صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

quoique lui-même il ait trop négligé de nous faire admirer en ses vers cette charmante solitude, dont il a parlé en un endroit assez légèrement (1), c'est là, c'est à l'entrée que la nature plaça son nid mélodieux, et jeune, de retour dans l'île à l'âge de vingt ans, surtout vers la fin de son séjour, aux heures inquiètes où l'infidélité d'Éléonore le désolait, il dut quelquefois promener vers ces sentiers écartés ses rêves, ses attentes ou ses désespoirs de poëte et d'amant (2).

A l'âge de neuf ans, Parny fut envoyé en France et placé au collége de Rennes; il y fit ses études avec Ginguené, lequel plus tard a publiqement payé sa

(1) Dans une lettre à Bertin, de janvier 1775.

(2) George Sand a célébré et, s'il en était besoin, poétisé, à la fin d'Indiana, le site magnifique du Bernica; c'est au bord de ce ravin, en haut et en face de la cascade, que l'éloquent romancier dispose la scène, le projet de suicide de Ralph et d'Indiana; je ne répondrais pas qu'il n'y ait quelque fantaisie dans une description faite ainsi par oui-dire. Voici quelques vers dont on me garantit l'exactitude et qui ont l'avantage d'être nés sur les lieux; on y reconnaît tout d'abord, à l'accent, l'école qui a succédé à celle de Parny:

Ondes du Bernica, roc dressé qui surplombes,

Lac vierge où le cœur rêve à de vierges amours,
Pics où les bleus ramiers et les blanches colombes

Ont suspendu leur nid comme aux créneaux des tours;
Roches que dans son cours lava le flot des âges,

Lit d'un cratère éteint où dort une eau sans voix,

Blocs nus, ondes sans fond, site âpre, lieux sauvages,
Salut! salut à vous, etc.

(LACAUSSADE.)

Enfin, nous citerons encore la riche peinture de cette même vue

d'après nature, par M. Théodore Pavie (Revue des Deux Mondes du 1er février 1844, page 438).

dette à ses souvenirs par une agréable épître de 1790, et par son zèle à défendre la Guerre des Dieux dans la Décade. Le jeune créole, à peine hors des bancs, trahit son caractère vif, enthousiaste et mobile; il songea d'abord, assure-t-on, à prendre l'habit religieux chez les Pères de la Trappe, et il finit par entrer dans un régiment. Venu à Paris, à Versailles, il y rejoignit son compatriote et camarade Bertin, qui sortait également des études; ils se lièrent étroitement, et dans ces années 1770-1773 on les trouve tous deux membres de cette joyeuse et poétique confrérie qui s'intitulait l'Ordre de la Caserne ou de Feuillancour : « Représentez-vous, madame, écrivait Bertin dans son « Voyage de Bourgogne, une douzaine de jeunes mili«taires dont le plus âgé ne compte pas encore cinq « lustres; transplantés la plupart d'un autre hémi« sphère, unis entre eux par la plus tendre amitié, pas«sionnés pour tous les arts et pour tous les talents, « faisant de la musique, griffonnant quelquefois des «< vers; paresseux, délicats et voluptueux par excel«lence; passant l'hiver à Paris et la belle saison dans « leur délicieuse vallée de Feuillancour (1); l'un et « l'autre asile est nommé par eux la Caserne... » Et Parny, au moment où il venait de se séparer de cette chère coterie, écrivait à son frère, durant les ennuis de la traversée : « ... Mon cœur m'avertit que le bonheur n'est pas dans la solitude, et l'Espérance vint me dire à l'oreille: Tu les reverras, ces épicuriens aima

(1) Feuillancour, entre Marly et Saint-Germain.

bles, qui portent en écharpe le ruban gris de lin et la grappe de raisin couronnée de myrte; tu la reverras cette maison, non pas de plaisance, mais de plaisir, où l'œil des profanes ne pénètre jamais... » C'est ainsi, je le soupçonne, si l'on pouvait y pénétrer, que commencent bien des jeunesses, même de celles qui doivent se couronner plus tard de la plus respectable maturité; mais toutes ne s'organisent point aussi directement, pour ainsi dire, que celle de Parny pour l'épicuréisme et le plaisir. Son prétendu Fragment d'Alcée confesse ouvertement quelques-unes des maximes les plus usuelles de ce code relâché :

Quel mal ferait aux Dieux cette volupté pure?
La voix du sentiment ne peut nous égarer,

Et l'on n'est point coupable en suivant la nature...
Va, crois-moi, le plaisir est toujours légitime,

L'amour est un devoir, et l'inconstance un crime (1)...

