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édifices ou faire des fouilles, et lessiver les décombres ou les terres pour en extraire les substances imprégnées de cette matière. Or, l'administration s'étant réservé le privilége d'opérer cette besogne, avait stipulé que la Ferme des poudres lui achèterait le salpêtre sur le pied de sept sous la livre, c'est-à-dire à un prix insuffisant pour rémunérer le travail des ouvriers qu'elle employait. De là la nécessité d'accorder aux salpêtriers un supplément de salaire qui n'absorbait pas moins de 50 à 60,000 livres par année (1). » Les salpêtriers avaient conservé le droit de fouiller dans les maisons et dans les lieux habités pour en enlever les matières salpêtrées, et de se faire fournir, à un prix inférieur au prix courant, les bois et les locaux nécessaires à la cuite des salpêtres. Dupont de Nemours évalue à 600,000 livres le dommage matériel que cet abus coûtait à la nation. Le contrôleur général (Terray) ne s'était pas réservé la faculté de connaître la manutention intérieure de l'exploitation des poudres, de découvrir et d'apprécier les moyens de resserrer dans de justes bornes les priviléges des salpêtriers. Il y avait, il est vrai, un commissaire général des poudres qui, par son titre, était l'homme du roi; mais l'usage s'était introduit peu à peu qu'il fût toujours choisi parmi les fermiers.

Quant aux obligations de la Compagnie elles étaient légères : elle devait simplement fournir un million de livres de poudre aux arsenaux du roi, sur le pied de six sols la livre, cette poudre revenant à douze sols la livre à l'adjudicataire. Le prix du bail était donc de 100,000 écus environ (300,000 fr.), somme dont l'État semblait bénéficier chaque année. Mais qu'arrivait-il? En temps de guerre un million de livres ne suffisait pas : il en fallait trois ou quatre; l'État s'approvisionnait comme il pouvait. En temps de paix, on n'en consommait guère que 500 milliers. Or, comme l'État n'avait pas le droit de réclamer la poudre non versée, une fois l'année finie, il perdait toujours la moitié du bail convenu. L'autre moitié même ne lui était pas véritablement payée; il faut en déduire en effet: 1° l'indemnité de 50 à 60,000 fr. que payait l'État aux salpêtriers, pour compenser l'augmentation de la valeur du salpêtre; 2o un abonnement de 27,000 fr. en prévision des incendies et sauts de moulins qui étaient à la charge du roi; 3o environ 10,000 fr. de dépenses éventuelles. C'était en tout 87,000 fr. à déduire du bail; si bien qu'au bout de l'an, tout bien compté, la Compagnie payait à l'État son privilége 63 ou 53,000 fr. seulement. Grâce à ces arrangements, elle retirait un intérêt de 30 0/0 de son capital, évalué 4 millions (2).

Turgot résolut de mettre un terme à cet abus. Le bail passé à Alexis Demont fut cassé, et les ordres nécessaires furent donnés

(1) Dup. Nem., Mém., II, 76.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 76.

pour la liquidation entière de ses comptes; un délai lui était accordé jusqu'au 1er juillet suivant (1).

Le 30 mai, un second arrêt du Conseil, complétant l'arrêt précédent, régla les détails d'une régie chargée à la fois de la recherche des salpêtres et de la fabrication des poudres (*). Elle fut confiée à JeanBaptiste Bergaud, pour une durée de trois ans et demi. Celui-ci devait être placé sous la direction de personnes que Turgot se réservait de choisir et qui se porteraient ses cautions. A partir du 1er janvier 1778, toute recherche de salpêtre dans les maisons, caves, celliers, bergeries, écuries et autres lieux bas, toute fourniture de bois devaient être interdites, à moins que le propriétaire n'y consentît et ne livrât son salpêtre ou son bois de gré à gré. L'arrêt fixait ensuite le prix de la poudre et du salpêtre livrables au commerce, la quantité de poudre nécessaire aux armées de terre et de mer. La régie était soumise à la surveillance assidue de l'administration financière; ses comptes devaient être vérifiés chaque mois; son compte général devait être approuvé chaque année en Conseil, après avoir été examiné par l'intendant des finances Ormesson, commis à cet effet (*). Elle procurait à l'État un revenu annuel de 8 à 900,000 fr.

