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tainement plus marqué, plus cadencé, que ne l'est d'ordinaire celui du nord de la France, et semblait attester comme un vestige de l'origine paternelle. Il tenait d'ailleurs à sa vraie patrie et au vieux fonds boulonais par les qualités sagaces, avisées, modérées, lucides et circonscrites à la fois, et, dans l'expression si distinguée que ces qualités prirent en sa personne, on aurait pu reconnaître encore, plus qu'il n'aurait cru, quelques formes de l'esprit natal, l'air de famille d'un pays qui n'avait pas eu jusqu'à lui son représentant littéraire, où Voisenon, par bonheur, ne fit que passer, où Charron, hôte plus digne, fut convié une fois, où Le Sage est venu mourir (1).

Dans les dernières années, M. Daunou avait deux regrets qui seront partagés inégalement, mais qu'il semblait mettre sur la même ligne : il regrettait de n'avoir pas écrit l'histoire de Boulogne-sur-Mer et celle de l'Oratoire. C'étaient ses deux pátries; il les avait quittées toutes deux de bonne heure et pour n'y plus revenir, mais elles lui restaient gravées toujours.

Après d'excellentes études au collége des oratoriens de Boulogne, le jeune Daunou se décida à entrer dans la docte congrégation, n'étant âgé que de seize ans et

(1) Dans un article du Journal encyclopédique (octobre 1788), M. Daunou n'a pas laissé de railler l'ancien, le très-ancien Boulogne sur le peu de littérature du cru: sous le pseudonyme de James Humorist, il rend compte des singulières inscriptions qu'on avait mises à Wimille sur la tombe des infortunés aéronautes Pilâtre de Rosier et Romain, et il en prend occasion de décocher son trait malin à ses compatriotes d'avant 89. Tout cela a bien changé.

quelques mois. Son père s'opposait à ce qu'il fit son droit. Ses goûts de lettré l'éloignaient de la chirurgie; il prit le parti de ce demi-cloître et ferma les yeux sur les inconvénients de l'avenir, séduit sans doute par une perspective de retraite et d'étude au sein de vastes bi bliothèques, par l'idée de ne pas changer de maîtres et de guides, lui timide et qui craignait avant tout le commerce des hommes.

Il était certainement pieux lorsqu'il entra dans l'Oratoire, il était croyant, du moins; il ne l'était plus quand il en sortit. A quel moment précis ses convictions religieuses reçurent-elles modification et atteinte? A lire quelques-uns des écrits qu'il composa dans les premières années de la révolution (1789-1791), et dans lesquels il cherche à démontrer la conciliation des mesures politiques récentes avec les croyances chrétiennes ou même catholiques, on serait tenté de conclure qu'il ne s'émancipa que vers cette époque et graduellement; mais, comme on retrouve les mêmes ambiguités gallicanes dans son écrit sur la Puissance temporelle des Papes, c'est-à-dire à une époque où il était dès longtemps acquis aux pures doctrines philosophiques, on ne saurait s'arrêter à ce qui pouvait n'être chez lui que ménagement de langage. Il est à conjecturer que la foi première persista quelques années en lui, favorisée par l'étude, par la pureté des mœurs, dans cette vie abritée : on aimerait à se persuader qu'il croyait encore, lorsqu'il s'engagea définitivement, quelques années plus tard (1787), dans les voies irrévocables du sacerdoce, auquel semblait l'obliger

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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

d'ailleurs l'enseignement théologique qui lui était confé. Cependant un moment dut venir, antérieur à la révolution, où il ne se considérait plus, même sous ces beaux ombrages et dans ces maisons spacieuses de 1’Ordre, que comme un captif, ou du moins comme un sage qui dissimule et qui sacrifie aux règles du dehors pour mieux s'assurer la liberté silencieuse du dedans. On a beaucoup parlé du relâchement de l'Oratoire en ces années finissantes; je ne me permettrai pas de jugement général, et je crois tout à fait que là physionomie extérieure de l'Ordre était restée très-convenable, très-satisfaisante aux abords de la révolution. L'éducation qu'on y recevait n'avait pas cessé d'être excellente, et d'assez illustres témoins seraient encore là au besoin pour l'attester. Quant au fond, il n'y a plus guère à douter qu'il ne fût très-compromis sur plus d'un point. A côté de vertus très-réelles, de croyances assurément très-conservées, et dont les Adry, les Tabaraud et tant d'autres ont donné jusqu'à la fin des exemples persistants, il y avait un courant d'incrédulité qui circulait. J'ai moi-même, dans ma jeunesse, entendu de ces anciens oratoriens se racontant, se rappelant entre eux l'arrière-fond de leur vie et de leurs pensées en ces années de régularité extérieure. Le jeune Oratoire était en partie philosophique, et de la philosophie d'alors la plus avancée. Qu'on ait trouvé à Juilly, dans les tiroirs des anciens oratoriens, quelques cahiers contenant des extraits de Spinosa, matière de curiosité ou de réfutation peut-être, cela est moins parlant, moins significatif que ce qui se passait à voix

