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de ces escarmouches qui précèdent une grande bataille : les gens de robe avaient voulu essayer leurs forces contre un ami du ministre avant de s'attaquer au ministre lui-même. « C'est M. d'Eprémesnil, dit Mairobert, qui a fait,à l'assemblée de Paris du 30, la dénonciation. du petit écrit sans titre sur les corvées. Ce jeune magistrat, qui depuis son admission au Parlement attendait avec impatience le moment de se signaler, a cru celui-ci favorable: il en voulait depuis longtemps aux économistes, il a profité de la circonstance, et dans son récit il en a tracé un portrait de main de maître; il les a représentés comme une secte d'enthousiastes cherchant non seulement à combattre les préjugés et à renverser les formes sagement établies, mais à détruire les lois les plus anciennes, les principes les mieux avoués, pour y substituer leur doctrine qui n'a servi jusqu'à présent qu'à jeter le désordre et la confusion, qu'à bouleverser le royaume. Il n'a pas épargné le ministre qu'ils regardent aujourd'hui comme leur chef, et sans le nommer il l'a désigné de façon à ce qu'on ne pût le méconnaître; il a cherché à jeter le ridicule sur la sensibilité louable, mais peut-être trop excessive, qu'il a témoignée à l'occasion du pamphlet répandu contre le sieur de Vaines. La Cour n'a point adopté l'excursion violente du dénonciateur: on voit même par le réquisitoire entortillé, vague et croqué, de l'avocat général Séguier, qu'il était difficile d'asseoir raisonnablement de justes qualifications sur l'écrit à censurer; pour ne rien énoncer et se tirer d'affaire, il a recours aux expressions triviales d'oubli, de mépris, etc. ('). »

Voici, toujours d'après Mairobert, quel fut le discours de Séguier aux chambres assemblées : « Nous avons pris communication du récit et de l'imprimé que la Cour vient de nous faire remettre : il était déjà parvenu à notre connaissance, et nous l'avions jugé plus digne de mépris que de censure. Les réflexions que cet auteur anonyme présente au public, les objections qu'il se fait à lui-même pour les combattre, les différentes classes de citoyens qu'il semble vouloir attaquer, l'espèce de cri séditieux avec lequel, en finissant, il cherche à soulever le peuple, tout y annonce le fanatisme plutôt que la raison. Nous ne nous arrêtons pas à détruire le peu d'impression que cet écrit a pu faire sur les esprits; c'est en démontrer la futilité que de le condamner à l'oubli dont il ne devait jamais sortir (*). » Ce procédé de réfutation était fort commode. Le superbe dédain de l'avocat général pour l'œuvre de Condorcet n'alla point cependant jusqu'à l'abandon des poursuites commencées. L'écrit sur les corvées fut condamné par arrêt du Parlement « comme tendant à soulever

(1) Bach., Mém., secr., IX, 40: 5 fév. 1776. La Corr. Métra disait de son côté : Condorcet publie une petite brochure où il flatte les gens en place, et où il déchire le clergé et le Parlement. Le Parlement se venge,

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supprime la brochure par un arrêt très désagréable pour l'auteur. On y parle de son opuscule avec le dernier mépris. (II, 379; 10 fév. 1776.)

(2) Bach., Mém. secr., IX, 40; 7 fév. 1776.

