صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

tugal, veut fe rendre maître de l'Angleterre. Je fai bien, que fon droit étoit mal fondé; car il n'en avoit que par la Reine Marie fa femme, morte fans enfans. Elifabeth, illégitime, ne devoit point régner. La Couronne appartenoit à Marie Stuart, & à fon fils. Mais, enfin, fuppofé que le droit de Philippe II eut été inconteftable, l'Europe entiere auroit eu raison néanmoins de s'oppofer à fon établiffement en Angleterre: car ce Royaume fi puiffant, ajouté à fes États d'Efpagne, d'Italie, de Flandres, des Indes orientales & occidentales, le mettoit en état de faire la loi, furtout par les forces maritimes, à toutes les autres puiffances de la Chrétienté. Alors, fummum jus, fumma injuria. Un droit particulier de fucceffion ou de donation, devoit céder à la loi naturelle de la fureté de tant de nations. En un mot, tout ce qui renverfe l'équilibre, & qui donne le coup décifif pour la monarchie univerfelle, ne peut être jufte, quand même il feroit fondé fur des loix écrites dans un pays particulier. La raifon en eft, que ces loix, écrites chez un peuple, ne peuvent prévaloir fur la loi naturelle de la liberté & de la fureté commune, gravée dans le cœur de tous les autres peuples du monde. Quand une Puiffance monte à un point, que toutes les autres Puiffances voifines ensemble ne peuvent plus lui réfifter, toutes ces autres font en droit de fe liguer, pour prévenir cet accroiffement, après lequel il ne feroit plus temps de défendre la liberté commune. Mais, pour faire légitimement ces fortes de ligues, qui tendent à prévenir un trop grand accroiffement d'un État, il faut que le cas foit véritable & preffant: il faut fe contenter d'une ligue défenfive; ou, du moins, ne la faire offenfive, qu'autant que la jufte & néceffaire défense se trouvera renfermée dans les deffeins d'une agreffion. Encore même faut-il toujours, dans les Traités de ligues offenfives, pofer des bornes précises, pour ne détruire jamais une Puiffance, fous prétexte de la

modérer.

Cette attention à maintenir une efpece d'égalité & d'équilibre, entre les nations voifines, eft ce qui en affure le repos commun. A cet égard, toutes les nations voifines, & liées par le commerce, font un grand corps, & une espece de communauté. Par exemple, la Chrétienté fait une efpece de République générale, qui a fes intérêts, fes craintes, fes précautions, à obferver. Tous les membres, qui compofent ce grand corps, fe doivent les uns aux autres pour le bien commun, & fe doivent encore à eux-mêmes pour la fureté de la patrie, de prévenir tout progrès de quelqu'un des membres qui renverferoit l'équilibre, & qui fe tourneroit à la ruine inévitable de tous les autres membres du même corps. Tout ce qui change ou altere ce fyftême général de l'Europe eft trop dangereux, & traîne après foi des maux infinis.

Toutes les nations voifines font tellement liées par leurs intérêts les unes aux autres, & au gros de l'Europe, que les moindres progrès particuliers peuvent altérer ce fyftême général, qui fait l'équilibre, & qui

peut

peut feul faire la fureté publique. Otez une pierre d'une voûte, tout l'édifice tombe, parce que toutes les pierres fe foutiennent en s'entrepouffant.

L'humanité met donc un devoir mutuel de défenfe du falut commun, entre les nations voifines, contre un Etat voifin qui devient trop puiffant; comme il y a des devoirs mutuels entre les concitoyens pour la liberté de la patrie. Si le citoyen doit beaucoup à fa patrie dont il eft membre, chaque nation doit à plus forte raison bien davantage au repos & au falut de la République univerfelle dont elle eft membre, & dans laquelle font renfermées toutes les patries des particuliers.

Les ligues défenfives font donc juftes & néceffaires, quand il s'agit véritablement de prévenir une trop grande Puiffance, qui feroit en état de tout envahir. Cette Puiffance fupérieure n'eft donc pas en droit de rompre la paix avec les autres États inférieurs, précisément à caufe de leur, ligue défenfive; car ils font en droit, & en obligation, de la faire.

Pour une ligue offenfive, elle dépend des circonftances. Il faut qu'elle foit fondée fur des infractions de paix, ou fur la détention de quelque pays des alliés, ou fur la certitude de quelque autre fondement femblable. Encore même faut-il toujours, comme je l'ai déjà dit ci-devant borner de tels traités à des conditions qui empêchent ce qu'on voit; c'eft qu'une nation fe fert de la néceffité d'en rabattre une autre qui afpire à la tyrannie univerfelle, pour y afpirer elle-même à fon tour. L'habileté, auffi-bien que la juftice & la bonne-foi, en faifant des Traités d'alliance, eft de les faire très-précis, très-éloignés de toutes équivoques, & exactement bornés à un certain bien que vous en voulez tirer prochainement. Si vous n'y prenez garde, les engagemens, que vous prenez, fe tourneront contre vous, en abattant trop vos ennemis, & en élevant trop votre allié. Il vous faudra, ou fouffrir ce qui vous détruit, ou manquer à votre parole; chofes prefque également funeftes.

