صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

- Ce jour-ci, qui finit, fut pour vous plein de charmes, Ma Dame, un heureux jour de divertissement, De triomphe; et peut-être encore, en ce moment, Quelque songe léger vous rend à la pensée

Ceux à qui vous plaisiez dans la foule empressée, Ceux aussi qui plaisaient... Oh! non pas moi, jamais! Un souvenir, c'est plus que je ne m'en promets.

Cependant je me dis ce qui me reste à vivre,
Je cherche quand viendra le moment qui délivre,
Et je me jette à terre et j'étouffe mes cris.
Jours affreux à passer sous les printemps fleuris!

Non loin d'ici, j'entends à travers la campagne
Quelque chant d'ouvrier attardé, qui regagne
Sa chétive demeure, oublieux et content;
Et j'ai le cœur serré de penser que pourtant
Tout fuit, sans laisser trace; ét déjà la semaine
A la fête succède, et le flot nous emmène.
Qu'est devenu le bruit des peuples d'autrefois,
Des antiques Romains et des citoyens rois?
Tes faisceaux, où sont-ils, colosse militaire,
Dont le fracas couvrait et la mer et la terre?
Tout est paix et silence, et le monde aujourd'hui
Ne s'informe plus d'eux qu'à ses moments d'ennui.

Dans ma première enfance, alors qu'un jour de fête
Nous rend impatients de l'heure qui s'apprête,
Ou le soir, au sortir du grand jour écoulé,
Tout douloureux déjà, dans mon lit éveillé,
Si quelque chant au loin, gai refrain de jeunesse,
M'arrivait, prolongeant sa note d'allégresse,
Et d'échos en échos dans les airs expirait,

Alors comme aujourd'hui tout mon cœur se serrait.

L'ANNIVERSAIRE.

O Lune gracieuse, un an déjà s'achève

Qu'ici, je m'en souviens, dans ces lieux où je rêve,
Sur ces mêmes coteaux je venais, plein d'ennui,
Te contempler; et toi, belle comme aujourd'hui,
Tu baignais de tes flots la forêt tout entière.
Mais ton visage, à moi, ne m'offrait sa lumière
Que trembante, à travers le voile de mes pleurs,
Car ma vie était triste et vouée aux douleurs.
Elle n'a pas changé, Lune toujours chérie;
Je souffre; et de mes maux pourtant la rêverie
M'entretient et me plaît; j'aime le compte amer
De mes jours douloureux. Oh! combien nous est cher
Le souvenir présent, en sa douceur obscure,
Du passé, même triste, et du malheur qui dure!

LE PASSEREAU.

Sicut passer solitarius in tecto.

Du haut du toit désert de cette vieille tour
Tu chantes ta chanson tant que dure le jour,
Passereau solitaire, et ta voix isolée

Erre avec harmonie à travers la vallée.
Dans les airs le printemps étincelle et sourit;
C'est sa fête, et tout cœur, à le voir, s'attendrit.
Il fait bondir la chèvre et mugir la génisse;
Et les oiseaux des bois, sous son rayon propice,
Célèbrent à l'envi leur bonheur le plus vif
Par mille tours joyeux mais toi, seul et pensif,
Tu vois tout à l'écart, sans te joindre à la bande,
Sans ta part d'allégresse en leur commune offrande,
Tu chantes seulement: ainsi fuit le meilleur,
Le plus beau de l'année et de ta vie en fleur.

Combien, hélas! combien ta façon me ressemble !
Et rire et jeunes ans qui vont si bien ensemble,
Et toi, frère enflammé de la jeunesse, amour,
Délicieux orage au matin d'un beau jour!
D'eux tous mon triste cœur n'a rien qui se soucie,
Ou je les fuis plutôt et d'eux je me défie.
Seul et presque étranger aux lieux où je suis né,
Je passe le printemps qui m'était destiné.
Ce jour dont le déclin fait place à la soirée
Est la fête du bourg, à grand bruit célébrée.
Un son de cloche au loin emplit l'azur profond,
De villas en villas l'arquebuse répond.

La jeunesse du lieu, dans ses atours de fête,
Sort des maisons, s'épand sur les chemins, s'arrête
Regardant, se montrant, doux et flatteur orgueil!
Moi, pendant ce temps-là, je m'en vais comme er deuil
Par ce côté désert, évitant qu'on me voie,

Ajournant à plus tard tout plaisir, toute joie;
Et derrière les monts, dans les airs transparents,
Le soleil m'éblouit de ses rayons mourants,
Et d'un dernier regard il semble aussi me dire
Que l'heureuse jeunesse avec lui se retire.

