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opposé aux principes de son contrôleur général, il ne pouvait le conserver en place; enfin qu'il le récompenserait plus tard (1).

Quand on apprit la disgrâce de Lenoir, tout le monde pensa que Sartines allait être renvoyé aussi il n'en fut rien. Sartines fut probablement couvert par la haute protection de la reine. « Le roi lui-même, dirent ses amis quelques jours après, l'a défendu contre les attaques qu'on lui portait... Sa Majesté est toujours favorablement disposée pour lui, et conserve la bonne opinion qu'Elle en a conçue depuis son entretien avec ce magistrat à Choisy, il y a un an, lors de son a vénement au trône. »

A la place de Lenoir, Turgot fit nommer Albert (2), économiste résolu, grand partisan de la suppression des maîtrises et corporations, homme sévère et laborieux, d'après des témoignages peu suspects de partialité. Il y eut un autre changement. Lelaboureur, commandant du gué à pied et à cheval, fut destitué, sur la demande du maréchal de Biron, et remplacé par La Galerne, chevalier de Saint-Louis, major du régiment des gardes françaises.

Le Conseil était à peine séparé, que des nouvelles alarmantes arrivèrent des environs de la capitale; il s'assembla de nouveau. «On vit que cela devenait sérieux et qu'il fallait avoir une armée en règle. On expédia des ordres à différents régiments de se rapprocher à des distances convenues et de s'y cantonner. Il fut dressé un plan de campement (). » Le maréchal de Biron reçut le commandement de l'armée de l'intérieur. Le maréchal de Poyanne fut mis à la tête de l'armée de l'extérieur (). Turgot fut nommé lui-même « ministre de la guerre et du département de Paris pour le fait des troubles ». « Allez, lui aurait dit le roi en l'embrassant et en l'investissant

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(1) Ce Lenoir, ancien maître des requètes. intendant de Limoges en octobre 1774 après Turgot, n'avait pas tardé à ètre appelé à la Police par Sartines, son protecteur, qui passait lui-même au ministère de la marine et qui lui avait cedé ses fonctions. Il était très lié avec ce ministre, personnage très suspect. Comme il était tombe malade le mois précédent, c'est Sarlines qui l'avait suppléé. Le 2 mai, jour de l'émeute de Versailles, ils avaient eu ensemble une très longue conference. Voici un échantillon des plaisanteries du temps, à propos de la maladie de Lenoir:

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M. de Bièvre, ayant aperçu que M. Lenoir depuis sa maladie a beaucoup de boutons, répand dans les sociétés que ce magistrat n'a plus la police. » (Corr. Métr., I. 204 )

(2) Albert, anciennement lieutenant-général à Perpignan, était venu à Paris en 1764 et y avait acheté une charge de conseiller au Parlement. Il ne parlait point facilement, mais il était savant et « profond dans les lois », dit Pidansat de Mairobert qui ne l'aimait guère. Il avait obtenu une charge d'intendant du commerce par commission, s'était occupé des affaires concernant les grains, avait même publié une brochure à ce sujet. Destitué par Terray, il avait voulu partager la disgrace du Parlement, bien qu'il eût cessé depuis long

temps d'assister aux séances. Il s'était alors retiré à Argenteuil avec sa femme, riche personne qui avait voulu l'épouser, bien qu'il lui rendit sa liberté à cause de l'incertitude des temps et de la situation critique où il se trouvait. Lors de la chute du triumvirat, il était revenu à Paris, et l'on se rappelle qu'un des premiers soins de Turgot avait été de lui rendre sa charge d'intendant du commerce. C'est ainsi qu'il avait dirige la correspondance des subsistances », puis l'approvisionnement de Paris, ôte à Lenoir. Turgot, en le nommant lieuten nt de police, le chargea aussi de l'inspection de la librairie. Il avait le travail lent et lourd et manquait d'activité, selon les I joignait à une fermeté sévère des connaissances fort étendues,» selon les autres. (Bach., Mém. secr., VIII, 3-38: Corr. Métr., 1, 352; Rel. à la suite des Mém. su Terray, 262.)

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(3) Les mousquetaires noirs devaient s'etendre sur les rives de la Marne; les mouquetaires gris, sur celles de la basse Seine; les gens d'armes, chevau-légers, sur les rives de la haute Seine; les gardes françaises, les gardes suisses et les invalides devaient continuer à garder les faubourgs et les boutiques des boulangers. (Relation à la suite des Mémoires sur Terray, 263.)

($) Corr. Métr., I, 347.

de pleins pouvoirs, allez, mon ami. Quand on a, comme vous et moi, la conscience pure, on ne craint pas les hommes (1). » Moins rassuré, suivant d'autres, il aurait dit en sortant, à Turgot: « Au moins, n'avons-nous rien à nous reprocher (") ? »

Le jeudi 4 au matin, Turgot était de retour à Paris. Les émeutiers reparurent, essayèrent de recommencer le pillage, firent de grandes menaces. Mais l'appareil des troupes déployées dans la ville et au dehors leur imposa. L'ordre fut main tenu. On vola pourtant 6,000 fr. au domestique d'un banquier, on pilla un orfévre et un fripier, mais ce fut tout. Les séditieux avaient eu, dit-on, l'intention de se rendre à Bicêtre, d'en enfoncer les portes et d'en faire sortir les malfaiteurs qui s'y trouvaient enfermés, pour grossir leurs rangs. Les patrouilles disséminées dans un rayon de trois ou quatre lieues autour de la capitale les en avaient empêchés (3).

