptueuse dans la jeunesse; elle court risque, en insistant, de devenir licencieuse, si de graves pensées nées à temps ne l'enchaînent pas. La seconde manière de Parny est comme une preuve perpétuelle de ce triste progrès, et on aurait peut-être, depuis lui, à citer encore d'autres exemples (1).

(1) Je donnerai ici une ode au Plaisir qu'on peut supposer traduite en prose d'un élégiaque étranger, allemand ou anglais; elle exprime sous une autre forme la pensée que nous venons de rencontrer à propos de Parny; mais il y faudrait la fraîcheur de touche d'un Gray ou d'un Collins :

O doux et cher Génie, au regard vif et tendre; au vol capricieux, rapide; à l'accent vibrant, argenté, mélodieux; dont la chevelure exhale un

Parny, au reste (et ceci achève le tableau), ne paraît pas s'être douté, sous le Directoire, de l'excès d'orgie

parfum sous la couronne à demi penchée; dont la main porte un rameau de myrte en fleur, ou d'amandier tout humide de gouttes de rosée qui brillent au soleil du matin; ou qui, le soir, assoupis tes pas sur les gazons veloutés aux rayons de la lune;

O Dieu de la jeunesse et de la tendresse, langoureux comme une femme, hardi comme un amant; volage, imprévu, consolateur; Ô PLAISIR, à toi, avant que ma voix ait perdu son timbre qui pénètre et cet accent que tu connais, à toi mes adieux!

Tu fus tout pour moi. Enfant, dans la maison sombre au foyer chaste, dans la cour sévère, je rêvais sans te connaître, je rêvais à toi. Aux champs, derrière la haie épaisse, je te sentais là, tu m'accompagnais : parfois la brise m'apportait d'étranges bouffées ou des soupirs. Mes premières larmes de poëte étaient vers toi, ô vague Enchanteur!

« Grandissant, dans la jeunesse, au milieu des traverses et des rudes travaux, tu ne m'apparus pas encore. Alors je te connaissais pourtant; je t'avais vu de loin, sans t'atteindre. Je saignais, je souffrais. Non visité de toi, était-ce la peine de vivre? je voulais mourir. C'est alors que la Poésie en moi chanta; mais c'était toi, c'était le Plaisir amèrement désiré, qui la fit dès l'abord douce et profonde.

Je te saisis, je t'atteignis enfin, ô Plaisir; le long retard m'avait rendu comme insensé : je ne craignais pas dans ma fougue de déchirer les franges de ta tunique légère, d'arracher les fleurs de ta tête et de tes mains; mais tout renaissait vite et se réparait comme sur la personne d'un Dieu. Tu me laissais, au sortir de tes bras, des tristesses délicieuses. Ce que la Muse a chanté par ma voix de plus pur, de plus chaste et religieux, c'est au retour de tes violents embrassements, & Plaisir !

« L'Amour vint. Je n'ai jamais connu l'Amour sans toi, sans ton espoir, sans ta promesse, sans ta possession enfin et tes grâces abandonnées. Tu souris trop peu à nos amours que tant d'obstacles jaloux traversèrent; tu y souris pourtant assez, ô Plaisir, pour que l'image en reste, au fond de mon cœur, pleinement couronnée.

« Hélas! l'Amour a menti! toi, tu ne mentais pas, ô Plaisir. Dans les détresses du cœur, dans mes fuites désespérées, combien de fois tout d'un coup, comme une Déesse au tournant d'un bocage, tu m'es apparu! La tristesse s'envolait, je répondais à ton sourire; je suivais tes pas, ô Consolateur, avec le sentiment de la mort dans mon sein; j'étais heureux au bord du néant. La vie d'un soir était douce encore.

« Hélas! les années sont venues; tu m'es apparu plus rarement, et ton sourire chaque fois était moins beau. Quand je t'ai suivi, je déchirais encore ta tunique brillante, je froissais tes fleurs sur ta tête, mais, comme aupara

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