Les murs de la Caserne pouvaient être couverts et tapissés de ces inscriptions-là comme devises. Dans la Journée champêtre, l'un des premiers poëmes qu'il ait ajoutés à ses élégies, Parny n'a fait probablement que traduire sous un léger voile une des journées réelles, une des formes de passe-temps familiers en ces délicieux réduits les couples heureux se remettaient à pratiquer l'âge d'or à leur manière et sans trop oublier qu'ils étaient des mondains (2). Ces jeunes créoles,

:

(1) On lit dans la première édition (1778) ce vers beaucoup plus conforme à la pensée du poëte :

L'amour est un devoir, l'ennui seul est un crime.

(2) Cette interprétation très-vraisemblable de la Journée cham

plus ou moins mousquetaires, se montraient fidèles en cela aux habitudes de leur siècle comme aussi aux instincts de leur origine.

Le créole de ces deux îles où notre élégie et notre idylle ont eu leur berceau, offre en effet des caractères d'esprit et de sensibilité très-reconnaissables. Pour peu que l'éducation et la culture l'aient touché, il est (à en juger par la fleur des générations aimables et distinguées que nous en avons pu successivement connaître), il est · ou devient aussitôt disposé à la poésie, à une certaine poésie, de même encore qu'il l'est naturellement à la musique. Son oreille délicate appelle le chant, sa voix trouve sans art la mélodie. Indolent et passionné, sensible et un peu sensuel, il se fût longtemps contenté de Parny sans doute, mais Lamartine, en venant, lui a enseigné une rêverie qui complète le charme et qui ressemble, par moments, à la tendresse. Plus porté aux sentiments qu'aux idées, la jeunesse lui sied bien et devrait lui durer toujours le créole est comme naturellement épicurien. M. de Chateaubriand, qui visita Parny vers 1789, a dit du chantre d'Éléonore, dans une simple image qui reste l'expression idéale de ce genre de nature et d'élégie : « Parny ne sentait point son auteur; je n'ai point connu d'écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages: poëte et créole, il ne lui fallait que le ciel de l'Inde, une fontaine, un palmier et une femme (1).» pêtre se trouve dans la belle et excellente édition des OEuvres choisies de Parny, de Lefèvre, 1827; on croit y reconnaître à mainte page la plume exacte et exquise qui, dit-on, y a présidé (M. Boissonade).

(1) C'est un souvenir des Mémoires que j'ose placer là; quoiqu'il

Tel était Patny, ou du moins tel il aurait dû être, s'il n'avait suivi que ses premiers penchants et si l'air du siècle ne l'avait pas trop pénétré. Mais la nature voluptueuse du créole s'imprégna en lui de bonne heure de la philosophie régnante, et tout d'abord cette philosophie semblait, en effet, n'être venue que pour donner raison à cette nature; l'accord entre elles était parfait. Tandis pourtant que la nature, sans arrière-pensée, n'aurait eu que sa mollesse, sa tendre et gracieuse non

y ait des années que j'ai entendu ce passage, je ne crois pas citer trop inexactement. Voici d'autres particularités que je tire de notes inédites de Chateaubriand écrites à Londres, en 1798, en marge d'un exemplaire de son Essai sur les Révolutions:

« Le chevalier de Parny est grand, mince, le teint brun, les yeux noirs enfoncés, et fort vifs. Nous étions liés. Il n'a pas de douceur dans la conversation. Un soir, nous passâmes six heures ensemble, et il me parla d'Éléonore. Lorsqu'il était près de quitter l'île de France, lors de son dernier voyage, Éléonore lui envoya une négresse pour le prier d'aller la voir; cette négresse était la même qui l'avait introduit en de plus doux rendez-vous. Le vaisseau qui devait ramener Parny en Europe était à l'ancre : il devait partir dans la nuit. Qu'on juge des sensations que l'amant d'Éléonore dut éprouver lorsqu'après douze ans de silence, il reçut ce message, au moment de son départ, par cette négresse! Que de souvenirs! Éléonore était blonde, assez grande, non belle, mais attrayante, mais respirant la volupté. Au reste, il m'a dit que les sites décrits par Saint-Pierre dans Paul et Virginie étaient faux; mais Parny enviait Bernardin.

<< Fontanes m'a fait faire un dîner fort gai dans ma vie. Nous étions pour convives moi, Ginguené, Flins, le chevalier de Parny; La Harpe, qui prétendait qu'il n'allait plus à ces parties de jeunes gens, nous avait envoyé sa femme. Mae Du F......, la poëtesse et la maîtresse de Fontanes, y était, et ce qu'il y a de bien français, c'est que le mari y était aussi et qu'il ne s'apercevait de rien. Grande chère, bon vin, pas trop portes; cependant nous ne pûmes nous empêcher de l'être un peu. »

« السابقةمتابعة »