Les vexations auxquelles donnait lieu la recherche des salpêtres, ne devaient donc entièrement cesser que le 1er janvier 1778. Turgot se réservait ce délai pour étudier à loisir les meilleurs procédés de fabrication qu'il serait possible de substituer à l'ancienne méthode. Il ne s'en appliqua pas moins, en attendant mieux, à réformer ce service et à en modérer les abus. Il y avait en Franche-Comté des forêts dont les propriétaires étaient tenus de fournir du bois aux salpêtriers; et de peur, sans doute, que ceux-ci ne vinssent à en manquer, on avait imaginé d'interdire aux propriétaires de vendre leurs bois à d'autres qu'aux salpêtriers. De là de nombreux procès. Turgot trouva exorbitantes de pareilles exigences, et, pour les faire cesser, il déplaça les ateliers des salpêtriers, rendant ainsi aux plaignants la libre disposition du produit de leurs forêts. En même temps, il introduisit dans ces ateliers une importante amélioration. Il fit creuser un canal qui y amenait l'eau des sources salées du pays. Ce canal, par malheur, enlevait quelques arpents de terre à un gentilhomme celui-ci poussa les hauts cris. On lui offrit une indemnité, à dire d'experts: il la refusa. Il vint se plaindre à la cour; les courtisans firent chorus avec lui. « Ils ne criaient pas, dit Condorcet, quand de splendides chemins, menant à leurs terres, rognaient le champ du pauvre, dont on se dispensait alors de payer le prix (3). >>

:

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 418.

(2) Les poudres et les salpêtres étaient dans

les attributions d'Ormesson. Voir liv. I, ch. III. (3) Cond., Vie de T., 95.

Un arrêt du 24 juin acheva de régler la régie qui venait d'être instituée. Le Faucheux, Clouet, Barbault de Glatigny, l'illustre Lavoisier en furent nommés les administrateurs. Il serait trop long d'entrer dans le détail purement technique de ce minutieux règlement (1).

Turgot projetait bien d'autres améliorations. Il avait fait étudier les procédés de fabrication des peuples étrangers. Il aurait voulu qu'on profitât de l'expérience des Suédois, très habiles en cette matière; il fit recueillir et traduire leurs méthodes et les livra à la publicité. Il répandit dans les provinces des instructions imprimées sur l'art de former des nitrières (2).

Il ne s'en tint pas là. En dépit de tous les ménagements ordonnés aux commis de la régie nouvelle, leurs recherches et leurs fouilles ne laissaient pas d'être fort gênantes. « La récolte du salpêtre tendait (d'ailleurs) à diminuer en France, dit M. Alfred Maury, et le gouvernement s'effrayait à la pensée que la poudre à canon lui manquerait un jour. Turgot invita, le 23 août 1775, l'Académie à proposer un prix sur la fabrication de ce sel, afin d'appeler tous les moyens propres à parer au danger; la compagnie s'empressa de se rendre au désir du ministère. Le concours fut ouvert, et une commission de cinq membres, qui comprenait Lavoisier, Macquer, d'Arcy, Sage et Cadet de Gassicourt, fut chargée d'examiner les nombreux mémoires que l'Académie avait reçus; ils remplissent le tome VIII des Savants étrangers publié en 1786. Thouvenel remporta le prix; mais les mémoires de Cornette, de Chevrand (de Besançon), de J.-B. de Bennie (d'Anvers), du comte de Thomassin (de Saint-Omer), de Romme, l'un des correspondants de l'Académie, furent jugés dignes d'être imprimés. Lavoisier n'attendit pas, au reste, l'envoi de ces travaux, pour étudier une question qui intéressait la défense nationale; il se livra, avec Clouet, à des expériences sur les terres naturellement salpêtrées, qu'il communiqua à l'Académie le 7 juillet 1777; en même temps, le duc de La Rochefoucauld étudiait la génération du nitre dans la craie, et voyait son mémoire agréé par la compagnie. Grâce à tous ces efforts, on put rédiger une instruction sur les nitrières artificielles, qui fut distribuée en 1779; les fouilles forcées et vexatoires auxquelles les particuliers étaient jusqu'alors assujettis, furent supprimées; et la France se vit bientôt en possession d'un produit de salpêtre double de celui qu'elle avait recueilli jadis, et d'une poudre à canon bien supérieure à celle des Anglais (3). »

Turgot chargea en même temps M. de Saint-Edmond d'aller aux

(1)Voir ce règlement, Euv. de T. Ed. Daire, II, 421.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 86.

(3) Alf. Maury, Anc. Acad. des Sc., 251-252.

Indes étudier le salpêtre de ce pays, ainsi que diverses questions d'histoire naturelle. Malheureusement le vaisseau qui portait ce savant, périt en route (1).