Continuons à raifonner fur ces principes, en prenant l'exemple particulier de la Chrétienté, qui eft le plus fenfible pour nous.

Il n'y a que quatre fortes de fyftêmes. Le premier eft d'être abfolument fupérieur à toutes les autres Puiffances, même réunies : c'eft l'État des Romains, & celui de Charlemagne. Le fecond eft d'être dans la Chrétienté la puiffance fupérieure aux autres, qui font néanmoins à-peuprès le contre-poids, en fè réuniffant. Le troifieme eft d'être une puiffance inférieure à une autre, mais qui fe foutient, par fon union avec tous les voifins, contre cette puiffance prédominante. Enfin, le quatrieme eft d'une puiffance à-peu-près égale à une autre, qui tient tout en paix par cette efpece d'équilibre, qu'elle garde, fans ambition, & de bonne-foi.

L'Etat des Romains & de Charlemagne n'eft point un état qu'il vous foit permis de défirer. I. parce que, pour y arriver, il faut commettre toutes fortes d'injuftices & de violences: il faut prendre ce qui n'eft point Tome XIII.

Oooo

à vous, & le prendre par des guerres abominables dans leur étendue. II. Ce deffein eft très-dangereux : fouvent les Etats périffent par ces folles ambitions. III. Ces Empires immenfes, qui ont fait tant de maux en fe formant, en font bientôt après d'autres encore plus effroyables, en tombant par terre. La premiere minorité, ou le premier regne foible, ébranle les trop grandes maffes, & fépare des peuples, qui ne font encore accoutumés, ni au joug, ni à l'union mutuelle. Alors, quelles divifions, quelles confufions, quelles anarchies, irrémédiables! On n'a qu'à fe fouvenir des maux qu'ont faits en Occident la chûte fi prompte de l'Empire de Charlemagne; & en Orient le renversement de celui d'Alexandre, dont les Capitaines firent encore plus de maux pour partager fes dépouilles, qu'il n'en avoit fait lui-même en ravageant l'Afie. Voilà donc le fyftême le plus éblouiffant, le plus flatteur, & le plus funefte, pour ceux mêmes qui viennent à bout de l'exécuter.

Le fecond fyftême eft d'une Puiffance fupérieure à toutes les autres qui font contre elle à-peu-près l'équilibre. Cette Puiffance fupérieure a l'avantage contre les autres d'être toute réunie, toute fimple, toute abfolue dans fes ordres, toute certaine dans fes mefures. Mais, à la longue, fi elle ne ceffe de réunir contre elle les autres en en excitant la jaloufie, il faut qu'elle fuccombe. Elle s'épuife, elle eft expofée à beaucoup d'accidens internes & imprévus, ou les attaques du dehors peuvent la renverfer foudainement. De plus, elle s'ufe pour rien, & fait des efforts ruineux pour une fupériorité, qui ne lui donne rien d'effectif, & qui l'expofe à toutes fortes de déshonneurs & de dangers. De tous les états, c'eft certainement le plus mauvais d'autant plus qu'il ne peut jamais aboutir, dans fa plus étonnante profpérité, qu'à paffer dans le premier fyftême, que nous avons déja reconnu injufte, & pernicieux.

Le troifieme fyftême eft d'une Puiffance inférieure à une autre, mais en forte que l'inférieure, unie au refte de l'Europe, fait l'équilibre contre la fupérieure, & la fureté de tous les autres moindres Etats. Ce fyftême a fes incommodités & fes inconvéniens; mais, il rifque moins que le précédent parce qu'on eft fur la défenfive, qu'on s'épuife moins, qu'on a des Alliés, & qu'on n'eft point d'ordinaire, dans cet état d'infériorité, dans l'aveuglement & dans la préfomption infenfée, qui menacent de ruine ceux qui prévalent. On voit prefque toujours, qu'avec un peu de temps, ceux, qui avoient prévalu, s'ufent, & commencent à décheoir. Pourvu que cet Etat inférieur foit fage, modéré, ferme dans fes Alliances, précautionné pour ne leur donner aucun ombrage, & pour ne rien faire que par leur avis pour l'intérêt commun, il occupe cette Puiffance fupérieure jufqu'à ce qu'elle baiffe.

