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qu'il avait recherché et constaté, mais ayant en lui un goût vif de curiosité et d'investigation, l'étincelle de la nouveauté en tout, M. Fauriel arrivait, dans l'histoire littéraire des âges précédents, à des résultats, à des aperçus d'ensemble qui n'étaient point ceux de M. Daunou. En ne demandant pas à celui-ci autre chose pourtant que ce qu'il fit et voulut faire, on a de quoi se dédommager dans le soin accompli qu'il y apporta et dans la précision élégante de l'exécution. On a beaucoup cité son Discours sur l'état des lettres en France au treizième siècle, qui est, en effet, le plus beau frontispice qui se puisse mettre à l'un des corps d'une histoire monumentale, non originale; ce discours forme, à lui seul, tout un ouvrage. La notice sur saint Bernard, plus courte d'un peu plus de moitié, est aussi célèbre. Cette biographie et ce jugement du saint peuvent se dire le chef-d'œuvre de l'impartialité, venant d'un sectateur du xvme siècle; on ne saurait demander plus. On y admire, à la réflexion, la rare puissance qu'il a fallu pour rassembler, pour coordonner et maintenir tant de faits et de rapports divers si prudemment et si nettement exprimés, sans que la plume ou le compas (je ne sais comment dire) ait dévié ni fléchi un seul instant durant tout ce long travail. M. Daunou aime à envisager ses sujets et ses personnages sous un angle peu ouvert, et, une fois la mesure prise, il ne varie plus d'une ligne dans tout le relevé: cela devient quelquefois merveilleux de dextérité, de patience et de sûreté de main. Nul autant que lui n'a su la propriété des termes, n'a possédé les ressources et les nuances de la

synonymie. On devine assez l'espèce de limites qu'il s'impose, lorsqu'il s'agit de moyen âge. M. Victor Le Clerc, en le célébrant dignement pour cet ordre de travaux, a cru pourtant devoir remarquer ce que l'habile devancier omet systématiquement, se refuse tout à fait à raconter et à reproduire dans ses résumés, d'ailleurs si exemplaires, qui laissent seulement à désirer pour la couleur et pour l'esprit des temps.

J'arrive au Cours d'Etudes historiques, la plus complète, la plus grandiose composition et le vrai monument de M. Daunou. On ne saurait assez se féliciter que le zèle de l'exécuteur testamentaire, M. Taillandier, ait procuré une publication que l'auteur (on ne voit pas bien pourquoi) s'était interdite, qu'il avait même, à un certain moment, interrompue avec alarmes, et qui, en tardant encore, pouvait devenir difficile ou impossible. Remercions hautement aussi MM. Didot d'avoir consenti, en ce temps de spéculations hâtives, à rendre ce service aux lettres sérieuses. L'apparence de ce Cours est des plus sérieuses en effet, mais on est bien payé de sa peine si l'on y pénètre. Fidèle à sa méthode, l'auteur y adopte trois grandes divisions: 1° l'examen et le choix des faits, premier travail préalablement nécessaire à l'historien, et qui comprend la question de la certitude et des sources, celle des usages et du but de l'histoire; 2o la classification des faits, quant aux lieux, quant au temps, c'est-à-dire géographie et chronologie; 3° l'exposition des faits, ce qui aboutit à l'histoire proprement dite, telle qu'elle se dessine aux lecteurs; les deux autres branches sont plutôt un travail

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de cabinet pour l'historien. Ces deux premières parties
sont publiées, et le septième volume, le dernier paru
(qui traite de la manière d'écrire l'histoire), forme l'in-
troduction de la troisième. Les résumés patients, les
discussions épineuses auxquelles l'auteur n'a pas craint
de se livrer, surtout dans les questions de chronologie,
sont plus souvent éclairées, ou même égayées, qu'on
ne pourrait croire, par les agréables ressources de son
esprit et les occasions littéraires qu'il a comme saisies
au passage. Lorsqu'il arrive à ce qu'il appelle la chro-
nologie positive, M. Daunou ne fait guère qu'en tirer.
prétexte pour retracer en douze leçons un tableau suc-
cinct de l'histoire universelle, dès avant Homère, jusqu'à
la mort de Voltaire. D'admirables et vigoureuses tou-
ches de pinceau et surtout de burin, des traits char-
mants, des médaillons bien frappés, ornent en mainte
page ce narré complexe et précis. Les grands hommes,
je le sais bien, sont trop souvent sacrifiés : Alexandre
est méconnu, outragé; Mahomet n'encourt que l'ana-
thème; M. Daunou, qui a trop vu Napoléon, ne les
aime pas. Héros, aventurier ou brigand, c'est tout un
pour lui; il est inexorable et sourd à cet endroit des
despotes et conquérants (1). Mais qu'un écrivain, un

