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laurier ou de chêne. Puis, sur l'autel de la patrie, qu'entouraient des groupes de peupliers et des candėlabres supportant des cassolettes fumantes d'encens, aux pieds de la statue de la Liberté, le Directoire ayant pris séance, La Revellière-Lépeaux célébra le héros dans un discours plein de bons sentiments et de déclamations théophilanthropiques. Lorsqu'il eut fini au milieu des sanglots, et que, comme intermède, quarante jeunes élèves du Conservatoire, vêtues de blanc, les cheveux ornés de bandelettes et portant des écharpes de crêpe, eurent chanté, autour du mausolée, une strophe de l'hymne de Chénier mise en musique par Cherubini; après que ces jeunes élèves, deux à deux, d'une main tremblante et en détournant leurs regards où se peignaient l'attendrissement et la douleur, furent venues déposer leurs branches de laurier aux pieds de l'effigie du mort (1); en ce moment solennel, le citoyen Daunou, membre de l'Institut national, et chargé par lui de faire le panégyrique du héros, s'avança, tenant à la main aussi sa branche de laurier, et parla sur les degrés du mausolée : «.... Oui, nous la conserverons, la République, s'écriait-il en finissant, nous la conser« verons pour qu'elle soit le temple de ta mémoire, << l'asile de ton vertueux père, et la gloire de tous les « guerriers qui l'ont défendue comme toi. Nous re« pousserons la Terreur qui t'opprima, comme le roya<«lisme qui te proscrivit, et nous maintiendrons cette

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(1) Le procès-verbal officiel ajoute à cet endroit : « Une d'elles, succombant à l'oppression du sentiment, s'évanouit et tombe dans les bras de ses compagnes. >>

<< Constitution de l'an I, qui fut le constant objet de » ton dévouement, de tes vœux, de tes espérances; <«< nous saurons, à ton exemple, résister aux factions, « braver les périls, et ne connaître sur la terre d'autres «< puissances irrésistibles que celles devant qui seule«ment a pu fléchir ton âme républicaine: la loi, la « vertu, la nécessité et la mort. »>

Daunou me paraît représenter très-bien l'éloquence d'alors, celle de l'an ш dans son meilleur ton, caractère romain, style latin (conciones), marche un peu lourde, très-grave du moins, ferme, nombreuse, un rare éclat, mais qui frappe d'autant plus, un air stoïque : des Latins, si l'on veut, qui ont eu leur Condillac, mais qui sont d'un bon siècle encore. Lorsque, plus tard, le Consulat se lèvera dans sa gloire, quand le génie du XVIe siècle reparaîtra de loin sur l'horizon, et que l'éloquence, comme le ciel, s'éclairera, on aura l'Éloge de Washington et Fontanes.

Une question inévitable se pose ici : à voir ce grand rôle extérieur de Daunou depuis Thermidor, cette mise en dehors perpétuelle de ses talents et de sa personne, on se demande : Était-ce donc bien là, en vérité, le même que ce savant renfermé et ce politique circonspect que nous avons connu? N'y avait-il pas en lui, durant ces années, un homme jeune, énergique, espérant, dont le ressort, à un certain moment, s'est brisé ou resserré du moins, et dont nous n'avons guère vu que l'homme d'étude survivant qui s'était à la fin comme recloîtré? J'ai déjà indiqué l'opinion de M. Magnin, qui pense que, même en sa plus libre et sa plus éner

gique allure, le Daunou d'alors était très-près de ressembler à celui que nous savons. Quelques faits toutefois permettront le doute un moment.

Lorsque ses illusions républicaines eurent été atterrées et anéanties par l'ambition de Bonaparte, après l'élimination du Tribunat, après la suppression de la classe des Sciences morales et politiques, vers 18031804, Daunou, profondément affecté, se croyant de plus menacé dans sa place de bibliothécaire par suite de tracasseries avec son collègue Ventenat, fit une maladie grave, une de ces maladies nerveuses qui, coïncidant avec un âge qui est critique aussi pour l'homme, peuvent certainement altérer la trempe du caractère et briser quelque chose en nous. Une angoisse inexprimable s'était emparée de son âme; l'application lui était devenue impossible, la lumière odieuse; un simple coup de sonnette l'agitait et lui arrachait des larmes. De la bibliothèque du Panthéon, où il logeait alors, on le menait promener au Jardin des Plantes comme un débile convalescent. Fouché, dont les émissaires n'étaient pas étrangers à ces motifs de terreur, le fit pourtant rassurer sous main, lui fit dire qu'il prenait les choses trop à cœur (1). Marie-Joseph Chénier lui-même, vers cette époque et sous le coup des déceptions pa

