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à M. Bunsen, avec qui le poëte noua des relations toujours continuées. Pendant son séjour à Rome. Leopardi inséra dans les Effemeridi letterarie Romane de savants articles sur le Philon arménien d'Aucher, sur la République de Cicéron publiée par Mai; il donna une grande dissertation critique sur la Chronique d'Eusèbe publiée par le même infatigable Mai conjointement avec Zohrab. Ce sont, assure-t-on, les plus importants parmi ses travaux de ce genre; le jugement de Niebuhr nous dispense d'y insister davantage. Ce séjour de Rome fut peu propre d'ailleurs à faire revenir Leopardi de certaines préventions et aversions déjà conçues. A côté des satisfactions fort douces qu'il y recueillit, il ressentit bien des ennuis, bien des gênes, sans parler de celles qui tenaient à sa situation personnelle. Il éprouva, comme Courier, la jalousie et les mauvais tours de certain bibliothécaire, de quelque collègue ou successeur de ce Manzi qu'il a fustigé sous l'allégorie du Manzo (bœuf) dans des sonnets satiriques un peu trop conformes au sujet (1).

« ejus honore et incremento lætabor: » Merobaudis carminum Reliquiæ; Bonn, 1824.)

(1) J'avais cru d'abord que c'était à cette époque même et pendant son voyage à Rome que Leopardi avait eu maille à partir avec Manzi; mais celui-ci était mort en février 1821, et la vengeance de Leopardi remonte à l'année 1817 et se rattache à une polémique littéraire dans laquelle Manzi s'était montré grossier. Leopardi parle d'ailleurs avec dégoût, dans l'une de ses lettres, de la infame gelosia de' bibliotecarii, insuperabile a chi non sia interessato a combatterla personalmente. Quand il énumère les congés de la Vaticane et des autres bibliothèques, qui sont en vacances la moitié de l'année, et qui, le reste du temps, profitent de toutes les

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En 1824, parut à Bologne le premier recueil de ses Canzoni, contenant les trois premières déjà publiées et sept autres inédites. Le poëte était retourné de Rome à Recanati, à l'abborrito e inabitabile Recanati, comme il l'appelle. Sa santé s'altérant de plus en plus, et les études philologiques lui devenant presque impossibles, la douleur et la solitude lui inspirèrent un redoublement de révolte et de plainte; sa poésie en prit un plus haut essor, et son malheur, comme à tant d'autres, fit sa gloire. Il faudrait analyser chacune des canzones nouvelles de ce volume, car chacune a son caractère et ses beautés. Pour les noces de sa sœur Paolina, il compose un épithalame héroïque qui semble destiné à Cornélie: « Tu auras des fils ou malheureux ou lâches préfère-les malheureux! » En adressant une sorte de chant pindarique à un jeune homme vainquéur au ballon (ces sortes de jeux et de victoires ont beaucoup de solennité en Italie), il passe vite de la félicitation triomphante à un retour douloureux: l'antique palestre était une école de gloire; on courait de l'Alphée et des champs d'Élide à Marathon; mais ici, qu'est-ce? L'éphèbe, vainqueur des jeux, survit à la pa

fêtes et de tous les saints du calendrier, sans compter deux ou trois jours de clôture régulière par semaine, il me rappelle le conte malin de Boccace imité par La Fontaine. Il semble tout à fait que le gouvernement de ce pays applique à la science le calendrier des vieillards, de peur qu'elle ne devienne féconde :

On sait qui fut Richard de Quinzica,
Qui mainte fête à sa femme allégua,
Mainte vigile et maint jour fériable...

trie; il a sa couronne, et elle n'en a plus: « La saison est passée; personne, aujourd'hui, ne s'honore d'une telle mère. Mais pour toi-même, ô jeune homme! élève là-haut ta pensée. A quoi notre vie est-elle bonne, sinon à la mépriser? » Le chant au printemps, où il redemande à la nature renaissante l'âge d'or des fables antiques, développe une pensée que nous avons déjà entendu exprimer au poëte au sujet de la découverte de Colomb; il se reprend d'un regret passionné à ces douces illusions évanouies, irréparables :

« Hélas! hélas, puisque les chambres d'Olympe sont vides et que l'aveugle tonnerre, en errant aux flancs des noires nuées et des montagnes, lance à la fois l'épouvante au sein de l'innocent et du coupable; puisque le sol natal, devenu étranger à sa race, ne nourrit que des âmes contristées, c'est à toi d'accueillir les plaintes amères et les indignes destinées des mortels, ô belle nature; à toi de rendre à mon esprit l'antique étincelle, si toutefois tu vis, et s'il existe telle chose dans le ciel, si telle chose sur la terre féconde ou au sein des mers, qui soit, oh! non pas compatissante à nos peines, mais au moins spectatrice!

