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moignait le Pape, ce Cardinal croyait partager le fardeau des affaires. Par affection pour Clément XIV, ou par un sentiment d'équité en faveur des Jésuites, on le voyait se porter médiateur entre les impatiences espagnoles et les insolences de Pombal. Le Souverain Pontife se montrait bienveillant pour tous, il demandait à étudier mûrement la question; Bernis se chargea d'obtenir des délais. Pendant ce temps, on éloignait du Vatican les Cardinaux qui avaient dirigé les affaires sous Rezzonico. On isolait Ganganelli, on lui persuadait en le flattant qu'il devait à sa politique de conciliation, ainsi qu'à sa connaissance des hommes, de gouverner, de tout voir par lui-même. On l'entourait peu à peu de Prélats hostiles à la Société de Jésus, on tendait des piéges à son amour de la paix, on l'amenait à rompre insensiblement avec ceux qui auraient éclairé son équité naturelle.

Ces sourdes manœuvres que, sous la protection de Bernis et d'Azpuru, les ambitions ou les haines locales propageaient à l'ombre de la tiare, n'échappèrent point au comte de Kaunitz, ambassadeur de Marie-Thérèse. Le 14 juin 1769, Kaunitz, au nom de l'Impératrice, se présente à l'audience du Pape. Dans l'intérêt de l'Église, il lui recommande d'avoir égard au vœu de sa Souveraine, qui ne consentirà jamais à laisser détruire l'Ordre de Jésus. Clément promet de faire ce qu'il pourra, et deux fois dans quarante jours il refuse de recevoir le Général des Jésuites venant le complimenter pour les fêtes de saint Louis de Gonzague et de saint Ignace.

On ne cessait de répéter au Pape que rien n'avait tant nui aux Jésuites que la bienveillance éclatante dont son prédécesseur les entoura. Une fois assis sur le trône apostolique, Ganganelli crut devoir tenir une tout autre conduite. Il se montra si hostile à la Compagnie, qu'il ne voulut jamais adresser la parole à aucun des Pères; et lorsqu'il en apercevait quelques-uns se prosterner sur

son passage pour recevoir sa bénédiction, il affectait de détourner la tête. Il interdit aux officiers, aux serviteurs du palais tout rapport, toute communication avec les Jésuites. Ces mesures ne désarmaient point les adversaires de l'Institut. Plus elles étaient rigoureuses, plus elles alimentaient le soupçon fixe et tenace qu'il agissait ainsi par politique. Afin d'arriver au Pontificat suprême, Clément XIV s'était écarté du chemin de la vérité. Il apprenait à ses dépens que les ruses diplomatiques ne laissent au Pape qui les emploie qu'un appui trompeur. Il dissimulait pour obtenir des délais; mais de quelque voile qu'il essayât de couvrir ses pensées, il y avait à Rome des yeux pour pénétrer dans cet abîme; et Azpuru écrivait le 3 juillet au comte d'Aranda : « Le Pape veut nous jouer; mais il ne faut pas que le Roi se laisse prendre à ses finesses. Sa haine contre les Jésuites est une véritable supercherie; c'est pour gagner du temps qu'il emploie toutes ces petites ruses. En attendant il cherche un moyen honorable pour sauver à tout prix l'existence des Jésuites. Sa Majesté doit donc persister plus que jamais à demander en termes formels la destruction de l'Institut et se refuser à tout arrangement. »

Dans un Bref commençant par ces mots : Cœlestium munerum thesauros, Clément XIV, le 12 juillet 1769, accordait des indulgences aux Jésuites missionnaires. Il disait « Nous répandons volontiers les trésors des biens célestes sur ceux que nous savons procurer avec grande ardeur le salut des âmes, et par leur vive charité envers Dieu et envers le prochain, et par leur zèle infatigable pour le bien de la Religion. Comme nous comprenons parmi ces fervents ouvriers dans le champ du Seigneur les Religieux de la Compagnie de Jésus, et ceux surtout que notre bien aimé fils Laurent Ricci a dessein d'envoyer cette année et les années suivantes dans les diverses Provinces pour y travailler au salut des âmes,

nous désirons aussi très certainement entretenir et accroître par des faveurs spirituelles la piété et le zèle entreprenant et actif de ces mêmes Religieux. >>

A la lecture du Bref accordé selon la coutume et dans la teneur ordinaire, les cours d'Espagne, de Naples et de Parme font entendre les plus vives protestations. Elles réclament contre cet acte, qui n'est pas un témoignage de la bienveillance du Pontife, mais un usage immémorial. Elles s'étonnent que la secrétairerie romaine ait suivi en faveur de la Société de Jésus le protocole adopté. Les Jésuites étaient condamnés au tribunal des Couronnes, ils n'avaient plus de justice, plus même d'indulgence à attendre du Saint-Siége.

