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Interrogeons la nature dans les ombres de l'en-fance. Je vois un berceau; un foible enfant y pleure, une mere allarmée le ménace, tonne, éclate, il redouble fes plaintes : elle chante, il eft calme. Déja il a interrompu fes cris pour entendre des fons plus mésurés ; il les imite même, il y répond par un murmure inarticulé : tel le jeune oiseau fous l'aîle de fa mere, apprend d'elle fon ramage, il étudie fes airs, il les répéte, &, dès avant for premier effor, il fe prépare aux concerts des bois.

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Interrogeons la nature dans l'ignorance des campagnes. Je vois un peuple groffier, ftupide, aveugle: qu'on lui développe les richeffes de la Poëfie, les graces de l'Eloquence, les charmes de la Peinture, l'industrie de la Navigation, les beautés de l'Architecture; privé de goût & de lumières, il entend fans comprendre, il voit fans admirer, il refte infenfible, il ignore ses plaifirs; mais que, parmi ce même peuple, de beaux airs se faffent entendre, il fe reveille, il devient attentif, il est émû, le fentiment fe déclare, je reconnois l'humanité. Auffi voit-on chaque jour les habitans des hameaux revenir du travail & rentrer dans les bergéries au fon des flageollets & des mufettes, dès que l'étoile du foir revient fur l'horifon : auffi les voiton dans les jours de leurs Fètes, danfer & fouler l'émail des Prés fleuris, au bruit des chanfons & des chalumeaux légers.

Interrogeons la nature dans l'horreur des plus fauvages contrées, de ces Ifles féparées du reste du monde, de ces régions barbares dont les habitans font auffi féroces que les lions & les ours leurs concitoyens. Les Dieux des autres Arts n'eurent jamais de temples fous ces triftes climats ; la feule Harmonie a fçu les rendre tributaires de fes attraits: elle feule a fçu pénétrer ces coeurs inacceffibles aux autres graces; il n'eft point de rivage fi défolé, ni d'échos fi barbares qui n'ayent répeté des chanfons: l'amour de l'Harmonie perce à travers la plus épaiffe barbarie, à travers les plages glacés de l'ours & les arênes de la Zone brûlante; les Hurons impitoyables, les cruels Macaffars, les Caribes fanguinaires, les Cannibales inhumains ont leur Mufique, leurs chants de paix, de guerre, de triomphe : avant de commencer ces feftins homicides dans lefquels ils dévorent les captifs que la victoire leur a foumis, pleins d'une farouche allégreffe, ils forment des danfes enfanglantées autour des victimes dont ils vont être les tombeaux; je dis plus, ils chantent euxmêmes leur propre trépas : du milieu des fupplices, du fein des feux lents qui les entourent, ces Héros barbares rappellent leurs anciens triomphes dans leurs chanfons funébres, & confolés par ce doux fouvenir, ils expirent dans le fein de l'Harmonie, & lui confacrent leur dernier foupir.

Pour derniére preuve, fortons, fi vous voulez, Meffieurs, fortons de la nature raisonnable: interrogeons les animaux, interrogeons le Peuple ailé des airs, le Peuple muet des ondes, le Peuple fugitif des forêts & des rochers; tous fe montreront fenfibles à l'Harmonie. L'Aurore ouvre les portes du jour, la nature s'éveille; déja les oifeaux ranimés annoncent la lumiére & faluent le Soleil naiffant par leurs concerts amoureux; rivaux pleins d'une vive émulation, ils fe cherchent, ils s'attaquent, ils fe répondent, ils fe combattent; leurs chanfons commencent avec le jour, & ne finiffent qu'avec lui: je me trompe, elles ne finiffent pas même; tu les prolonges d'un foleil à l'autre, folitaire Philoméle, Siréne des bois, & quand la fombre nuit vient impofer filence à la nature, elle te laiffe le droit de chanter encore, & de charmer ta tendre mélancolie: l'Echo veille avec toi, avec lui tu t'entretiens de tes anciens malheurs, tes airs, tes harmonieux foupirs, portés au loin, diminuent l'horreur du vafte filence: pour t'entendre exhaler ta peine, la foeur du Soleil abfent promene plus lentement dans les plaines de l'air fon char argenté, elle s'abaiffe, elle femble se fixer fur ton bocage, & la Déeffe du matin te trouve encore dans la plainte & dans les veilles amoureuses.

C'est par ce goût du chant que fouvent les oi

feaux nous en ont difputé l'avantage & le prix jaloux d'une belle voix ou d'un inftrument bien touché fous un ombrage, fouvent le Roffignol a défié nos plus doux accens chantant tour à tour, & balançant la victoire, laffé enfin plûtôt que vaincu, honteux de furvivre à fon filence, fouvent. du fein des ormeaux il est tombé aux pieds de fon vainqueur en foupirant, & plus d'une fois la Guit tarre a été fon tombeau. C'est ce même appas qui du fond des eaux a fouvent attiré dans les filets les poiffons moins craintifs ; c'eft cet attrait qui, felon Pline, rend le cerf attentif aux doux accens de la flûte, le fougueux courfier fenfible au bruit reglé du tambour, l'éléphant aux fons audacieux du clairon; c'eft lui, dit Ovide, qui par la douceur du chalumeau arrêta fouvent le loup enchanté, tandis qu'il poursuivoit l'agneau tremblant.

Paroiffez maintenant, Cenfeurs rigoureux, gra. ves Ariftarques, ofez encore demander où eft la puiffance & le mérite de l'Harmonie : toute la nature vous a répondu; & n'ai-je point dans votre cœur un témoin fecret contre vous-mêmes? A chaque inftant du jour la nature vous répétera par toutes fes voix, que l'Harmonie eft un préfent qu'elle a reçu des Cieux pour charmer fes ennuis & pour faciliter fes travaux : ainfi tout chante dans fa peine. Que font dans leurs fatigues tant d'hommes que le

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befoin condamne à fouffrir pour d'autres hommes & dont les mains, la liberté & les jours font vendus à des Maîtres? Que fait le Laboureur matinal en traçant fes pénibles fillons? Le diligent Moiffonneur au milieu des plaines brûlantes ? L'industrieux Vigneron fur les côteaux qu'il cultive? Que fait le Berger toujours errant avec fon troupeau? Que fait le Forgeron laborieux parmi les flammes dont il eft environné? Que fait fur le rivage le Pêcheur impatient? Que fait dans fa prison flottante le Rameur captif, le Forçat infortuné? Que font tant d'autres mortels dévoués à la folitude ou au mal heur? Ils chantent, & par le chant ils écartent le chagrin, ils femblent hârer le tems, ils abrégent les heures trop lentes; ainfi le folitaire ennuyé chante dans fon défert, le voyageur dans l'horreur des bois, l'exilé dans fa retraite, le captif dans fes fers, le prifonnier dans fes ténébres, l'efclave dans les mines & dans les carriéres profondes, du centre de la terre où il est enseveli vivant, ses chants s'élévent jufqu'à la région du jour par un penchant invariable, , par un instinct commun, par un goût univerfellement confenti, tout annonce, tout attefte que l'Harmonie eft un plaifir néceffaire à la nature; fi nous examinons les autres plaisirs, ne leur trouverons-nous pas, ou moins d'étendue, ou moins de pouvoir, une volupté moins pure, des

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