Le quatrieme fyftême eft d'une Puiffance à peu-près égale à une autre, avec laquelle elle fait l'équilibre pour la fureté publique. Etre dans cet état, & n'en vouloir point fortir par ambition, c'est l'état le plus fage &

le plus heureux. Vous êtes l'arbitre commun. Tous vos voisins font vos amis du moins, ceux, qui ne le font pas, fe rendent par-là fufpects à tous les autres. Vous ne faites rien, qui ne paroiffe fait pour vos voisins auffi-bien que pour vos peuples. Vous vous fortifiez tous les jours. Et fi vous parvenez, comme cela eft prefque infaillible à la longue par un fage gouvernement, à avoir plus de forces intérieures, & plus d'alliances audehors, que la Puiffance jaloufe de la vôtre; alors, il faut s'affermir de plus en plus dans cette fage modération qui vous borne à entretenir l'équilibre & la fûreté commune. Il faut toujours fe fouvenir des maux que coûtent au-dedans & au-dehors de fon Etat les grandes conquêtes; du rifque qu'il y a à les entreprendre; qu'elles font fans fruit; &, enfin, de la vanité, de l'inutilité, du peu de durée des grands Empires, & des ravages qu'ils caufent en tombant.

Mais, comme il n'eft pas permis d'efpérer, qu'une Puiffance, fupérieure à toutes les autres, demeure long-temps fans abufer de cette fupériorité, un Prince bien fage, & bien jufte, ne doit jamais fouhaiter de laiffer à fes Succeffeurs, qui feront, felon toutes les apparences, moins modérés que lui, cette continuelle & violente tentation d'une fupériorité trop déclarée. Pour le bien même de fes Succeffeurs & de fes Peuples, il doit se burner à une espece d'égalité. Il eft vrai, qu'il y a deux fortes de fupériorités. L'une extérieure, qui confifte en étendue de terres, en places fortifiées, en paffages pour entrer dans les terres de fes voifins, &c. Cellelà ne fait que caufer des tentations, auffi funeftes à foi-même qu'à fes voifins; qu'exciter la haine, la jaloufie, & les ligues. L'autre eft intérieure & folide. Elle confifte dans un peuple plus nombreux, mieux discipliné, plus appliqué à la culture des terres & aux arts néceffaires. Cette fupériorité, d'ordinaire, eft facile à acquérir, fúre, à l'abri de l'envie & des ligues; plus propre même que les conquêtes, & que les places fortes, à rendre un peuple invincible. On ne fauroit donc trop chercher cette feconde fupériorité, ni trop éviter la premiere, qui n'a qu'un faux éclat.

Achevé de tranferire, à la Haye, le 30 de Mai 1720, d'après une copie faite fur une qui fortoit de l'Hôtel de Beauvillier.

AUTRE SUPPLÉMENT,

Contenant diverses Maximes de faine Politique & de fage Adminiftration, tirées, tant des autres écrits de M. DE CAMBRAI, que de fes fimples converfations.

TOUTE

OUTES les Nations de la terre ne font que les différentes familles d'une même République, dont Dieu eft le Pere commun. La Loi naturelle & univerfelle, felon laquelle il veut que chaque famille foit gouvernée, eft de préférer le bien public à l'intérêt particulier.

Si les hommes fuivoient exactement cette Loi naturelle, chacun feroit, & par raison, & par amitié, ce qu'il ne fait à préfent que par crainte, ou par intérêt. Mais, les paffions, malheureusement, nous aveuglent, nous corrompent, & nous empêchent ainfi de connoître & d'aimer cette grande & fage Loi. Il a fallu l'expliquer, & la faire exécuter, par des Loix civiles; &, par conféquent, établir une autorité fuprême, qui jugeât en dernier reffort, & à laquelle tous les hommes puffent avoir recours, comme à la fource de l'unité politique & de l'ordre civil. Autrement, il y auroit autant de gouvernemens arbitraires, qu'il y a de têtes.

[ocr errors]

L'amour du peuple, le bien public, l'intérêt général de la fociété, eft donc la Loi immuable & univerfelle des Souverains. Cette Loi eft antérieure à tout contrat. Elle eft fondée fur la nature-même. Elle eft la fource & la regle fûre de toutes les autres loix. Celui, qui gouverne, doit être le premier & le plus obéiffant à cette Loi primitive. Il peut tout fur les peuples; mais cette Loi doit pouvoir tout fur lui. Le Pere commun de la grande famille ne lui a confié fes enfans, que pour les rendre heureux. Il veut, qu'un feul homme serve, par fa fageffe, à la félicité de tant d'hommes; & non que tant d'hommes fervent, par leur mifere à flatter l'orgueil d'un feul. Ce n'eft point pour lui-même, que Dieu l'a fait Roi. Il ne l'eft, que pour être l'homme des peuples: & il n'eft digne de la Royauté, qu'autant qu'il s'oublie réellement lui-même pour le bien public.

Le defpotifme tyrannique des Souverains est un attentat fur les droits de la fraternité humaine. C'eft renverser la grande & fage loi de la nature, dont ils ne doivent être que les confervateurs. Le defpotifme de la multitude eft une puiffance folle & aveugle, qui fe forcene contre ellemême. Un peuple, gâté par une liberté exceffive, eft le plus infupportable de tous les tyrans. La fageffe de tout gouvernement, quel qu'il foit, confifte à trouver le jufte milieu, entre ces deux extrémités affreuses, dans une liberté modérée par la feule autorité des loix. Mais, les hom

« السابقةمتابعة »