Pour toi, sauvage oiseau, lorsque le soir viendra
Des jours qu'à vivre encor le Ciel t'accordera (1),
Tu ne te plaindras point, docile à la nature,
Passereau solitaire, et ton secret murmure
N'ira pas regretter la saison du plaisir;
Car c'est le seul instinct qui fait votre désir.
Mais, moi, si je n'obtiens de l'étoile ennemie
D'éviter la vieillesse et sa triste infamie,

Quand ces yeux n'auront plus que dire au cœur d'autrui,

(1) 11 met le stelle, les étoiles, et non le Ciel, dans le sens vul. gaire où on l'emploie comme synonyme de Dieu.

Quand suit tout lendemain plus terne qu'aujourd'hui,
Quand le monde est désert, oh! comment jugerai-je
Alors l'oubli présent, ma perte sacrilége?

J'en aurai repentir, et d'un cri désolé
Je redemanderai ce qui s'en est allé.

Nous aurions pu choisir d'autres pièces encore dans ce même caractère plaintif et passionné; ce sont les sujets familiers et chers à tout poëte, premier amour, fuite du temps, perte de la jeunesse, réveil du cœur (il Risorgimento), mais relevés ici par une manière particulière de sentir, variations originales sur le thème lyrique éternel. On voit déjà, par le peu que nous avons cité, que Leopardi a aimé; il a l'air de n'avoir eu que deux amours (ce qui me paraît, en effet, très-suffisant), celui qu'il appelle il primo amore, d'où l'on peut conclure que ce ne fut pas le seul, et celui de la personne qui chantait si bien et qui mourut, celle du Songe, de la Vie solitaire, de Silvia, des Souvenirs (le Ricordanze). Le chant de la personne aimée joue un grand rôle dans ces diverses pièces. L'éclair de désir passionné qui se reflète si vivement dans la pièce à Aspasie ne mérite pas le nom d'amour. Il résulterait de ces témoignages poétiques que Leopardi n'a connu de ce sentiment orageux que la première, la plus pure, la plus douloureuse moitié, mais aussi la plus divine, et qu'il n'a jamais été mis à l'épreuve d'un entier bonheur. Mais ce ne sont là que des conjectures sur le coin le plus mystérieux de ce noble cœur.

Leopardi partagea entre Milan et Bologne les années 1825-1826. Obligé, par la sévérité de son père, de de

mander secours à sa plume, il publia une édition des vers de Pétrarque avec commentaires (Milan, 1826); puis une Chrestomathie italienne, ou choix des meilleurs auteurs, vers et prose (2 vol., Milan, 1827-1828). Les lecteurs de Pétrarque ne sauraient désirer un meilleur guide dans les mille sentiers du charmant labyrinthe; il s'y moque finement, à la rencontre, du commun des lettrés italiens qui ne remontaient ni si haut ni si avant. J'ai omis de dire que l'édition de ses poésies de Bologne (1824) était accompagnée d'un commentaire grammatical de sa façon, dans lequel il se défendait contre les mêmes lettrés prétendus puristes. Ce commentaire affecte un ton de plaisanterie assez opposé d'ailleurs à son caractère, et n'a été écrit qu'en vue de la circonstance, pour faire pièce à quelques pédants à qui il se plaît à en remontrer en fait de classique.

De 1827 à 1831, Leopardi passa la plus grande partie de son temps à Florence, sauf un voyage qu'il fit à Recanati. Participant à la rédaction de l'Anthologie, entouré d'une société d'élite et d'amis déjà éprouvés (Capponi, Niccolini, Pucci, etc.), il y aurait trouvé quelque bonheur sans doute, si ses infirmités n'avaient augmenté de jour en jour. Il recueillit et publia, en 1827, ses Essais de morale (Operette morali, Milan), dont la plupart avaient précédemment paru dans divers journaux; c'est le livre de prose auquel Manzoni décerne un si bel éloge. Leopardi, tout en y étant fidèle à lui-même, nous y apparaît sous un nouveau jour : le grand moraliste que recèle tout grand poëte se déclare ici et se développe en liberté sous vingt formes ingénieuses et piquantes.

« السابقةمتابعة »