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'On le voit, la douleur a rendu Parny sensible à la grande nature; pour la première fois, peut-être, il gravit la ravine du Bernica et visite les sommets volcanisés de l'île; il s'écrie:

Le volcan dans sa course a dévoré ces champs;
La pierre calcinée atteste son passage.

L'arbre y croît avec peine; et l'oiseau par ses chants
N'a jamais égayé ce lieu triste et sauvage.

Tout se tait, tout est mort: mourez, honteux soupirs,
Mourez, importuns souvenirs

Qui me retracez l'infidèle;
Mourez, tumultueux désirs,

Ou soyez volages comme elle!...

Tout ce mouvement est d'une vérité profonde et d'une vraiment durable beauté; il contraste admirablement avec l'invocation toute reposée, toute radoucie, d'une des élégies suivantes, et avec ce début enchanteur :

Calme des sens, paisible indifférence,
Léger sommeil d'un cœur tranquillisé,
Descends du ciel; éprouve ta puissance
Sur un amant trop longtemps abusé!...

Ainsi toute cette fin se gradue, se compose; mais c'est le cri de tout à l'heure qui domine et qu'on emporte avec soi. Rien que par ce seul cri Parny mériterait de ne point mourir. Millevoye, qui souvent nous offre comme la transition de Parny à Lamartine, et de qui l'on dit avec bonheur « qu'il faisait doucement dériver la poésie vers les plages nouvelles où lui-même n'a

borda pas (1) », Millevoye, au milieu de ses vagues plaintes, n'a jamais de tels accents qui décèlent énergie et passion. On chercherait d'ailleurs vainement dans l'élégie de Parny quelque rapport avec ce que le genre est devenu ensuite chez Lamartine, quelques vers peutêtre çà et là, des traces de loin en loin qui rappellent les mêmes sentiers où ils ont passé :

Fuyons ces tristes lieux, ò maîtresse adorée,

Nous perdons en espoir la moitié de nos jours!

Lamartine a presque répété ce dernier vers (2). Et dans l'élégie dernière de Parny, qu'on relise cet adieu final si pénétré:

Le chagrin dévorant a flétri ma jeunesse

Je suis mort au plaisir, et mort à la tendresse.
Hélas! j'ai trop aimé; dans mon cœur épuisé,
Le sentiment ne peut renaître.

Non, non, vous avez fui pour ne plus reparaître,
Première illusion de mes premiers beaux jours,
Céleste enchantement des premières amours!
O fraîcheur du plaisir!

En lisant ces vers, nous sentons s'éveiller et murmurer au dedans de nous cet écho du Vallon :

J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie...

(1) M. Vinet, Discours sur la Littérature française, tome 111 3 sa Chrestomathie (1841).

(2) C'est dans une élégie des secondes Méditations.

Aimons-nous, ô ma bien-aimée...

La moitié de leurs jours, hélas ! est consumés

Dans l'abandon des biens réels.

On peut dire qu'en général l'élégie de Lamartine commence là où celle de Parny se termine, à la douleur, à la séparation, au désespoir; mais le poëte moderne a su rajeunir, revivifier tout cela par les espérances d'immortalité et par l'essor aux sphères supérieures : ainsi les plus beaux sonnets de Pétrarque sont ceux qui naissent après la mort de Laure. L'Éléonore de Parny, naïve et facile, manque d'élévation, d'avenir, d'idéal, de ce je ne sais quoi qui donne l'immortelle jeunesse; elle n'a jamais eu d'étoile au front. Il n'est peut-être pas un nom de femme, parmi les noms amoureux célébrés en vers, dont on n'ait plus parlé en son temps, dont on se soit plus inquiété, avec une curiosité romanesque. Cinquante années n'étaient pas encore écoulées que lorsqu'on prononçait simplement le nom d'Éléonore, on ne se souvenait plus de celle de Parny, on ne songeait qu'à la seule et unique Éléonore, à celle de Ferrare et du Tasse: il n'y a que l'idéal qui vive à jamais et qui demeure.

