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suader que les habitants du patrimoine de saint Pierre avaient autant de confiance en lui que le reste de l'Europe. Ganganelli ne voulut pas se rappeler que dans les acclamations dont il enivre un Souverain le peuple trouve une garantie de liberté pour les malédictions qu'il tient en réserve. L'enthousiasme et les tendresses des Romains sont aussi variables que leur climat, et dans ces moments de délire paternel ou filial, Pontife et Chrétiens, tous oublièrent cette grave parole du général Colletta, l'un des écrivains révolutionnaires d'Italie : << La popularité et la clémence, dit-il dans son Histoire du royaume de Naples (1), sont un luxe de rois, tandis la justice et la fermeté sont les seules mobiles du gouvernement. >>

que

Au milieu des transports de joie dont les citoyens de Rome poursuivent toujours le nouveau Pontife (2), Ganganelli était radieux. On lui apprenait combien il est doux d'être Pape; sous le mensonge de cet enthousiasme, il tâcha de ne plus savoir à quelles conditions il l'était devenu. Il s'imaginait que ses promesses dilatoires, que ses flatteries aux Souverains, que surtout sa bonne volonté en paroles lui permettraient de gagner du temps, et qu'ainsi il pourrait, à l'aide d'une sage tolérance, arriver à cicatriser les plaies de la Catholicité, sans avoir besoin de frapper la Compagnie de Jésus. Cette politique expectante, qui entrait si bien dans les vues de

(1) Storia del reame di Napoli, del generale Pietro Coletta, libro sesto, p. 62.

(2) Dans une lettre au prélat Cerati, sur la mort de Benoît XIV, lettre datée du 6 mai 1758, Laurent Ganganelli, encore simple cordelier, s'exprime ainsi sur les Romains: « Le peuple romain, qui s'élève et s'abaisse comme les flots de la Méditerranée et qui voudrait changer de Pape tous les ans, s'applaudit de ce qué celui-ci, qui en a régné dix-neuf, vient enfin de mourir; mais laissons-le se livrer à sa joie insensée. Avant six mois, il sentira son malheur et il s'unira au monde entier pour pleurer son malheur.»

Louis XV, ne convenait pas plus au roi d'Espagne qu'à Choiseul, à Pombal et à d'Aranda. Les Philosophes espéraient en Clément XIV. Le roi de Prusse, Frédéric II, était leur maître et leur adepte; mais Frédéric les connaissait de longue date. Il disait souvent que, s'il avait une de ses provinces à punir, il la donnerait à gouverner aux Philosophes. Il voulait récompenser la Silésie; malgré les prières et les menaçants sarcasmes des Enclopédistes, il y maintint les Jésuites. La détermination du roi de Prusse était irrévocable; d'Alembert cependant l'associait à la joie que l'élection de Clément XIV faisait éprouver aux incrédules, et le 16 juin 1769 il lui mandait (1): « On dit que le Cordelier Ganganelli ne promet pas poires molles à la Société de Jésus, et que saint François d'Assise pourrait bien tuer saint Ignace. Il me semble que le Saint-Père, tout Cordelier qu'il est, fera une grande sottise de casser ainsi son régiment des gardes, par complaisance pour les princes catholiques. Il me semble que ce traité ressemble à celui des loups avec les brebis, dont la première condition fut que celles-ci livrassent leurs chiens; on sait comment elles s'en trouvèrent. Quoi qu'il en soit, il sera singulier, Sire, que, tandis que Leurs Majestés très chrétienne, très catholique, très apostolique et très fidèle détruisent les grenadiers du Saint-Siége, votre très hérétique Majesté soit la seule qui les conserve. »

Sous une forme légère, d'Alembert révèle le dernier mot des Philosophes. Ce dernier mot, c'est la condamnation de Clément XIV, prononcée dans l'intimité par ceux qui, à force d'adulations, essaient de l'entraîner à sa ruine. Le Pontife hésitait; le 7 août de la même année, d'Alembert écrit encore à Frédéric II : « On assure que le Pape Cordelier se fait beaucoup tirer la manche

(1) OEuvres philosophiques de d'Alembert, Correspondance, t. xvIII.

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pour abolir les Jésuites (1). Je n'en suis pas étonné. Proposer à un Pape de détruire cette brave milice, c'est comme si on proposait à Votre Majesté de licencier son régiment des gardes. >>

Ces aveux si remplis de prévisions révolutionnaires et anticatholiques ne se faisaient qu'à voix basse, on les gardait pour les rêves d'avenir. En face de l'opinion et du Saint-Siége on prenait d'autres allures on faisait retentir les imputations les plus étranges contre l'Ordre de Jésus; on l'accusait de saper les trônes et de perdre l'Église. Le Roi protestant n'était pas la dupe de ce concert d'animadversions, et, le 3 avril 1770, il répondait à d'Alembert (2): « La Philosophie, encouragée dans ce siècle, s'est énoncée avec plus de force et de courage que jamais. Quels sont les progrès qu'elle a faits? On a chassé les Jésuites, direz-vous. J'en conviens, mais je vous prouverai, si vous le voulez, que la vanité, des vengeances secrètes, des cabales, enfin l'intérêt ont tout fait. » L'Encyclopédiste ne demanda pas la preuve, elle était surabondante pour lui; mais il n'en continua pas moins, avec ses adhérents de la cour, du ministère, du Parlement et de la littérature, à jouer le double jeu qui leur réussit si bien.