Durant toute la journée, les troupes gardèrent les boutiques des boulangers. Le Châtelet, pendant ce temps, interrogeait les prévenus qu'on avait arrêtés et qui étaient déjà au nombre de 180.

Nous n'avons rien dit encore du Parlement. Il ne manqua pas, dès les premiers mouvements populaires, de s'assembler « pour en prendre connaissance ». Sur le conseil de Turgot, le roi lui écrivit qu'il voulait se charger de cette affaire, qu'elle le regardait seul, et qu'il le remerciait de son zèle ('). Loin de tenir compte de cet ordre, le Parlement, quand l'émeute d'ailleurs fut finie, fit afficher un arrêt qui défendait les attroupements, mais qui portait que le roi serait supplié de diminuer le prix du pain. Turgot, indigné. arrêta la distribution de cet arrêt en faisant rompre la planche chez l'imprimeur, et chargea l'autorité militaire de couvrir les affiches déjà posées, de placards défendant les attroupements sous peine de mort, au nom du roi (3).

En même temps, il rassurait les laboureurs et les commerçants; il accordait sur-le-champ 5,000 fr. d'indemnité au négociant Planter pour la valeur d'un bateau de blé dont la cargaison avait été jetée à l'eau (). Ce Planter était un négociant de Rouen. En remerciant Turgot, comme il lui témoignait son regret de n'être pas assez riche pour pouvoir se passer d'indemnité, « Monsieur, lui aurait répondu le ministre, votre délicatesse vous fait honneur, mais ceci est une justice, et le roi l'aime par dessus tout. D'ailleurs elle ne sera point onéreuse, parce que nous savons où prendre notre remboursement (7). » Quant au Parlement, il reçut un édit du roi portant établissement d'une tournelle civile et criminelle pour juger les auteurs et les

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complices de la sédition. Cet édit lui parut porter atteinte à la grande police », qu'il avait eue de tout temps dans ses attributions. Il refusa de l'enregistrer; puis il rendit un arrêt par lequel il suppliait de nouveau le roi de faire baisser le prix du grain et revendiquait l'instruction de l'affaire pour la grand'chambre. Il fit ensuite afficher l'arrêt en regard de l'ordonnance royale (1).

Cette bravade irrita le roi. Le lendemain 5 au matin, il manda le Parlement à Versailles en lit de justice, pour lui dicter ses ordres (*). Le garde des sceaux expliqua les motifs qui avaient fait enlever à la justice ordinaire la connaissance des troubles. « Lorsque les premiers troubles seront totalement calmés, dit-il, le roi laissera, lorsqu'il le jugera convenable, à ses cours et à ses tribunaux ordinaires le soin de rechercher les vrais coupables, ceux qui par des menées sourdes peuvent avoir donné lieu aux excès, qu'il ne doit penser dans ce moment qu'à réprimer. » Conti, comme se désignant lui-même aux soupçons, protesta vivement. Un conseiller fit de même; on leur imposa silence. L'arrêt de la veille fut cassé; le jugement des séditieux qu'on s'était proposé d'abord de confier à une tournelle fut attribué aux prévôts de la maréchaussée; la décision royale fut enregistrée sur l'heure. Puis le roi congédia le Parlement, en lui défendant de lui présenter des remontrances. « Je compte, dit-il, que vous ne mettrez point d'obstacle ni de retardement aux mesures que j'ai prises, afin qu'il n'arrive pas de pareil événement pendant le temps de mon règne. » Le malheureux prince demandait beaucoup. Quant au Parlement, il se retira silencieux, mécontent, mais il obéit et ne s'occupa plus des troubles (3).

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CHAPITRE VI

Suites de la Guerre des Farines.

(Mai 1775.)

Fut-elle l'effet d'un complot?

Dans le lit de justice du 5 mai avait été enregistrée, par ordre, une proclamation du roi, ordonnant « que les brigands attroupés pour piller les maisons et les magasins des meuniers, des boulangers et des laboureurs, seraient jugés par les prévôts généraux des maréchaussées. » Elle annonçait une répression immédiate. « Les peines, y était-il dit, ne doivent être infligées que dans les formes prescrites par nos ordonnances; mais il est nécessaire que les exemples soient faits avec célérité... afin d'imposer à ceux qui échapperont à la punition, ou qui seraient capables d'augmenter le désordre (1). »