les peuples» (1). Condorcet en sentit sa haine contre le Parlement comme renouvelée; il écrivit à Voltaire : « On vous a peut-être mandé, mon cher et illustre maître, que sur la délation de d'Eprémesnil et la réquisition de maître Séguier, la Cour avait supprimé une petite feuille dont j'étais véhémentement soupçonné d'être l'auteur, et qu'il y avait en même temps des voix pour me brûler en papier. Il n'y a rien de plus vrai et de plus ridicule. L'Eprémesnil est un petit Américain qui, à force de faire donner des coups de fouet à ses nègres, est parvenu au point d'avoir assez de sucre et d'indigo pour acheter une charge de conseiller du roi brûleur de papier. Mais vous ne savez pas qu'au moment où je vous écris, on porte au Parlement la suppression des conseillers du roi languayeurs de porcs (2), et que les autres conseillers du roi se préparent à prendre la défense de leurs confrères. Il y a six édits: 1o la suppression des corvées; 2° celle des communautés de marchands et d'artisans pour Paris et Lyon; 3° celle de mille vingt-cinq conseillers du roi; 4o celle de la caisse de Poissy; 5o celle des règlements de police pour l'approvisionnement de Paris, règlements qui, s'ils avaient été exécutés, auraient infailliblement amené la famine; 6° diminution et administration plus raisonnable des droits sur les suifs. Je vous prie d'observer que les mille vingtcinq conseillers du roi levaient chaque jour pour leur part un impôt sur le peuple; que le Châtelet et le Parlement en levaient un autre pour les frais de procédures sans fin que les maîtrises occasionnaient; que les corvées étaient un impôt énorme, plus nuisible encore par l'avilissement où il tenait le peuple que par ce qu'il coûtait; que l'impôt pour la réparation et la construction des chemins ne coûtera point à la nation entière le tiers de ce que les corvées coûtaient au peuple seul, et que cependant les édits ne pourront être enregistrés qu'en lit de justice, à moins que, par une faiblesse aussi lâche que la résistance serait absurde, la cohorte des assassins de La Barre n'accepte aujourd'hui ce qu'elle détestait il y a huit jours (3). »

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C'est en ces termes violents que Condorcet, « ce mouton enragé, comme on () l'a appelé, faisait part à Voltaire de l'imminence de la guerre qui allait éclater entre le Parlement et Turgot. Quant à Turgot, il continuait imperturbablement son œuvre, et méditait de nouvelles réformes, avant même que les édits eussent été promulgués. Il voulait réduire la maison civile du roi (5), transformer les deux

(1) Anc. l. fr., XXIII, 302; 30 janv. 1776.

(2) Officiers chargés de visiter la langue des pores pour voir s'ils ne sont pas atteints de ladrerie. Turgot se proposait de supprimer leurs offices.

(8) Cond., Euv., I, 88-89. - Les savants éditeurs des Euvres de Condorcet ont daté à tort cette lettre de décembre 1775. Elle n'a pu être écrite qu'après le 30 janvier 1776, jour de la délation de d'Eprémesnil et de l'arrêt du Parlement. Voir plus haut, p. 409.

(4) Sainte-Beuve.

(5) Elle coûtait annuellement 23 millions. Il pensait que cette dépense pouvait être aisément diminuée tout de suite de 9 millions, et graduellement ramenée à 14. Cependant, comme il aurait fallu tout d'abord rembourser des offices et payer des pensions, l'économie ainsi réalisée n'eût été que de 5 millions; mais elle se serait accrue de 1 million tous les ans, par l'extinction progressive des traitements viagers.

vingtièmes en un impôt direct frappant toutes les propriétés sans exception, sous le nom de subvention territoriale. Il se proposait de modifier la gabelle (1), de supprimer ou de convertir en redevances annuelles les droits féodaux du domaine royal. Il s'était entendu enfin avec Malesherbes, pour demander la validation des mariages des protestants ().

Ces projets ne restèrent point secrets; ils transpirèrent dans le public, et ils contribuèrent à exaspérer l'opposition du clergé, de la noblesse, du Parlement, de tous les privilégiés.

(1) Condorcet, pour appuyer ses projets à cet égard, publiait des Réflexions sur la jurisprudence criminelle dirigées contre la gabelle.

(2) Pour tous ces projets de réformes nouvelles, voir Dun. Nem., Mém., II, 173, note, et H. Martin, Hist. de Fr., XVI, 368.

CHAPITRE VI

Détails administratifs.

(Du 1er janvier au 12 mars 1776.)

Il ne faut pas que le spectacle de la lutte engagée entre Turgot et les privilégiés nous fasse détourner les yeux du travail incessant de son administration.

Les juges et consuls, les directeurs du commerce de Bordeaux et tous ceux qui avaient rempli ces mêmes charges, réclamaient diverses prérogatives, telles que l'exemption du service « de milice, patrouille, guet et garde et logement des gens de guerre »; ils voulaient aussi avoir le droit de porter l'épée dans les villes et des armes défensives en voyage. Turgot écrivit, le 6 janvier, au ministre Bertin (que cette affaire concernait), qu'il ne voyait pas d'inconvénients à accorder cette faveur. Elle était en effet déjà concédée à tant d'autres personnes, qu'il n'y avait guère lieu d'établir une exception au détriment des magistrats municipaux et des membres de la chambre de commerce de Bordeaux (1).

