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ÉTUDES DIPLOMATIQUES

SUR

LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

I.

SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS
PAR LE PAPE CLÉMENT XIV, EN 1773.

1.- LA VÉRITÉ SUR LES JESUITES ET SUR LEUR DOCTRINE, 1844.

II. - DOCUMENS HISTORIQUES, CRITIQUES, APOLOGÉTIQUES, CONCERNANT LA COMPAGNIE DE JÉSUS, 1828-1843.

III.

- De L'ExistenCE ET DE L'INSTITUT DES JESUITES,
par le révérend père de Ravignan, de la Compagnie de Jésus, 1844.

La polémique soulevée à l'occasion d'un projet de loi important vient de ramener l'attention générale sur la société de Jésus. Oublié pendant une trève de douze années, son nom a reparu de toutes parts. C'est au centre même de la question de la liberté d'enseignement que la célèbre compagnie a repris sa place naturelle, car on essaierait en vain de l'écarter du débat qui va s'ouvrir devant les chambres; elle en

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fait partie intégrante, essentielle, inévitable. Le bon sens public ne s'y est jamais trompé. L'attaque a été ardente, la défense n'a pas été moins vive; mais jusqu'à présent les champions des jésuites n'ont eu recours qu'à des argumens rebattus. Les apologies se multiplient tous les jours, sans nouveauté dans le fond et sans originalité dans la forme; elles ne sont pour la plupart que des réimpressions ou des redites. Rien n'arrêterait les regards sur ces publications ternes et communes, si un petit écrit de quelques pages ne s'en distinguait avec beaucoup de dignité et de grace. Dans les intervalles des clameurs discordantes poussées par la haine des partis, on a recueilli avidement l'accent d'une conscience désintéressée et d'une bienveillance sereine. Les esprits ou plutôt les cœurs ont été touchés d'une candeur inaltérable qui, à son insu, s'étend sur les objets et les transforme en les voilant. On serait heureux de s'associer à ces douces impressions, si, pour être convaincu, il suffisait de se sentir charmé.

Quoi qu'il en soit, il n'est plus au pouvoir de personne de rajeunir une discussion épuisée. Pascal a tout dit, et l'on n'a plus rien à lui répondre. Des deux côtés, on est à bout de raisonnement et de dialectique. Il n'en est pas ainsi des faits, qui sont loin d'être tous éclaircis. La controverse pour ou contre les jésuites n'est plus possible; mais leur histoire n'est pas encore écrite, et sous ce rapport beaucoup reste à dire. La suppression de l'ordre par le saint-siége a surtout été présentée sous les plus fausses couleurs. C'est une lacune véritable dans les annales du XVIIe siècle; il serait utile d'y suppléer. Nous l'essaierons avec d'autant plus de confiance, que nous pouvons appuyer un récit impartial sur des documens authentiques. Ce n'est pas nous que l'on va entendre, ce sont les acteurs mêmes du drame: Pombal et Choiseul, Clément XIII et Clément XIV, le père Ricci et le cardinal de Bernis, Charles III et Louis XV, puis (nous le disons à regret), à côté de ces souverains et de ces ministres, une femme, une favorite, la marquise de Pompadour.

Avant d'entrer dans l'examen détaillé de cette révolution singulière, il faut protester contre une erreur généralement répandue, mais répandue à dessein. Tous les partis vaincus cherchent au dehors les causes d'une défaite dont ils trouveraient le principe en eux-mêmes. Les panégyristes de la société nous la montrent succombant à une conspiration préparée avec art, amenée de très loin, rendue inévitable par des machinations très compliquées. A les en croire, les rois, les ministres, les philosophes, se sont ligués contre elle, ou, ce qui est la même chose à ses yeux, contre la religion. Ce point de vue est faux:

pour renverser le jésuitisme, il n'y a eu dans l'origine ni préméditation, ni plan, ni concert. Sans doute beaucoup d'intérêts divers s'étaient depuis long-temps réunis contre les jésuites, qui avaient provoqué de vives inimitiés; mais ce qui les a perdus, ce n'est ni la philosophie ni la politique: c'est tout simplement le hasard. Le signal de leur chute n'est parti ni de Ferney ni de Versailles. Malgré les souvenirs de la bulle Unigenitus, personne en France n'avait songé à la destruction de la société; seuls intéressés à la proscrire, les jansénistes avaient trop d'ennemis pour ne rencontrer que des auxiliaires. Presque également éloignés des deux partis, les philosophes ne souhaitaient pas la des→ truction de l'institut, parce qu'ils voulaient encore moins le triomphe du parlement de Paris et la résurrection de Port-Royal. Il n'y eut donc pas en France, quoiqu'on ait soutenu plus tard le contraire, un parti pris d'avance contre les jésuites, il n'y eut point de conspiration ministérielle; le duc de Choiseul ne leur suscita point d'ennemis dans le midi de l'Europe; il ne chercha point de prête-nom pour un complot dont il ne fut point l'instigateur. Ce n'est, je le répète, ni la France, ni ses écrivains, ni ses hommes d'état, qui eurent le tort ou l'honneur de proscrire le jésuitisme. La philosophie elle-même ne peut en être que très indirectement accusée. Il y a plus, cet évènement s'accomplit en dehors de son influence. Les hommes qui les premiers attaquèrent les jésuites n'étaient point les adeptes de la philosophie française; ses maximes leur étaient étrangères; des causes toutes locales, toutes particulières, toutes personnelles, atteignirent la société dans son pouvoir, si long-temps incontesté; et, pour comble d'étonnement, ce corps si vaste, dont les bras s'étendaient, comme on l'a dit souvent, jusqu'à des régions naguère inexplorées, cette colonie universelle de Rome, si redoutable à tous, parfois même à sa métropole, cette société de Jésus enfin, si brillante, si solide en apparence, reçut sa première blessure, non de quelque grande puissance, non sur un des principaux théâtres de l'Europe, mais à l'une de ses extrémités, dans une de ses monarchies les plus isolées et les plus affaiblies.

I.

C'est du Portugal que partit le coup. Est-ce de là qu'on devait l'attendre? Non, si on pense à la puissance de l'ordre, qui, dans ce pays, dominait tout, le monarque et le peuple, le trône et l'autel. Oui, si

on considère ce qu'une telle position avait d'excessif, et par conséquent de peu durable; si on se rappelle surtout les circonstances qui, soit fortuitement, soit par un lien logique, quoique secret, se rattachent à l'introduction des jésuites à la cour de Lisbonne. Sans doute ils avaient rendu à cette partie de la Péninsule quelques services partiels, ils lui avaient conquis des sujets nouveaux et utiles; à la Chine et dans les Indes, ils avaient jeté sur le nom portugais l'éclat d'une prédication consacrée par le martyre. L'établissement de la société n'en coïncide pas moins avec le déclin de la monarchie portugaise. Pour le malheur du Portugal, les jésuites et l'influence étrangère y entrèrent en même temps. Cette décadence ne fut point lente et progressive, mais rapide et instantanée. Contre le témoignage de presque tous les historiens, nous n'avons garde de l'attribuer aux jésuites; nous constatons seulement qu'il fut triste pour eux d'en avoir été les témoins actifs. A tort ou à raison, la responsabilité des évènemens retourne à ceux qui exercent le pouvoir, et, on ne peut le nier, le pouvoir leur a appartenu en Portugal, sans interruption ni lacune, dans toute cette période de deux cents ans (1540 à 1750).

Du XIVe siècle au xvre, le Portugal présente le phénomène d'une population faible, mais vivace, qui, par l'inspiration du courage, le génie de l'aventure, par un mélange de l'entraînement chevaleresque et du calcul commercial, par une sorte de compromis entre le passé et l'avenir, entre le moyen-âge et les temps modernes, s'élève subitement à la richesse, à la renommée, à la puissance, puis, arrivée à ce faîte, en redescend tout à coup, repoussée par le ressort qui l'avait fait monter si vite et si haut. C'est alors que les jésuites paraissent à Lisbonne. En 1540, ils sont présentés à Jean III. Dès ce moment, tout s'arrête. A peine reçus, ils dominent. L'inquisition elle-même les voit venir avec jalousie; elle leur oppose quelque résistance, mais en vain : l'inquisition leur cède et les adopte. Ils demandent le libre exercice de l'enseignement; l'université de Coïmbre succombe. D'abord ils partagent avec elle ses bâtimens; au bout de sept ans, ils l'en chassent. La superstitieuse jeunesse de dom Sébastien, le règne du cardinal-roi, signalent à la fois l'agonie de la monarchie portugaise et le triomphe des jésuites. Ils reçoivent les Espagnols à bras ouverts; plus tard, leur expulsion les afflige, mais ils ne tardent pas à s'imposer à la nouvelle dynastie. Ils gouvernent sous le nom des deux reines, la veuve de Jean IV et la femme d'Alphonse VI, remariée à son beau-frère du vivant de son premier mari, qu'elle détrône et qu'elle enchaîne sur

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