(1) Voir sur Alexandre, tome VI, page 57; sur Mahomet, même volume, page 160, et encore tome III, page 505. Mahomet est flétri au delà de toute mesure: il cumulait en lui le conquérant et le prophète. L'auteur lui refuse, ainsi qu'à son Koran, toute espèce d'influence civilisatrice sur les destinées de l'Orient; il aurait pu interroger avec fruit là-dessus Bonaparte et ceux qui avaient vu l'Égypte. Qu'y faire? Mahomet, en son hégire, était très-peu de

l'an in assurément.

philosophe, un bienfaiteur incontestable des hommes se présente, que ce soit Confucius, Cicéron, Tacite ou Montesquieu, le narrateur ralentit sa marche et s'incline, son accent s'élève; ainsi, après les plus dignes hommages décernés au talent de Cicéron, il ajoutera ces paroles éloquentes : « Les juges sévères, qui pen<< seraient que son courage n'a pas toujours égalé ses « périls, le compteraient du moins au nombre des der«niers amis de la liberté romaine. Ils avoueraient que « celui de tous les hommes qui a le plus vivement << senti le besoin d'une renommée vaste et immortelle, «< a pourtant aimé sa patrie aussi passionnément que << la gloire. Jugeons-le comme l'ont jugé les triumvirs, « quand ils l'ont trouvé digne de ne pas survivre à la << liberté publique. » Sur d'autres écrivains qu'il juge plus en courant, il a de ces traits qu'on aime à rețenir; ainsi de Montaigne : « Philosophe, dit-il, non de « profession, mais par nature, sans programme et sans « système, observant toujours et n'enseignant jamais, << Montaigne laisse errer sa pensée et sa plume à tra« vers tous les sujets qu'elles rencontrent: jamais on « ne s'est aventuré avec un tel bonheur. » Il est impossible de mieux dire.

En terminant ce premier tableau succinct, dont il reprendra plus cn détail et développera certaines parties dans la suite de son enseignement, M. Daunou conclut par une page qui est la plus éclatante manifestation en l'honneur du xvme siècle; il faut la citer en entier, parce qu'elle vérifie beaucoup de nos assertions précédentes sur l'auteur, et parce qu'elle résume et nous

représente sous le jour le plus large et le plus lumineux toute sa doctrine.

<«< Ainsi, messieurs, disait-il, le xvure siècle, sans te« nir compte de ses vingt-deux dernières années (il « s'arrêtait en 1778, à la date de la mort de Voltaire), « est à jamais mémorable par le rapide et vaste progrès << des sciences mathématiques et physiques, et des « arts qui en dépendent. Ces sciences ont communiqué « leurs méthodes rigoureuses à tous les genres de con<< naissances, et contribué, quoi qu'on en ait dit, à rendre « le goût plus pur et plus sévère. Des disciples de Racine « et de Boileau ont pris des rangs glorieux au-dessous « de ces grands maîtres; et c'est bien assez rendre hom«mage aux meilleurs écrivains en prose du xviie siècle, « que de laisser indécise la question de savoir si ceux de « l'âge suivant ne les ont point surpassés. Du moins, << l'art d'écrire s'est appliqué à beaucoup de matières « et à des sujets plus importants. Les sciences morales « et politiques se sont agrandies, en subissant le joug « de l'analyse (1). On a conçu une idée plus juste du «< caractère et du but de l'histoire; on a voulu qu'elle « devînt un tableau des mœurs et de la destinée des << nations. L'antiquité a été plus attentivement et plus profondément étudiée. L'érudition elle-même s'est << quelquefois polie; on l'a vue s'efforcer de s'ennoblir << par l'exactitude et l'utilité de ses recherches. La rai<< son a peu à peu obtenu quelque influence sur les in

(1) Le joug, c'est bien le mot, et qui accuse de lui-même l'excès.

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