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basse dans le jardin, à l'ombre du marronnier d'Houbigant, autour du doux vieillard Dotteville. Ce père Dotteville était un enfant naturel, si je ne me trompe, d'un grand seigneur danois qui lui avait laissé 29,000 livres de rente. Tempéré d'humeur, sans passion aucune dès sa jeunesse (il disait lui-même qu'il avait vécu et mourrait comme Newton), aimant uniquement l'étude et la paix, il n'avait rien vu de mieux que d'entrer dans l'Oratoire et de se mettre à traduire Tacite, champion un peu rude peut-être pour un si pacifique attaquant. Bref, il était heureux, il était aimable; il avait à Juilly sa petite maison au bout du jardin, et, lorsque le jeune Oratoire, quelque peu imbu des idées philosophiques du jour, sentait des velléités de révolte et de rupture, et les exprimait devant lui, il donnait de bons conseils, ou du moins des conseils de soumission, de prudence, tels qu'un Érasme et un Fontenelle dans le cloître les eussent aisément trouvés. On baissait la tête après l'avoir entendu, et on n'éclatait pas. Le bon Dotteville ne mourut qu'en 1807, à l'âge de quatre-vingt onze ans ; il s'éteignit. Un matin, sentant sa fin prochaine et croyant bien ne plus avoir à passer une autre journée, il invita à un petit dîner philosophique un ami (j'ai souvent entendu ce récit chez M. Daunou lui-même), et, après le repas auquel il ne fit qu'assister, mais qu'il n'avait pas négligé pour cela, prenant un air plus grave, il avertit cet ami qu'il se sentait à bout de vivre, qu'il lui disait adieu une dernière fois et lui demandait pour service suprême de lui faire une petite lecture. « Allez, lui dit-il, vous trou

verez dans mon cabinet un livre (dont il désigna la place), apportez-le et lisez-le-moi à la page marquée. » L'ami, en allant chercher le livre, se demandait tout bas si le père Dotteville n'avait pas réfléchi à ce moment du grand passage, et si ce n'était point" quelque lecture religieuse qu'il réclamait enfin. Il trouva le livre, l'apporta, et, l'ouvrant à la page marquée, il lut à haute voix. C'était Horace et l'ode à Posthumus : Eheu fugaces, Posthume, Posthume!... Il m'a toujours semblé que c'est par ce côté de souvenirs que les anciens confrères de l'Oratoire et M. Daunou s'abor daient le plus volontiers. Je ne prétends aucunement que tout l'Oratoire fût ainsi, et que cet Ordre, même dans les années voisines du terme, n'ait pas eu des portions intactes, un ensemble imposant; mais qu'on n'ignore pas (ce qu'on fait trop dans les éloges officiels) qu'il y avait ce coin-là, a parte. Ce qui est bien certain encore, c'est que, lorsque De Lisle de Sales, le philosophe de la nature, s'en allait en Allemagne faire ses remontes d'idées, comme dit M. de Chateaubriand, il recevait, en passant par Troyes, un festin de bien-venue chez les oratoriens de cette ville, parmi lesquels était alors M. Daunou (1).

Aucune idée de blâme n'entre pour moi dans ce retour à des particularités oubliées; il importait seulement de bien constater l'insensible déclin d'une congrégation sage, modérée, polie, qui avait trop de fenêtres

(1) Il convient pourtant de faire remarquer que De Lisle de Sales avait été jeune dans l'Oratoire et qu'il avait pu naturellement y garder des relations.

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