Le 12, le roi signa à Versailles des lettres - patentes accordant liberté à tous les maîtres de verreries de la province de Normandie, de vendre à Paris, Rouen et ailleurs les verres à vitres de leur fabrique (*). « La vente des verres à vitres avait toujours été libre jusqu'en 1711; à cette époque, l'usage des carreaux fut substitué à celui des panneaux de vitres en losange. Les verres destinés à cet usage n'arrivant point alors à Paris en quantité suffisante pour répondre à la consommation, il fut rendu, le 11 août 1711, un arrêt du Conseil qui régla la quantité de paniers de verre que les maîtres verriers de Normandie seraient obligés de fournir, et qui en fixa le prix. » C'est ainsi qu'on entendait la liberté du commerce en 1711. D'autres arrêts du Conseil et du Parlement de Rouen aggravèrent encore les gênes imposées aux fabricants de verre, bien que la production de cet article fût devenue proportionnée aux besoins des consommateurs et que les raisons invoquées d'abord eussent perdu toute valeur. Dans les autres provinces, la fabrication du verre était restée libre. Les maîtres de Normandie, forcés de vendre à bas prix

(1) Pièc. just. no 56.

(2) Euv. de T. Ed. Daire, II, 233.

et de limiter leur vente, étaient en 1776 aussi incapables de soutenir la concurrence des autres verriers que de perfectionner leurs produits. Turgot les sauva d'une ruine certaine en les affranchissant de toute entrave légale. Mais le Parlement de Normandie ne renonça qu'à contre-cœur aux règlements du temps passé. Il attendit quarantetrois jours avant d'enregistrer les lettres-patentes.

Ce même Parlement s'était opposé aussi, autant qu'il l'avait pu, à l'établissement de la liberté du commerce, des grains. Après un an de retard et de réflexion, au lieu d'enregistrer purement et simplement les lettres-patentes du 2 novembre 1774, il avait ordonné, dans son arrêt d'enregistrement du 21 décembre 1775, que les juges de police de son ressort continueraient, comme par le passé, à veiller à l'approvisionnement des halles au blé; et il avait déclaré qu'il était lui-même résolu à exercer un pareil droit de contrôle. Cette modification de la loi en détruisait entièrement l'effet. Turgot obtint un arrêt du Conseil qui cassait l'arrêt du Parlement de Rouen, et maintenait entière et intacte la liberté du commerce des grains en Normandie (').

Cet acte d'autorité prouve que Louis XVI, en dépit des Miroménil et des Maurepas, et malgré ses propres hésitations, avait toujours confiance en son ministre. Il ne demandait pas mieux que de le seconder. Voici une preuve touchante, dans sa naïveté, de son bon vouloir, de son désir de bien faire. Afin de ménager à Turgot une surprise agréable, il prépara un arrêt, sans le prévenir; il en écrivit la minute de sa main; puis, l'apportant à son ministre, et le lui montrant : « Vous croyez que je ne travaille pas de mon côté?» lui dit-il. Cet arrêt, le seul acte personnel de Louis XVI pendant tout le ministère de Turgot, ordonnait... la destruction des lapins dans les capitaineries royales. Voilà ce que Louis XVI avait trouvé de mieux pour aider dans sa tâche l'auteur de l'édit des corvées et de l'édit des jurandes. On a eu tort d'ailleurs de tourner cet arrêt en ridicule (2). La mesure était utile et humaine: et elle ne pouvait être prise que d'après une décision personnelle du roi, puisque la possession des terriers à lapins dans les forêts, dépendant du domaine, était une prérogative toute royale. Les lapins s'étaient tellement multipliés dans ces forêts qu'ils occasionnaient des dommages immenses dans toutes les terres dont elles étaient environnées. Les propriétaires du voisinage n'avaient d'autre parti à prendre que celui de laisser leurs terres incultes, s'ils ne voulaient pas voir leurs récoltes entièrement ravagées. Louis XVI, appliquant l'ordonnance des eaux et forêts.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 212; 27 janv. 1776. - Dup. Nem., Mém., II, 63.

(2) C'est le inot de lapins qui a fait sourire. On a été frappé aussi de la disproportion

de l'œuvre de Turgot représentée par cent réformes utiles, quelques-unes capitales, avec l'œuvre de Louis XVI qui se reduit à cet unique arrêt.

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