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paroles mystérieuses par lesquelles il termina un entretien avec le marquis d'Ossun, ambassadeur de France: J'en ai trop appris (1). On cesserait, enfin, de trouver étrange un propos de d'Aranda qui, pour s'excuser près de ses collègues de ne les point admettre à ses entretiens avec le roi sur l'affaire des Jésuites, contenait leur amour propre en leur déclarant qu'il voulait être le maître, et que cela était juste, parce qu'il jouait sa tête (2).

Le temps n'a pas encore suffisamment dévoilé les négociations relatives aux Jésuites, et ne les dévoilera peut-être jamais, car beaucoup de démarches qui les accompagnèrent furent confiées à des sous-ordres, ou opérées par des voies détournées. Ainsi, le duc de Choiseul correspondait pour cet objet, non pas avec l'ambassadeur du roi à Madrid, mais avec l'abbé Beliardi, chargé d'affaires de la marine et du commerce de France à Madrid. Choiseul conserva la correspondance des affaires étrangères avec le Portugal et l'Espagne, même lorsqu'il eut donné le portefeuille de ce ministère à son cousin de Praslin, et qu'il n'était plus ministre de la marine (3).

Du sein d'un royaume tout catholique, partit donc

(1) Saint-Priest, pag. 60.

(2) Saint-Priest, pag. 62.-Lamache, pag. 153.

(3) Flassan, Histoire de la Diplomatie, tom. V, pag. 430.

soudainement un édit de proscription contre les Jésuites. Non-seulement l'Ordre fut aboli, mais encore les membres en furent poursuivis avec une rigueur extraordinaire. Les Jésuites avaient été bannis de France, mais ne l'avaient été que par des arrêts du Parlement, et Louis XV leur avait permis, peu de temps après, de vivre dans le royaume en simples particuliers. Nos Parlements mêmes, si animés qu'ils fussent contre eux, ne les avaient pas arrêtés tous à la fois, ne les avaient pas fait escorter jusqu'à la frontière.

Ce surcroît de rigueur était réservé au Portugal et à l'Espagne. Le ministère d'Aranda suivit l'exemple du ministère Pombal. Cette mesure fut-elle, comme en France, le résultat d'une ligue entre une secte ancienne et une secte nouvelle? Le comte d'Aranda devint-il, en cette occasion, un agent de la philosophie, secondé par les agents d'un autre parti qui commençait alors à se répandre en Espagne? c'est ce qui paraît fort plausible, et appuyé sur des indices assez précis. Quoi qu'il en soit, la proscription des Jésuites fut accompagnée de tous les signes d'une grande vengeance.

D'abord, un rescrit secret, en date du 27 février 1767 (1), chargea le comte d'Aranda, président du conseil de Castille, des détails sur l'expulsion des Jé

(1) G. de Novaes, Elementi della Storia de' Sommi Pontefici, tom. XV, pag. 113.

suites; toutes les autorités et les troupes devaient lui prêter main-forte. Tous les ordres à envoyer dans les quatre parties du monde furent minutés, transcrits et expédiés par le seul comte d'Aranda. On adressa aux gouverneurs généraux des provinces et aux alcades de tous les lieux où il y avait des Jésuites, une circulaire accompagnée d'un paquet. La circulaire, datée du 20 mars 1767, recommandait de ne point ouvrir le paquet avant le 2 avril, au jour tombant, et prescrivait le secret le plus inviolable. Chaque paquet, muni de trois sceaux, celui du roi, celui du conseil suprême de Castille et celui du président de ce tribunal, renfermait le rescrit du 27 février, et des instructions du comte d'Aranda pour l'exécution de la mesure. Ces instructions portaient que les Jésuites seraient tous arrêtés dans la nuit du 2 au 3 avril; qu'ils ne pourraient communiquer avec personne, sous les peines les plus sévères; qu'ils seraient conduits au port de mer le plus prochain, et que leurs biens seraient confisqués. On n'avait omis aucune des précautions qui pouvaient assurer la parfaite exécution de ces ordres. Les troupes devaient être sous les armes, comme dans un moment de grand danger pour l'Etat. Cet appareil extraordinaire avait probablement pour but de faire croire à l'existence de quelque complot, ou à la possibilité de quelque résistance; mais la facilité qu'on trouva dans l'exécution ne laissa pas de

jeter un peu de ridicule sur ces mesures si savamment combinées.

Le 2 avril 1767 parut unė pragmatique-sanction de Charles III, qui ordonnait l'expulsion de tous les Jésuites d'Espagne, ainsi que des colonies, et confisquait leurs biens. Le roi déclarait que les motifs de cette mesure restaient enfermés dans son cœur royal, expression stupide et inique, dont la philosophie elle-même se moquait dans l'intimité. D'Alembert écrivait, en effet, à son cher maître, le patriarche de Ferney:

Croyez-vous à lettre de M. d'Ossun, lue en plein conseil, et qui marque que les Jésuites avaient formé le complot d'assassiner, le jeudi-saint, bon jour bonne œuvre, le roi d'Espagne et toute la famille royale? Ne croyez-vous pas, comme moi, qu'ils sont bien assez méchants, mais non pas assez fous pour cela, et ne désirez-vous pas que cette nouvelle soit tirée au clair? Mais que dites-vous de l'édit du roi d'Espagne qui les chasse si brusquement? Persuadé, comme moi, qu'il a eu pour cela de très-bonnes raisons, ne pensez-vous pas qu'il aurait bien fait de les dire et de ne les pas renfermer dans son cœur royal? Ne pensez-vous pas qu'on devrait permettre aux Jésuites de se justifier, surtout quand on doit être sûr qu'ils ne le peuvent pas (1)? Ne

(1) Cette remarque est importante; c'est même une justification péremptoire.

pensez-vous point encore qu'il serait très-injuste de les faire tous mourir de faim, si un seul frère coupe-chou s'avise d'écrire bien ou mal en leur faveur? Que ditesvous aussi des compliments que fait le roi d'Espagne à tous les autres moines, prêtres, curés, vicaires et sacristains de ses Etats, qui ne sont, à ce que je crois, moins dangereux que les Jésuites, que parce qu'ils sont plus plats et plus vils (1)? Enfin, ne vous semble-t-il pas qu'on pouvait faire avec plus de raison une chose si raisonnable (2)? »

J'écrivais ces jours passés à votre ancien disciple que j'étais persuadé que, s'il chassait tous les Jésuites de Silésie, il ne tiendrait pas renfermées dans son cœur royal les raisons de leur expulsion (3). »

Plusieurs dispositions de l'édit étaient d'ailleurs assez singulières. Le roi défendait d'écrire ou de parler contre l'édit; il enjoignait à ses sujets le silence le plus absolu ,sur cette question, et voulait que les contrevenants fussent punis comme coupables du crime de lèse-majesté, attendu qu'il n'appartient pas aux particuliers de juger

(1) Nouvelle preuve de ce que nous avons dit, de ce qui est assez connu, du reste, que la philosophie n'en voulait pas moins à tout le Clergé qu'aux Jésuites. Encore, d'Alembert trouve-t-il plus de dignité dans ceux-ci que dans ceux-là.

(2) Lettre de d'Alembert à Voltaire (4 mai 1767.) OEuvres de d'Alembert, tom. XVI, pag. 11.

(3) D'Alembert à Voltaire (14 juillet 1767.) Ibid., p. 23.

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