Louis XVI, de son côté, était toujours rempli des meilleures intentions, et il cherchait à seconder de son mieux les réformes de son ministre. L'émeute du 2 mai n'avait point quitté ses regards; il était inquiet des suites qu'elle pouvait avoir, et préoccupé du sort des victimes qu'elle avait faites. On retrouve la trace de ces divers sentiments, et aussi l'inspiration directe des conseils de Turgot, dans une lettre qu'il aurait écrite le 31 mai au duc de La Vrillière, si l'on en croit le comte d'Allonville : « Les brigandages qui se sont exercés sur les grains, Monsieur, me causent d'autant plus d'affliction, que ceux qui les ont commis ne paraissent avoir eu pour but que de ruiner les fermiers, les laboureurs, les marchands, et d'amener la famine, en détruisant les provisions rassemblées pour la subsistance. Je prends les mesures nécessaires pour arrêter ces excès, et je sens que les malheureux qui ont été pillés, ont droit au moins à des dédommagements, puisque l'étendue du mal me mettra dans l'impossibilité de les dédommager en entier. Tout cela coûtera beaucoup, et rend plus nécessaires des retranchements qui le sont déjà tant d'ailleurs. Il faut réduire encore, s'il est possible, les frais de mon sacre; je veux aussi retrancher les fêtes proje ées, tant à l'occasion de cette cérémonie que pour les couches de Mme la comtesse d'Artois et le mariage de Mme Clotilde. Je ne ferai pas non plus de séjour, que pour peu de jours, à Compiègne, et les sommes destinées à ces différents objets serviront à payer en partie les dépenses qu'exigent la protection et les secours que je dois à ceux de mes sujets qui ont été la victime des séditieux. Je vous prie d'informer sur-le-champ, de mes intentions, le contrôleur général et les différents ordonnateurs chargés des dépenses qui ne doivent plus avoir lieu. Vous marquerez aussi au prévôt des marchands de Paris, que je ne veux pas qu'il y ait de fête en cette ville, et que l'argent qu'elle y destinait doit être employé à la sûreté et au soulagement de ses habitants. LOUIS (2). »

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Lorsque les membres du Comité de salut public annoncèrent aux administrateurs qu'il fallait fabriquer dix-sept millions de poudre dans l'espace de quelques mois, ceux-ci restèrent interdits : Si vous y parvenez, dirent-ils, vous avez des moyens que nous ignorons. C'était cependant la seule voie de salut. On ne pouvait songer au salpêtre de T'Inde, puisque la mer etait fermée. Les savants offrirent d'extraire tout du sol de la Répub'ique. Une requisition générale appela à ce travail l'universalite des citoyens. Une instruction courte et simple, repandue avec une inconcevable activite, fit d'un art difficile une pratique vulgaire, etc.>

(2) D'Allonv., Mém. secr., I, 58.

On attendait, en effet, la délivrance prochaine de la comtesse d'Artois. Le roi désigna d'avance, suivant l'usage, les personnes qui devaient prendre soin de l'enfant. Cet enfant de sang royal eut ainsi sa maison, même avant de naître. On lit à ce sujet dans les Mémoires de Bachaumont: «Il a été question, au contrôle général, d'arrêter l'état des dépenses de cette nouvelle maison. Le sieur Bourboulon, chargé de la vérification, l'avait portée à 350,000 fr. Le sieur Drouais de Santerre, qui le remplace, a trouvé cette dépense exorbitante. Il a recherché les anciens états semblables, et il a trouvé que la maison du duc de Bourgogne, l'héritier présomptif de la couronne et l'aîné de Louis XV, n'avait coûté à cet âge qu'une dépense de 130,000 fr. Il a fait des représentations au contrôleur général, et l'état dressé par le sieur Bourboulon a été réformé sur pied. Ce Bourboulon est trésorier de Mme la comtesse d'Artois, et avait voulu faire sa cour en donnant un grand état de maison au futur enfant de la princesse. Il a acheté en outre une charge d'intendant des menus, et M. Turgot a trouvé que ces diverses places étaient peu compatibles avec les fonctions de ce commis au trésor royal, ce qui l'a engagé à lui dire de se retirer (1). »

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Par une fâcheuse compensation, on dépensait pour Mme Sophie tandis qu'on économisait ailleurs. « Mes tantes Victoire et Sophie, qui avaient une même maison, écrivait Marie-Antoinette à sa mère, se sont séparées. Il a fallu faire une maison à ma tante Sophie; cela fait encore de la dépense; j'en suis fâchée (2). »

Des secours distribués par le roi et des économies étaient sans doute un moyen de soulager le peuple dans la crise que causait la cherté des subsistances. Un moyen meilleur encore, dans la pensée de Turgot, était de supprimer tous les droits qui entravaient encore la liberté du commerce des grains. La ville de Bordeaux avait supplié le roi de trouver quelque moyen de diminuer la cherté; Turgot lui fit une réponse qu'elle n'attendait probablement pas. Il suspendit jusqu'à nouvel ordre les droits d'octroi sur les grains nationaux ou étrangers entrant par eau ou par terre dans la ville et sa banlieue (3). Tel fut l'objet de l'arrêt du 2 juin. Dans l'ordre commun, le droit d'octroi ne doit s'étendre que sur les denrées qui se consomment à l'intérieur des villes. A Bordeaux, il n'en avait pas toujours été ainsi. Les blés nationaux ou étrangers traversant la cité y étaient arrêtés au passage et soumis à un entrepôt. Si au bout de huit jours ils n'avaient pas été enlevés, le fermier de l'octroi exigeait rigoureusement le droit, sans avoir égard aux retards journaliers que peut éprouver le commerce. Qu'en était-il advenu? Les négociants, pour

(1) Bachaumont, Mémoires secrets, VIII, 93-94.

(2) D'Arn. et Gelf., Mar.-Ant., II, 344.
(3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 197.

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