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au tribunal privé de leurs colères, de leurs préventions ou de leurs espérances. La dispersion des Jésuites à Lisbonne, à Paris, à Madrid, à Naples et à Parme, a été le produit d'opinions et de calculs contraires. Dans chaque État, les monarques et les ministres ont agi presque isolément. On les a tentés par l'appât des louanges philosophiques. Ils se sont laissé séduire par la pensée qu'une inique spoliation les enrichirait. Maintenant que l'œuvre de destruction est consommée chez eux, ils veulent forcer le Saint-Siége à sanctionner leurs décrets. Ils se coalisent pour faire subir à la cour de Rome la loi qu'ils sentent le besoin de lui imposer et pour légitimer

leur arbitraire.

Jusqu'à ce moment les efforts, les prières, les menaces des ambassadeurs avaient été inutiles. La mort de Clément XIII ouvrit un nouveau champ aux hostilités contre les Jésuites. L'alliance de quatre rois catholiques sollicitant l'extinction d'un Ordre religieux par tous les moyens possibles devait exercer une étrange influence sur les Cardinaux. Il fallait savoir si la philosophie l'emporterait sur la Religion, et si l'Église, pressée de tous côtés, consentirait enfin à accorder aux princes le droit de suicide, qu'ils invoquaient en aveugles. La guerre ne se faisait plus partiellement ; les adversaires de l'Ordre avaient combiné leur attaque. Ils désiraient anéantir la Société en forçant le successeur futur de Clément XIII à confirmer ce qu'ils avaient entrepris pour blesser l'autorité du Saint-Siége. Le Conclave qui se réunissait dans ces circonstances difficiles offrait à l'Espagne, à la France, au Portugal et aux Deux-Siciles une chance inespérée de succès. Il fallait intimider le Sacré Collége, l'exciter à immoler les Jésuites par une élection agréable aux puissances, et lui faire entrevoir dans un

prochain avenir la paix que les dernières mesures de Clément XIII avaient compromise.

Le 15 février 1769, treize jours après la mort du Souverain Pontife, dont les obsèques venaient de s'accomplir avec le cérémonial usité, le Conclave s'ouvrit. Les ambassadeurs de la maison de Bourbon ne cachaient ni leurs menées ni leur action. Au nom de leurs cours, ils demandaient, ils exigeaient même, que l'on attendît les Cardinaux français et espagnols. D'Aubeterre surtout parlait avec hauteur. Mais ces menaces diplomatiques n'effrayèrent point une partie du Sacré College. On voulait que le Saint-Siége s'humiliât devant des princes qui ne savaient même pas conserver la dignité de la justice. Le parti des Zelanti' s'indigna de voir Louis XV parler de vertu, et Choiseul, d'Aranda, Pombal ainsi que Tanucci prodiguer à l'Église des témoignages de leur vénération suspecte. Il tenta d'en finir avec les intrigues qui s'agitaient à la porte du Vatican, et l'élection du Cardinal Chigi n'échoua que faute de deux voix de majorité. Chigi était un Prêtre qui n'aurait pas reculé, et qui n'aurait jamais sacrifié la Compagnie de Jésus à des inimitiés philosophiques ou jansénistes. D'Aubeterre et Azpuru, ministre d'Espagne, jetèrent les hauts cris. Ils

Ranke, dans son Histoire de la Papauté, t. IV, p. 489, s'exprime ainsi :

« La scission qui partageait le monde catholique avait pénétré aussi, sous certain rapport, au sein de la cour romaine, où deux partis s'étaient déclarés, l'un plus sévère, l'autre plus modéré. »

Le parti que l'écrivain protestant désigne comme le plus sévère, et qu'à Rome on appelle 'es Ze'anti, tenait fortement, dans le Sacré Collège, pour les prérogatives du Saint-Siége et pour toutes les libertés de l'Église. Il se composait, en général, des cardinaux les plus exacts et les plus religieux, Clément XIII, Pie VI et Pie VII le représentèrent sur le tróne pontifical.

La fraction du Sacré Coliége que Ranke regarde comme plus modérée, et qui était connue sous le nom de parti des Couronnes, pensait que, tout en conservant l'essentiel, il fallait faire des sacrifices aux puissances temporelles et à l'esprit du siècle. Elle se formait, du moins dans ses membres les plus avancés, d'hommes politiques, de cardinaux diplomates. Benoît XIV fat l'expression de cette nuance dans le sens le plus restreint; Clément XIV la résuma dans celui des concessions.

annoncèrent dans la ville que, si le vœu des Couronnes n'était pas exaucé, la France, l'Espagne, le Portugal et les Deux-Siciles se sépareraient de la communion romaine. Ces violences morales produisirent l'effet attendu quelques Cardinaux, jugeant de la force du Catholicisme par leur propre faiblesse, n'osèrent pas exposer à de nouvelles tempêtes la barque de saint Pierre, qui n'est cependant jamais plus affermie sur les flots que lorsqu'elle brave les vents de l'Hérésie ou de l'iniquité. On consentit à différer l'élection jusqu'à l'arrivée des Cardinaux français et espagnols. Cette concession, arrachée à de méticuleuses habiletés ou inspirée par un sentiment de pacification toujours respectable, même dans ses erreurs, laissait la victoire aux mains des puissances temporelles. Dès lors il ne s'agit plus dans le Conclave que de faire surgir un Cardinal acceptant la ligne de conduite tracée par les Couronnes. Cette ligne se réduisait à quelques exigences plus ou moins déplorables pour l'Église. Le 19 février 1769 Louis XV et le duc de Choiseul les résumèrent dans les instructions données aux Cardinaux de Luynes et de Bernis partant pour Rome.

