صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

les Espagnols fussent joués, d'autant plus que les Albani n'abandonneront jamais les Jésuites et qu'ils ne porteront Ganganelli que dans le cas où il aura donné les assurances les plus fortes du maintien de la Société. Quand on fait de certaines lettres, il n'en coûte rien de faire des contre-lettres, et l'on ne doit pas plus se fier aux unes qu'aux autres. »

Ces insinuations à l'adresse de Ganganelli et qui tombent sur lui de tout leur poids ne se réalisèrent point. Personne n'exigea de contre-lettres, car les Zelanti, qui qui se décidaient à voter pour le Cordelier, ignoraient le traité conclu. Ils ne le soupçonnaient même pas, et l'on en faisait un tel mystère que Bernis le devina plutôt qu'il ne le sut. C'est ce qui le poussait à ajouter dans ce même billet: «Je bénis Dieu de n'être pour rien dans tout cela. Je serais même bien fâché de voir ce que je ne puis m'empêcher d'entrevoir. Au reste je ferai savoir à Ganganelli dès ce soir que, sans notre concours, rien ne réussirait pour lui, et qu'ainsi il doit être attaché à la France. Il faut qu'il nous craigne un peu, mais pas trop. Je crois cette précaution essentielle, sans quoi notre rôle serait absolument passif et ridicule. »

D'Aubeterre a trempé dans le complot des Espagnols; mais il sent le besoin de consoler le cardinal de Bernis, dont l'amour-propre saigne encore. Pour entrer dans les amertumes de son dépit, il lui mande, le 17 mai : « Par mon billet (no 51), Votre Éminence aura vu que j'ignorais entièrement le traité des Espagnols pour Ganganelli. A en juger par les réponses que m'a faites M. Azpuru, il paraîtrait qu'il n'en était pas plus informé que moi. Reste à savoir s'il a eu à mon égard la même bonne foi que j'ai pour Votre Éminence. C'est ce dont je doute. Au reste il n'y a qu'à désirer que cette élection réussisse avec tous les arrangements convenus vis-àvis de Votre Éminence. Elle est au gré des Cours. Et les

Couronnes auront eu tout l'avantage du moins aux yeux du public. S'il arrive que par les suites on ne soit pas content du Pontificat, on n'aura rien à nous dire. S'il est bon, nous en profiterons comme les autres. Tout ceci est au hasard. Ganganelli vaut autant que les autres, et les autres ne valent pas mieux que lui. On ne peut se fier à aucun. »

C'est sous de pareils auspices, c'est avec de tels outrages au Sacré Collège que la diplomatie fait un Pape; et, renchérissant encore sur tout cela, Bernis ne craint pas de répondre, le 17 mai après midi, à cette insolente déclaration « J'ai reçu le billet dont Votre Excellence m'a honoré (no 52), il est si raisonnable, si net que c'est pour moi l'Évangile. En conséquence nous irons pour Ganganelli à pleines voiles au scrutin, et la patience nous acquérra les voix qui nous manquent; car il me paraît que le conseil de Rezzonico ne veut point de ce religieux. Nous avons cru, d'après les apparences, que les Espagnols avaient formé un grand plan en s'assurant des Albani, moyennant quoi tout était fini en deux fois vingt-quatre heures. Mais ils se sont simplement arrangés avec Ganganelli, lequel est devenu riant et accueillant. Il dit partout qu'il ne veut pas être proposé; nous le proposerons malgré lui. »

Ganganelli devait se laisser faire; mais sans le vouloir, Bernis vient de détruire les odieux soupçons que la veille il laissait planer sur la prétendue vénalité des Albani. Au moment où il traçait ces lignes, il avait sous les yeux une lettre de Voltaire. Le patriarche de Ferney forçait lui aussi les portes du Conclave, et, dans son style étincelant de spirituelles railleries, il rappelait au Cardinal les poésies de sa jeunesse. Cette épître (1) fut pour

(1) La lettre de Voltaire est datée du 8 mai 1769. La voici telle qu'on la trouve dans ses OEuvres complètes :

<< Puisque vous êtes encore, Monseigneur, dans votre caisse de planches,

lui un baume qui calma ses blessures. Il la lut aux Cardinaux de sa couleur ; il en tira vanité, et, fort des encouragements de Voltaire, il se crut destiné à l'immortalité.

Le 18 au soir, Bernis écrit encore à d'Aubeterre : « La chose s'avance. Dieu veuille qu'elle ne culbute pas au port! J'ai averti les Espagnols pour leur faire sentir que, quand on est de concert avec la France, il faut qu'elle joue le rôle qui lui convient. L'abbé de Lestache (1) va à une heure de nuit chez le futur Pape. Il y porte un Mémoire par où il démontre que c'est à la France qu'il doit la tiare. »

Malheureusement Ganganelli savait trop à quoi s'en

tenir.

Les réticences du cardinal de Solis et le traité conclu en attendant le Saint-Esprit, il est bien juste de tâcher d'amuser Votre Eminence.

