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l'exil auquel on les vouait. Cet éparpillement de la force commune produisit de tristes effets; quelques tribus conrurent aux armes; plusieurs, inspirées par les Missionnaires, se contentèrent de murmurer. Les unes furent vaincues, les autres, au contact de la corruption marchande, s'imprégnèrent peu à peu des vices de l'Europe. Ce fut ainsi que l'on commença à ébranler ce vaste édifice des Missions qui avait coûté tant de sacrifices.

Gomez d'Andrada demeurait maître des réductionsde l'Uruguay. Les Jésuites et leurs Indiens en étaient expulsés, ici par la violence, là par la ruse; il ne lui restait plus qu'à découvrir les mines d'or et d'argent qu'il avait promises à Pombal. Il fit battre les plaines, arpenter les forêts, étudier les montagnes, sonder les lacs et interroger partout les entrailles de la terre. Des ingénieurs furent appelés; ils mirent la science au service de sa crédulité. La science, dans ses explorations, ne fut pas plus heureuse que Gomez dans ses rêves. Get homme s'avoua enfin la faute qui l'avait poussé à tant d'irréparables désordres; il la confessa aux Jésuites et à Pombal; il les supplia de travailler, chacun dans la sphère de ses pouvoirs, à rompre le traité de limites provoqué par son insatiable avidité. La Compagnie n'était plus en mesure de couvrir ses erreurs; Pombal les jugeait favorables à ses desseins ultérieurs: Gomez fut condamné à la honte, et le ministre dont il avait flatté les cupides instincts usa de ses menteuses révélations pour dénaturer les faits.

C'était l'époque où les esprits, travaillés par un mal inconnu, se jetaient dans la corruption pour arriver plus vite à une perfection idéale, que la philosophie leur faisait entrevoir sans Dieu, sans culte, sans mœurs et sans lois. On marchait résolument à l'assaut des prin

cipes et des vertus, on cherchait à briser tout ce qui pouvait devenir barrière à l'idée destructive. Sous le titre de Relation abrégée de la république que les Jésuites des provinces du Portugal ont établie dans les possessions d'outre-mer, et de la guerre qu'ils ont excitée et soutenue contre les armées des deux couronnes, Pombal répandit à profusion, dans la Péninsule et en Europe, des récits dont la preuve, toujours annoncée, ne se donnait jamais. Les Jésuites, selon cette relation, faisaient au Paraguay monopole des corps et des âmes, ils étaient le Bénit-Père ou Roi de chaque réduction. Ils avaient même tenté de réunir ces provinces sous le sceptre d'un de leurs frères coadjuteurs, à qui l'on accorda le titre de l'empereur Nicolas Ier. A cette distance des lieux et des hommes, Pombal avait le droit de calomnie; i calomnia pour le compte des deux royaumes. En Portugal, son autorité et ses menaces empêchaient la vérité de briser ce faisceau de mensonges; mais l'Espagne, qu'il associait à ces crimes de la pensée, refusa d'en accepter la solidarité. Pombal avait cherché dans le gonvernement de Ferdinand VI des complices aussi intéressés que lui à populariser l'erreur; à l'exception du duc d'Albe, il ne trouva que des hommes indignés de son audace. Le roi d'Espagne et son Conseil, éclairés par don Zevalos, gouverneur du Paraguay, prirent en pitié l'œuvre du ministre portugais. Afin de manifester le sentiment que cet écrit leur faisait éprouver, la cour suprême de Madrid le condamna à être brûlé publiquement par la main du bourreau. A trois reprises, le 13 mai 1755, le 27 septembre 1759 et le 19 février 1761, Ferdinand VI et Charles III flétrirent, par des décrets royaux, le libelle de Pombal. Sa cupidité avait semé la désorganisation dans ces provinces; Charles III, qui bientôt va s'allier à

lui contre les Jésuites, commence son règne par leur rendre complète justice. Le 10 août 1759, Ferdinand VI mourait; à peine assis sur le trône d'Espagne, Char·les III, son frère, rompit le fatal traité d'échange, auquel il s'était toujours montré hostile.