« Pietosa no, ma spettatrice almeno! »

Le Dernier Chant de Sapho, tout vibrant d'une sauvage âpreté et tout chargé des plus sombres couleurs de l'Érèbe, peut sembler, sous ce masque antique, un cri presque direct de l'âme du poëte, à l'une de ces heures où, lui aussi, il fut tenté de lancer sa coupe au ciel et de rejeter l'injure de la vie :

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Mais c'est autour de la pièce intitulée Bruto minor (Brutus le jeune, celui de Philippes), qu'il faut surtout nous arrêter, parce qu'ici est la clef de toute la philosophie négative de Leopardi, le cachet personnel et original de son genre de sensibilité poétique.

La pièce, dans l'édition première (Bologne, 1824), est précédée d'une préface en prose: Comparaison des pensées de Brutus et de Théophraste à l'article de la mort ; on a eu le tort de supprimer ce morceau capital dans les éditions subséquentes. Brutus, on le sait, près de se percer de son épée, s'écria, selon Dion Cassius : « O misérable Vertu, tu n'étais qu'un nom, et moi je te suivais comme une réalité; mais tu obéissais en esclave à la fortune (1). » Et le vieux Théophraste, comblé de jours et d'honneurs, à l'âge de plus de cent ans, interrogé par ses disciples au moment d'expirer, leur répondit par des paroles moins connues, non moins mémorables, et qui revenaient à dire qu'il n'avait suivi qu'une fumée, et qu'il se repentait de la gloire, autant que Brutus de son côté se repentait de la vertu (2). Or, vertu et gloire, chez les Anciens, c'étaient deux noms divers

(1) Les paroles de Brutus ne sont qu'une citation qu'il faisait d'un ancien tragique inconnu : ce sont deux vers, alors célèbres, qu'il appliquait à sa situation. Cela ôte un peu au sens absolu qu'on y attache.

(2) Il y a beaucoup d'obscurité, au reste, et même d'incohérence dans les paroles de Théophraste, telles que les donne le texte de Diogène de Laërte. Leopardi les a légèrement façonnées en les traduisant, et leur a prêté un sens plus net et plus absolu qu'une - critique philologique sévère n'est peut-être en droit de leur attribuer.

༢ ་ཆ་

pour désigner à peu près le même objet idéal, but des grandes âmes. Aujourd'hui, remarque très-bien Leopardi, ces reniements et, pour ainsi dire, ces apostasies des erreurs magnanimes qui embellissent ou mieux qui composent notre vie, et lui donnent proprement ce qu'elle tient de la vie plutôt que de la mort, ces sortes de paroles sceptiques sont très-ordinaires et n'ont plus de quoi surprendre : l'esprit humain, marchant avec les siècles, a découvert la nudité et comme le squelette des choses; le christianisme a changé le point de vue de la sagesse ; et elle consiste à dénoncer à l'homme sa misère plutôt qu'à la couvrir et à la dissimuler. Mais il n'en était pas ainsi chez les Anciens, accoutumés, selon l'enseignement de la nature, à croire que les choses étaient des réalités et non des ombres, et que la vie humaine était destinée à mieux qu'à la souffrance. Leopardi discute donc, avec une curiosité aussi ingénieuse que pénétrante, le sens et la valeur de ces paroles, alors si étranges, de deux sages. Il agite très-longuement celle de Théophraste, plus étrange encore, selon lui, en ce qu'elle semble moins motivée. Quant au cri de Brutus, il le considère volontiers comme le dernier soupir de l'antiquité tout entière, au moment où va expirer l'âge de l'imagination. Brutus meurt le dernier des Anciens, et il crie au monde qu'il s'est trompé dans sa noble espérance. A partir de ce jour-là, l'humanité dépouilla sa robe virile et entra dans les années de deuil et de triste expérience. Les sages, éclairés sur la vérité toute nue, durent chercher un autre recours, non plus contre la fortune, mais contre

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