« Vous avez lu sans doute actellement les Quatre Saisons de M. de SaintLambert. Cet ouvrage est d'autant plus précieux, qu'on le compare à un poème qui a le même titre, et qui est rempli d'images riantes, tracées du pinceau le plus léger et le plus facile. Je les ai lus tous deux avec un plaisir égal. Ce sont deux jolis pendants pour le cabinet d'un agriculteur tel que j'ai l'honneur de l'être. Je ne sais de qui sont ces Quatre Saisons, à côté desquelles nous osons placer le poème de M. de Saint-Lambert. Le titre porte, par M. le C. de B.... ; c'est apparemment M. le cardinal de Bembo*. On dit que ce cardinal était l'homme du monde le plus aimable, qu'il aima la littérature toute sa vie, qu'elle augmenta ses plaisirs ainsi que sa considération, et qu'elle adoucit ses chagrins, s'il en eut. On prétend qu'il n'y a actuellement dans le Sacré Collège qu'un seul homme qui ressemble à ce Bembo, et moi je tiens qu'il vaut beaucoup mieux,

« Il y a un mois que quelques étrangers étant venus voir ma cellule, nous nous mîmes à jouer le pape aux trois dés : je jouai pour le cardinal Stoppani, et j'amenai rafle; mais le Saint-Esprit n'était pas dans mon cornet; ce qui est sûr, c'est que l'un de ceux pour qui nous avons joué sera pape. Si c'est vous, je me recommande à Votre Sainteté. Conservez, sous quelque titre que ce puisse être, vos bontés pour le vieux laboureur V.

<< Fortunatus et ille deos qui novit agrestes. »

(1) L'abbé de Lestache était le conclaviste du cardinal de Bernis.

* Le cardinal de Bernis avait fait un petit poème sur les Saisons.

avec Ganganelli plaçaient Bernis dans une fausse position. Il essayait d'en sortir avec celui qui allait s'asseoir sur la Chaire apostolique. Quelques heures auparavant, il tentait la même chose auprès du duc de Choiseul. « On peut dire, lui mandait-il le 17 mai, que jamais les Cardinaux sujets de la maison de France n'ont montré plus de pouvoir que dans ce Conclave (1); mais leur puissance se borne jusqu'ici à la destruction. Nous avons le marteau qui démolit, mais nous n'avons pu saisir encore l'instrument qui édifie. »>

Vingt ans plus tard, la révolution française, à son tour, trouva le marteau qu'elle avait mis aux mains des Rois pour abattre la Compagnie de Jésus; ce fut contre les trônes qu'elle le dirigea.

Le 19 mai 1769, le cardinal Camerlingue de la sainte Église romaine annonçait à la ville et à l'univers que la Chrétienté avait un nouveau chef. Le Conclave était terminé; le cardinal Ganganelli montait sur la Chaire de Pierre. Il se nommait Clément XIV, et cette année 1769, qui enfanta tant d'intrigues, qui vit naître tant d'hommes destinés à la célébrité, enregistrait sous quels déplorables auspices il parvenait au suprême Pontificat. Entrant dans une lutte éternelle avec sa conscience, tantôt mise à l'aise par les caresses des Cours, tantôt intimidée par leurs menaces, le Cordelier sous la

(1) D'après le texte des lettres inédites que nous venons de publier, il est de toute évidence que Clément XIV a été élu en dehors de Bernis et presque malgré lui; mais il est d'usage qu'après l'élection du Pape chacun s'en attribue l'honneur. Bernis se donne bien de garde de manquer à ce rô'e. A soixante-dix-sept ans de distance un autre agent français à Rome ne craint pas de publier sur les toits qu'il a eu le même avantage. Les ambassadeurs étrangers sont complétement restés en dehors de la nomination de Pie IX; ils n'y ont pris aucune part. Ce qui n'empêche pas M. Rossi de proclamer dans des correspondances qu'il fabrique en son honneur pour les journaux, que c'est à son intervention seule que le souverain Pontife actuel doit la tiare.

tiare va enfin se trouver aux prises avec les difficultés que son génie astucieux espéra de conjurer. Le marché qui le donna à l'Église catholique, pour nous servir des expressions de d'Aubeterre, ce marché a toujours jusqu'ici été nié par les Jésuites et par plusieurs annalistes. Toutes les relations du Conclave qui se trouvent aux archives du Gesù et ailleurs, tous les écrits contemporains ou postérieurs composés par les Pères de l'Institut sur ce sujet sont unanimes comme les lettres particulières émanées d'eux. Tous repoussent l'hypothèse d'une transaction entre Ganganelli et les Cardinaux espagnols.

Nous avons jeté sur ce point historique une lumière inattendue. En face des documents que nous venons d'exhumer, le doute n'est plus possible. Il ne nous reste plus qu'à suivre Ganganelli dans la voie qu'il s'est tracée. Mais afin de rendre la démonstration plus absolue et de prouver jusqu'à quel degré ceux qui présidèrent à l'élection du nouveau Pape paraissent avoir perdu le sens moral, il sera bon d'entrer un peu plus avant dans le secret de leurs manœuvres. Nous avons montré les Cardinaux hostiles à la Compagnie et dévoués à l'abaissement du Saint-Siége, patronés par les ambassadeurs et récompensés par les Rois. Le duc d'York, le cardinal Lante, Corsini et quelques autres ont reçu le prix de leur soumission au vou des Couronnes. Pallavicini est secrétaire d'État, Negroni sera celui des brefs, Malvezzi a la survivance de la daterie. Le jour même de l'élection de Clément XIV, le marquis d'Aubeterre se rappelle une dette qui date de deux ans. Le cardinal Branciforte a été un des meneurs de l'intrigue qui vient de se dénouer, et, le 19 mai 1769, l'ambassadeur de France écrit à Bernis: « M. le duc de Choiseul m'ayant recommandé, par sa lettre du 28 septembre 1767, les intérêts de M. le cardinal Branciforte, je prie Votre Éminence, de vouloir

« السابقةمتابعة »