« Le règne de Clément XIII, lit-on dans ce document secret, n'a que trop démontré que la piété la plus sincère, les mœurs les plus pures et les intentions les plus droites ne suffisent pas pour faire un bon Pape, et qu'il lui faut de plus les lumières et les connaissances nécessaires pour l'administration tant spirituelle que temporelle dont il est chargé, et qui manquaient absolument à Clément XIII. De là vient que, certainement sans le vouloir et vraisemblablement sans le savoir, il a fait plus de tort à l'Église romaine que plusieurs de ses prédécesseurs moins réguliers et moins religieux que lui. Il

n'avait aucune notion approfondie des cours, des affaires politiques et des égards qui sont dus à la personne et à l'autorité indépendante des autres souverains. Conduit par des conseils passionnés et fanatiques, il a formé des entreprises et s'est porté à des démarches dont l'injustice et la violence ont obligé la France, l'Espagne, les DeuxSiciles, le Portugal, la République de Venise et quelques autres puissances à réclamer hautement contre les atteintes qu'il a portées aux droits sacrés et inaliénables de leur souveraineté. »

Le même ton de dédaigneuse pitié ou de misérable vanité princière perce à chaque ligne de ces instructions. On sent que Louis XV et Choiseul essaient de se relever des hontes militaires ou diplomatiques qu'ils ont amassées sur la France, et c'est sur l'Église désarmée, sur la Compagnie de Jésus qui ne résiste pas, qu'ils dirigent leurs batteries. L'abolition absolue et totale de la Société est la première des conditions à obtenir pour réconcilier les puissances avec la Cour romaine; les autres regardent les démêlés du Saint-Siége avec le duc de Parme. Il y en a une qui intéresse directement la France. Choiseul a perdu la Martinique, il a lâchement abandonné le Canada aux Anglais; pour offrir à son pays une glorieuse compensation, il déclare « que Sa Majesté a résolu de réunir à perpétuité à sa couronne la ville et le comtat d'Avignon. » Louis XV craiguait les âmes vigoureuses; ses instructions sur ce point sont aussi tranchantes que sur les autres. Choiseul ne veut pas qu'un Pontife de cœur et de tête vienne s'asseoir sur la chaire apostolique, et il dit : « Le Roi n'a point personnellement de plan formé, soit pour porter au trône pontifical, soit pour en exclure tel ou tel membre du Sacré Collége. Sa Majesté désire même de ne se

point trouver dans la nécessité de donner à quelqu'un d'eux une exclusion authentique. Il y a cependant un cas où il faudrait encore en user, et ce serait celui où MM. les cardinaux de Luynes et de Bernis auraient lieu de penser que les voix nécessaires pour élire un Pape pourraient se réunir en faveur d'un sujet dont les préjugés personnels, les affections particulières et un zèle aveugle et imprudent ne pourraient que rendre son administration dangereuse, et peut-être pernicieuse et fatale à la Religion et à la tranquillité des États catholiques. De ce nombre sont les cardinaux Torregiani, Boschi, Buonaccorsi et Castelli. »

Ces instructions étaient communes à Luynes et à Bernis; mais ce dernier possédait la confiance du cabinet de Versailles, il était chargé de ses pleins pouvoirs. Bernis avait été le protecteur du duc de Choiseul, qui, redoutant en lui un rival, le fit exiler dans son diocèse d'Alby. Là ce prince de l'Eglise, dont, jusqu'à ce moment, la cour et la ville n'avaient connu que l'élégance poétique, les charmes de l'esprit et l'aménité de caractère, oublia ses rêves de jeunesse, de plaisirs et d'ambition pour des vertus plus épiscopales. L'ami de madame de Pompadour, le poète que Voltaire avait surnommé Babet la Bouquetière, se transforma en prélat plein de magnificence et de charité. Dans son ambassade de Venise, il avait été agréable à Benoît XIV et au Saint-Siége; il n'était hostile à personne; il aimait l'éclat et l'apparence du pouvoir. On accorda à ses spirituelles vanités tout ce qu'elles pouvaient exiger; on le berça de l'idée que son affabilité un peu maniérée, que ses talents diplomatiques séduiraient le Sacré Collége; on l'enivra d'encens, on lui promit l'ambassade de Rome, s'il parvenait à faire élire un Pape agréable aux Bourbons, et par con

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