Le samedi 6, jour de marché, fut affichée dans Paris une nouvelle ordonnance qui défendait aux acheteurs de porter dans les rues et dans les marchés aucune espèce d'armes, pas même des bâtons, de peur qu'on ne les confondît avec les émeutiers. Du reste la tranquillité régna dans toute la ville, et les marchés se tinrent paisiblement (*). Turgot ne se borna pas à des démonstrations militaires et au ton de l'autorité. Il voulait aussi gagner les cœurs, persuader au peuple qu'il travaillait pour son bien. Depuis longtemps il méditait la suppression des corvées : il obtint du roi qu'elles seraient provisoirement suspendues, et dicta à Trudaine la circulaire qui fit part de cette décision aux intendants. « Cette espèce de contribution, toujours trop onéreuse pour ceux qui en sont chargés, devient impraticable dans les lieux et dans les temps où les peuples ont tant de peine à se procurer leur subsistance par leur travail. » Cependant les routes ne pouvaient être abandonnées : il pourvut à leur entretien en ordonnant d'employer aux travaux les plus urgents les fonds destinés aux travaux de charité (3).

(1) Eur. de T. Ed. Dire, II, 189. (2) Corr. Métr., I. 362.

(3) Vignon, Chem. publ., III, 69. (Pièc. Just. no 30.) Il fait suivre la citation de cette lettre d'une note ainsi conçue: « Malgré ses recommandations de pourvoir au moins à l'entretien, tous les travaux sur les routes furent dès co moment abandonnés, si ce n'est dans les généralités de Limoges et de Caen, à l'exception de ceux que l'on tit faire par les ateliers de charité.

Cette phrase est fort loin d'être claire. La première partie semble indiquer que malgré les recommandations de Turgot les routes furent abandonnees. Nullement, puisque dans la seconde partie, il est dit que des travaux furent exécutés par les ateliers de charité. Turgot ne demandait pas autre chose. Dans les généralités de Limoges et de Caen, Turgot et à son imitation l'intendant Fontette avaient remplacé la corvée par une contribution pécuniaire.

Le 8, par arrêt du Conseil, Turgot accorda de nouveaux encouragements à l'importation des blés étrangers. Il étendit le bénéfice des gratifications dont l'importation dans les ports jouissait seule, à l'importation par terre, et décida qu'à partir du 1er août les négociants français ou étrangers qui introduiraient des blés de l'étranger dans les provinces d'Alsace, de Lorraine et des Trois Évêchés, recevraient une prime de 15 sous par quintal de froment, et de 18 sous par quintal de farine (').

L'activité du ministre, son accord avec le roi inspiraient confiance à ses amis, sans pouvoir les rassurer entièrement. « Nous n'avons pour le bien que le roi et Turgot, écrivait le 9 mai le marquis de Mirabeau; mais ils sont bien fermes l'un et l'autre. Et cependant, quoique actifs et invincibles dans l'opposition, Turgot et son maître sont faibles et inexperts dans l'astuce de cour, les insinuations et les obsessions inopportunes, et je pense que Turgot n'ira pas loin, mais il se retirera couvert de gloire : que le roi n'a-t-il le courage de ses vertus (2)? »

Turgot poursuivait son œuvre sans s'arrêter à aucune considération de conservation personnelle. Laissant aux autres le soin de prévoir des dangers trop certains, il se contentait d'agir.

Pour calmer les esprits et ramener la confiance dans les campagnes. il s'adressa, comme il l'avait déjà fait pour les ateliers de charité, aux curés du royaume. Il fit écrire par le roi une lettre adressée à leurs supérieurs immédiats, les évêques et les archevêques. Le roi rappelait aux prélats que « le maintien de l'ordre public est une loi de l'Évangile comme une loi de l'État », et leur demandait de prêcher dans leurs diocèses la concorde et le respect de la loi (). A cette lettre était jointe une instruction destinée à faire exactement connaître aux curés « les principes et les effets» des émeutes qui venaient d'avoir lieu.

Après quelques paroles sévères et tristes exprimant la nécessité de punir les coupables et la douleur d'y être contraint, Turgot rappelait que plusieurs curés avaient réussi à ramener dans le devoir des habitants de leurs paroisses égarés (*). Il espérait que les préceptes de la religion, la terreur des peines imposées par les lois, la persuasion empêcheraient à l'avenir toute sédition. Puis il racontait les événements qui venaient d'avoir lieu, décrivait sommairement les scènes qu'on a lues plus haut, réfutait les bruits perfides semés par les émeutiers. Fidèle enfin à ses habitudes d'économiste, il exposait

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 190.
(2) Mirab., Mém., Luc. Mont., III, x, 158.
(3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 191.

(4) Il aurait pu citer, entre autres, le curé de Méry-sur-Oise. Ses paroissiens ayant pille un bateau de ble, il les avait exhortés à restituer le grain ainsi dérobé, et avait obtenu

cette restitution. Turgot, en récompense de ce service, lui avait accordé une pension de 120 livres (Merc. de Fr., juin 1775). Cet exemple, et quelques autres, trop rares d'ailleurs, étaient parfaitement connus: il se contentait d'y faire une allusion rapide dans sa circulaire.

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