Les Philosophes restaient dans l'attente; le Roi d'Espagne se livrait à la joie, car il avait le secret de Ganganelli. Le cardinal de Solis, d'Aranda et Azpuru y étaient initiés; mais on en fit un mystère aux autres secrétaires d'État. C'est ce qui explique la gradation d'intérêt qui se trouve à chaque page de leur correspondance avec Rome. Rome est devenue, comme au lendemain de certaines exaltations pontificales, le centre où aboutissent les projets, les espérances, les rêves les plus décevants. Chacun bâtit sur le nouveau Pape tout (4) OEuvres philosophiques de d'Alembert, Correspondance, t. xviit. (2) Ibidem.

un système de révolution déguisé sous le nom de changements indispensables ou de progrès moral. On recueille ses moindres paroles, on épie son geste le plus indifférent, on commente son sourire le moins expressif pour en tirer un argument en faveur des idées ou des ambitions que l'on met en avant. Ce n'est pas le Pape que l'on peint, chacun essaie de se peindre en lui. Roda, qui n'a point été appelé aux confidences de son maître et qui ne connaît pas encore l'acte signé par Ganganelli, n'ose pas se livrer à un espoir chimérique.

« Que voulez-vous que je vous dise, écrit-il d'Aranjuez au chevalier d'Azara le 6 juin, sur les nouvelles que j'ai reçues du grand théâtre du Conclave, puisque déjà acta est fabula. On a donc dérogé au proverbe : Plus de SixteQuint, plus de Franciscains. Tout le monde maintenant sera dans l'attente des premières démarches du nouveau Pape. Nous verrons. Combien de prélats tomberont à terre, et combien d'autres releveront la tête pour se montrer tout étonnés d'un coup si inattendu. Monsignor Alfani et Guarantello retourneront à leurs bénéfices. Monsignor Macedonio espérera le chapeau, et combien d'autres avec lui. >>

Le 13 juin, Roda s'exprime ainsi : « Vous devinez sans doute la joie qui règne ici pour l'élection du Pape. Il n'en a pas été de même en France. Au moins Fuentes. nous écrit-il des lettres empreintes de tristesse et de mauvaise humeur sur Ganganelli. Nous verrons ce qu'il fera, car c'est là ma règle. Je ne doute point qu' Azpuru ne soit l'auteur de tout cela. Dans votre avant dernière lettre vous donniez déjà quelque aperçu. Pour moi je n'ai pas eu plus de part dans son exaltation que dans celle du grand-visir. Mon amitié et ma correspondance avec lui pendant que j'étais à Rome, et qu'il a voulu continuer par lettres, est certaine et notoire, et ç'aura été la source des bruits qui courent et dont vous me parlez. Vous sa

vez tout ce que j'ai écrit sur ce point. Quoi qu'il en soit, je me réjouis qu'il ait été fait Pape plutôt que beaucoup d'autres à qui l'on pensait. Qu'on le laisse en paix pour ce qui regarde son Ordre et son école, j'espère que pour le reste il sera condescendant, à moins qu'on ne vienne à lui tourner la tête. »

Ceux qui ont le secret du pacte conclu le 16 mai entre Solis et Ganganelli ne cachent pas leur joie; les autres s'inquiètent de cette confiance qui leur paraît reposer sur de vagues assertions. Don Ruys de Campomanès s'adresse à son tour à Nicolas d'Azara, et le 18 juillet le célèbre fiscal lui mande « pour ce qui concerne le Pape, je m'en tiens comme vous à l'expérience. Rome et sa cour ont des intérêts très opposés aux nôtres. Par conséquent c'est une erreur de prétendre qu'ils agissent contre ce qui leur est favorable. La plupart de leurs affaires sont comme soutenues et attachées par des épingles; c'est pour cela qu'ils se prévalent de finesse. Notre art devrait consister à ne pas demander chose qui ne fût absolument juste et nécessaire à laquelle le Pape ne pût résister et puis agir avec fermeté. »

Don Joachim d'Osma, le franciscain confesseur, se charge de solliciter, de presser la cause de Palafox; c'est un moyen que la cour d'Espagne a cru trouver pour frapper au cœur la Compagnie de Jésus. Ses autres adversaires de Madrid lui font une guerre plus ouverte, mais moins acharnée. Le 12 septembre Roda, qui n'a pas l'enthousiasme de la foi en Clément XIV, écrit à Azara : « Ce que j'attends de bon de Rome est si peu de chose que je préfère penser qu'on ne fera rien. Tous écrivent des merveilles du Pape, racontent des conversations intimes qu'ils ont eues avec Sa Sainteté, des témoignages de respect qu'ils en ont reçus; vous seul semblez ne pas voir de ces belles choses, puisque vous ne m'écrivez rien de semblable. Il paraît que les projets

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