(1) Daunou avait été très-lié avec Fouché, non pas à l'Oratoire, mais depuis, à la Convention, où les rapprochaient les souvenirs de cette commune origine. Fouché avait d'abord, ainsi que Daunou, des sentiments politiques modérés; la peur le jeta dans les extrémités atroces. Après Thermidor, Daunou avait activement contribué à le sauver de ia réaction qui l'aurait atteint,

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triotiques, éprouvait un ébranlement de ce genre, et des soupçons d'empoisonnement traversaient son esprit. Jean-Jacques Rousseau, on le sait, et Bernardin de Saint-Pierre, à un certain âge, éprouvèrent aussi de telles crises; ils n'y échappèrent qu'en conservant une teinte de misanthropie chagrine et une sensibilité plus ou moins aigrie. Daunou en triompha plus heureusement et retrouva son égalité d'humeur pour l'étude; mais une méfiance secrète s'infiltra ou s'accrut en lui; il eut, lui, on peut le dire, sa misanthropie, non point exaltée comme Jean-Jacques ou aigre-douce comme Bernardin, non point ardente et satirique comme Chénier, égoïste et oisive comme Sieyès, mais sa misanthropie studieuse. Il vérifia aussi, par son exemple, ce mot du moraliste : « Il se refait vers le milieu de la vie une manière de bail avec nos diverses facultés; bien peu le renouvellent. » Ce qui est vrai même dans le cours naturel d'une vie arriva ici par secousse : Daunou dut rompre, un certain jour, avec une partic de son être; il se replia au dedans, et, sous son enveloppe sévère, il déroba de plus en plus une de ces âmes sensibles, délicates, à jamais contraintes et trop souvent consternées, qui ne recommencent plus l'expé rience et n'en demeurent que plus fidèles aux em preintes reçues.

Tout ceci, en restant parfaitement exact, n'empêche point que, même en son temps de plus grand essor, Daunou n'ait eu bien des velléités d'arrêt qui le faisaient identique au fond à ce que nous l'avons vu. Il ne portait point la main aux choses de lui-même, de son

propre mouvement, mais seulement parce qu'il était en demeure et en devoir de le faire. Sorti du Conseil des Cinq-cents au mois de prairial an V et n'y devant rentrer que par une élection l'année suivante, voyezle dans l'intervalle il se confine du premier jour dans sa Bibliothèque du Panthéon et ne s'occupe plus que de mettre de l'ordre dans cette masse de livres, d'organiser le catalogue; c'est beau, c'est touchant de la part de celui qui vient de contenir d'autres masses et d'organiser la république; mais était-ce là le fait d'un homme politique actif et surtout d'un homme de gouvernement en de telles circonstances? M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères après le 18 fructidor, lui écrit une lettre aimable et coquette pour lui offrir la place de secrétaire général auprès de lui Talleyrand doublé de Daunou, cela eût fait, convenons-en, une combinaison piquante et parfaite: chacun aurait eu de quoi prêter à l'autre. Daunoù refusa et resta au milieu de ses livres. Il refusa, non point, je le crois, parce que c'était Talleyrand qui offrait, mais parce qu'il aimait mieux garder son coin, quand il n'y avait pas nécessité d'en sortir. D'autres, remarquez-le, auraient été tentés d'accepter, précisément parce que c'était Talleyrand lui-même, c'est-à-dire un nouveau monde à étudier, d'autres relations à embrasser et à saisir; la curiosité les aurait poussés. Daunou n'avait pas le principe de curiosité, ou bien quelque chose de plus fort en lui le réprimait. Mme de Staël aussi fit toutes sortes d'avances gracieuses en ce temps pour l'apprivoiser; elle ne réussit qu'à lui inspirer de la re

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