Si touchés que les contemporains aient pu être des grâces vives et naturelles de Parny, et de ses traits de passion, il ne faudrait pas croire que certains défauts essentiels leur aient entièrement échappé. Le Mercure de France (8 janvier 1780) sait très-bien regretter, par exemple, que l'expression de la tendresse ne se mêle pas plus souvent chez le poëte à celle de la volupté, et que l'amour n'anime pas de couleurs plus riches son imagination et sa veine(1). Dans les Annales politiques

(1) Cet article du Mercure est de plus assez sévère pour le style.

de Linguet (tome V, page 104), on fait remarquer trèsjustement que, si ce n'est pas la pudeur, c'est au moins la délicatesse, que M. de Parny a blessée, en disant à sa maîtresse dans sa pièce de Demain:

Dès demain vous serez moins belle,

Et moi peut-être moins pressant.

Et en effet, ce n'était pas à son Éléonore, mais à une certaine Euphrosine, que le poëte tenait d'abord ce langage si leste et si peu amoureux. On trouverait enfin dans les diverses critiques du temps la preuve qu'une foule d'expressions courantes et déjà usées, telles que les charmes arrondis, les plaisirs par centaine, les chaînes et les peines accouplées invariablement à la rime, et autres lieux communs érotiques, ne satisfaisaient pas les bons juges. Mais, malgré les réserves de détail que l'on savait faire, personne alors ne se rendait bien compte de ce qui manquait foncièrement à ce style, et comment il péchait par la trame même.

Dans une lettre touchante de Français de (Nantes), que j'ai sous les yeux, cet homme excellent, ce bienfai

Il est vrai que Parny avait eu un tort d'irrévérence en disant à la fin de son premier recueil :

Dans les sentiers d'Anacréon

Égarant ma jeunesse obscure,
Je n'ai point la démangeaison
D'entremêler une chanson

Aux écrits pompeux du Mercure.

L'Année littéraire (année 1778, t. II), en rendant compte très-favorablement des Poésies de Parny, n'avait eu garde d'omettre ce petit trait contre le journal adverse.

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teur véritable des dernières années de Parny, l'appelle ingénument le premier poëte classique du siècle de Louis XVI. Oui, Parny était bien cela, il l'était dans son genre à meilleur titre que Delille; mais le malheur c'est que l'époque de Louis XVI n'avait rien de ce qui constitue un siècle; ce n'était qu'un règne d'un goût passager et d'un jargon poétique aimable. Parny sut se préserver mieux qu'aucun autre de la contagion, il sut s'en préserver à sa manière tout autant que Fontanes; il ramena et observa suffisamment le goût et le naturel dans l'élégie, mais il ne créa pas le style. Or, il aurait fallu le retremper alors tout entier. Convenons qu'un poëte élégiaque n'est pas nécessairement tenu à de tels frais d'originalité; il chante dans la langue de son temps, heureux et applaudi quand il y chante le mieux, et il n'a pas charge de refaire avant tout son instrument. Voilà ce qu'il faut dire pour rester juste envers Parny; mais les circonstances n'en furent pas moins pour lui un malheur irréparable. Avec son organisation délicate et fine, avec ses instincts de simplicité et de mélodie, il est permis de conjecturer que, nourri à une meilleure époque, plus loin de Trianon, et venu du temps de Racine, il aurait été un élégiaque parfait.

Pour apprécier autant qu'il convient le mérite naturel et touchant des élégies de Parny, il suffit de lire celles qu'a essayées Le Brun, si sèches, si fatiguées et si voulues. Pour apercevoir d'autre part ce qu'il y aurait eu à tenter d'indispensable et de neuf dans la forme. et dans la trame, il suffit de se rappeler les élégies d'André Chénier. Bertin, dont le nom ne saurait être

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