Don Manuel de Roda signifie en ces termes, le 15 août, la volonté de Charles III à Nicolas d'Azara : « On ne saurait croire quelle rumeur a occasionné le Bref du Pape en faveur des Jésuites missionnaires; des copies en ont été répandues, non seulement à Madrid, mais dans toute l'Espagne. Ceux qui pensent bien, se sont indignés et vomissent des injures contre Rome; mais ceux du tiers-ordre triomphent et poussent avec le Bref le même cri que provoquait la Bulle de la Croisade. Plusieurs ministres voulaient que le conseil suprême le supprimât; mais on leur a répondu qu'il semblait plus expédient de n'employer que l'insouciance et le mépris, afin que le Pape ait égard à notre modération, et s'engage d'autant plus vigoureusement dans la juste et prompte extinction de la Compagnie. Je tiens pour certain tout ce que vous me dites sur cette affaire, mais je laisse encore courir les choses. Cette transaction ne se fait pas par mes mains, autrement je raccourcirais tellement les limites du temps, que l'on viendrait bientôt à savoir si le Pape procède tout de bon, et si ses ministres agissent avec énergie. »>

Clément XIV était débordé : la transaction dont parle

Roda ne restait plus un secret; on allait, à force d'affronts, faire expier au Pontife le pacte du 16 mai, Ganganelli cherchait à s'insinuer dans les bonnes grâces de Charles III et de Joseph Ier. Il déférait à leurs vœux, il exauçait la moindre prière; il suspendait les effets du Bref par lequel son prédécesseur avait excommunié le duc de Parme; mais ces avances cordiales ne désarmaient point les colères dont la Société de Jésus était l'objet. Le Pape sentit si bien sa position, que moins de six mois après son exaltation il écrivit à Louis XV:

« Quant à ce qui concerne les Jésuites, je ne puis ni blâmer ni anéantir un Institut loué par dix-neuf de mes prédécesseurs. Je le puis d'autant moins qu'il a été confirmé par le saint Concile de Trente, et que, selon vos maximes françaises, le Concile général est au dessus du Pape. Si l'on veut, j'assemblerai un Concile général où tout sera discuté avec justice, à charge et à décharge, dans lequel les Jésuites seront entendus pour se défendre; car je leur dois, ainsi qu'à tout Ordre religieux, équité et protection. D'ailleurs la Pologne, le roi de Sardaigne et le roi de Prusse même m'ont écrit en leur faveur. Ainsi je ne puis, par leur destruction, contenter quelques princes qu'au mécontentement des autres. »

Personnellement Louis XV entrait dans cette idée de justice que le Pontife suggérait. Le Roi de France et le Pape étaient convaincus que l'Église, assemblée en concile, ne sacrifierait jamais la Société de Jésus aux exigences des incrédules. Ainsi Ganganelli échappait à la responsabilité du pacte signé avant son élection. Ce plan avait l'assentiment de tous les esprits sérieux, mais il n'allait pas aux emportements de Charles III, à l'insouciance de Choiseul et au vœu des Philosophes. Le 26 août 1769, le ministre de Louis XV faisait part au cardinal de Bernis de ses projets ultérieurs; il le pressait d'en finir avec la Compagnie de Jésus. Choiseul,

dans cette dépêche, disait avec sa légèreté habituelle :

« Je ne pense pas : 1° qu'il faille confondre la dissolution des Jésuites avec les autres objets en contestation, desquels il ne faut pas même parler à présent. Le seul objet actuel est la dissolution. Tous les autres objets s'accommoderont d'eux-mêmes quand il n'y aura plus de Jésuites.

« 2o Je pense avec le roi d'Espagne que le Pape est faible ou faux faible, tâtonnant d'opérer ce que son esprit, son cœur et ses promesses exigent; faux, en cherchant à amuser les Couronnes par des espérances trompeuses. Dans les deux cas, les ménagements sont inutiles à son égard; car nous aurons beau le ménager, s'il est faible, il le sera encore davantage quand il verra qu'il n'a rien à craindre de nous. S'il est faux, il serait ridicule de lui laisser concevoir l'espérance que nous sommes ses dupes. Ce serait l'être, monsieur le Cardinal, d'attendre que le Saint-Père eût le consentement de tous les princes catholiques pour l'extinction des Jésuites: vous sentez combien cette voie entraîne de longueurs et de difficultés. La cour de Vienne ne donnera son consentement qu'avec des restrictions et une négociation avantageuse. L'Allemagne le donnera avec peine; la Pologne, excitée par la Russie, pour nous faire niche, le refusera; la Prusse et la Sardaigne (j'en ai connaissance) en useront de même. Ainsi le Pape ne parviendra sûrement pas à réunir ce consentement de princes, et, quand il nous avance ce préliminaire, il nous traite comme des enfants qui n'ont aucune connaissance des hommes, des affaires et des cours.

« Mais, lorsque le Saint-Père ajoute qu'au consentement des princes il faut ajouter celui du Clergé, il se moque réellement de nous. Vous savez aussi bien que nous, Monsieur le Cardinal, que ce consentement du Clergé ne pourra se donner dans les formes qu'en assem

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