Don Zevalos était venu, au nom de la métropole, pour renverser le trône et combattre les armées de cet empereur Nicolas, que l'imagination de Pombal et du duc d'Albe avait créé, et qui, disaient-ils, faisait frapper à son coin l'or et l'argent tiré des mines dont l'existence fut un appât tendu à d'oisives crédulités. « Qu'est-ce qu'il trouva de tout cela dans ces peuples innocents? se demande don Francisco Guttierez de la Huerta, dans son rapport au conseil de Castille, du 12 avril 1815'. » Et ce magistrat ajoute : « Que l'on examine ses relations, et elles répondront à cette question en disant que ce que l'on trouva, ce fut le désenchantement et l'évidence des faussetés inventées en Europe: des peuples soumis au lieu de peuples soulevés; des vassaux, sujets pacifiques, au lieu de révoltés; des religieux exemplaires au lieu de séducteurs; des Missionnaires zélés au lieu de chefs de bandits. En un mot, on trouva des conquêtes faites à la Religion et à l'État par les seules armes de la douceur, du bon exemple et de la charité, et un empire composé de Sauvages civilisés, venus d'eux-mêmes à demander la connaissance de la loi, assujettis volontairement à elle, et mis en société par les liens de l'Évangile, la pratique de la vertu et les mœurs simples des premiers siècles du Christianisme. »>

Au dire du gouvernement espagnol, voilà ce que Zevalos avait remarqué dans les réductions du Paraguay;

Esposicion y dictamen del fiscal del consego y comara d. Francisco Guttierez de la Huerta,

il leur restituait la paix, mais il n'était plus possible de leur rendre cette innocence primitive, cette piété docile que les Pères leur avaient inspirée. Les Néophytes

avaient sucé le vice au contact de la mauvaise foi européenne; on leur avait appris à se défier de leurs pasteurs, on avait essayé de les corrompre pour les amener à déclarer devant les magistrats que chaque enfant de saint Ignace était un fauteur d'insurrection. Les Néophytes ne transigent pas avec leur conscience, ils s'accusent seuls; leurs Caciques racontent même les soupçons que les efforts pacifiques des Jésuites firent germer dans leurs âmes. Ils avaient regardé les Missionnaires comme les complices des Portugais et des Espagnols; à l'appui de leur injuste méfiance, ils apportent tant de témoignages, que Zevalos crut de son devoir de renverser l'échafaudage d'iniquités dont Pombal se faisait un bélier contre la Société de Jésus.

Ces événements se passaient en 1757; ils auraient dû éclairer l'Europe et le Saint-Siége sur les projets de Pombal. Ce ministre venait de détruire en quelques années une œuvre de civilisation qui avait coûté des siècles de patience et de martyre. Son arbitraire frappait en même temps sur les rives de l'Uruguay et sur les bords du Maragnon; sous sa main, la vérité se transformait en calomnie. Il réveillait les anciennes querelles des marchands portugais et des Jésuites; il excitait la soif du lucre chez les uns, et la défiance contre les autres. Il s'emparait des vices ainsi que des vertus pour créer de tout cela une tempête d'accusations au milieu de la◄ quelle la probité et l'intelligence auraient peine à discer ner le mensonge de l'erreur involontaire. Son but était atteint; ses libelles, répudiés par le clergé, par la noblesse, par le peuple portugais, trouvaient de complai

sants échos dans les pamphlets des philosophes, dans les œuvres des. Jansénistes, dans les vieilles animosités des Protestants. Pombal fut un ministre selon leur cœur. Ils célébrèrent son courage, ils exaltèrent ses talents, ils le dotèrent de toutes les perfections. Les fables qu'il avait inventées furent proclamées comme vérités absolues par des hommes qui doutaient de tout; et, dans ce siècle singulier, où tout était matière à sophisme, on crut aveuglément à une imposture qui ne prenait même pas le soin de se déguiser.

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Pombal sortait de tenter un grand coup, et il n'avait rencontré chez les Jésuites qu'obéissance et timidité; cette découverte, à laquelle il ne s'était peut-être pas attendu, l'enhardit. De l'Amérique méridionale, il résolut d'acclimater en Europe la guerre qu'il déclarait à la Compagnie. Mais cet homme, si téméraire dans ses plans, sentit qu'en présence d'un peuple religieux, il fallait procéder par des voies souterraines et miner la place avant de l'attaquer à force ouverte. Ce fut à Rome qu'il alla chercher les armes dont il avait besoin.

On voyait sur la chaire de saint Pierre un pontife dont le monde chrétien salua les tolérantes vertus, et que le monde savant honora comme une de ses gloires. Benoît XIV, de la famille Lambertini, régnait depuis 1740. Ami des lettres, protecteur des arts, profond canoniste, politique plein d'habileté, il avait rendu à l'Église d'éminents services, et son nom était si révéré que les Auglicans, que les philosophes eux-mêmes, l'entouraient de leurs hommages. Benoît XIV, élève des Jésuites, s'était trouvé, sur certains points, en désaccord avec eux; notamment dans la question des cérémonies chinoises. Mais ces différences d'avis, ces improbations même, tombées du Siége apostolique sur quelques Pères de

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