صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

témoigner, pour vous plaire, & pour avancer leur fortune? Ne les avezvous pas rendus malheureux, en leur laiffant concevoir des espérances difproportionnées à leur état, & à votre affection pour eux? N'avez-vous pas ruiné leurs familles, en les laiffant mourir fans récompenfe folide qui refte à leurs enfans, après que vous les avez laiffé vivre dans un faste ridicule, qui a confumé les grands bienfaits qu'ils ont reçus de vous pendant leur vie? N'en a-t-il pas été de même des autres courtisans, chacun felon fon degré? Ils fucent pendant qu'ils vivent, le Royaume entier en quelque temps qu'ils meurent, ils laiffent leurs familles ruinées. Vous leur donnez trop, & vous leur faites encore plus dépenfer. Ainfi ceux qui ruinent l'Etat, fe ruinent eux-mêmes. C'eft vous, qui en êtes la caufe, en affemblant autour de vous tant d'hommes inutiles faftueux, diffipateurs, & qui fe font de leurs plus folles diffipations un titre auprès de vous, pour vous demander de nouveaux biens, qu'ils puiffent encore diffiper.

DIRECTION X X XI V.

N'AVEZ-VOUS point pris des préventions contre quelqu'un, fans avoir jamais examiné les faits? C'eft ouvrir la porte à la calomnie & aux faux rapports, ou du moins prendre témérairement les préventions des gens qui vous approchent, & en qui vous vous confiez. Il n'eft point permis de n'écouter & de ne croire qu'un certain nombre de gens. Ils font, certainement, hommes: &, quand même ils feroient incorruptibles, du moins ils ne font pas infaillibles. Quelque confiance que vous ayez en leurs lumieres & en leur vertu, vous êtes obligé d'examiner s'ils ne font point trompés par d'autres, & s'ils ne s'entêtent point. Toutes les fois que vous vous liererez à un certain nombre de pèrfonnes, qui font liées ensemble par les mêmes intérêts, ou par les mêmes fentimens, vous vous expofez volontairement à être trompé, & à faire des injuftices. N'avez-vous point quelquefois fermé les yeux à certaines raifons fortes, ou du moins n'avezvous pas pris certains partis rigoureux, dans le doute, pour contenter ceux qui vous environnent, & que vous craignez de fàcher? N'avez-vous pas pris le parti, fur des rapports incertains, d'écarter des emplois des gens qui ont des talens, & un mérite diftingué? On dit en foi-même : Il n'eft pas poffible d'éclaircir ces accufations; le plus für eft d'éloigner des emplois cet homme. Mais cette prétendue précaution eft le plus dangereux de tous les pieges. Par-là, on n'approfondit rien, & on donne aux rapporteurs tout ce qu'ils prétendent. On juge le fond fans examiner; car, on exclut le mérite, & on fe laiffe effaroucher contre toutes les personnes que les rapporteurs veulent rendre fufpectes. Qui dit un rapporteur dit un homme, qui s'offre pour faire ce métier, qui s'infinue par cet horrible métier, & qui par conféquent eft manifeftement indigne de toute créance. Le croire, c'est vouloir s'expofer à égorger l'innocent. Un Prince, qui

prête l'oreille aux rapporteurs de profeffion, ne mérite de connoître ni la vérité, ni la vertu. Il faut chaffer, & confondre ces peftes de Cour. Mais comme il faut être averti, le Prince doit avoir d'honnêtes-gens, qu'il oblige, malgré eux, à veiller, à obferver, à favoir ce qui fe passe, & à l'en avertir fecrétement. Il doit choifir, pour cette fonction, les gens à qui elle répugne davantage, & qui ont le plus d'horreur pour le métier infame de rapporteur. Ceux-ci ne l'avertiront que des faits véritables & importans: ils ne lui diront point toutes les bagatelles qu'il doit ignorer, & fur lefquelles il doit être commode au public. Du moins, ils ne lui donneront les chofes douteufes, que comme douteufes : & ce sera à lui à les approfondir, ou à fufpendre fon jugement fi elles ne peuvent être éclaircies.

DIRECTION X X X V.

N'AVEZ-VOUS point trop répandu de bienfaits fur vos Miniftres, fur vos favoris, & fur leurs créatures, pendant que vous avez laiffé languir dans le befoin des perfonnes de mérite, qui ont long-temps fervi, & qui manquent de protection? D'ordinaire, le grand défaut des Princes eft d'être foibles, mous, & inappliqués. Ils ne font prefque jamais déterminés par le mérite, ni par les vrais défauts des gens. Le fond des choses n'est pas ce qui les touche: leur décifion, d'ordinaire, vient de ce qu'ils n'ofent refufer ceux qu'ils ont l'habitude de voir, & de croire. Souvent, ils les fouffrent avec impatience, & ne laiffent pourtant pas de demeurer fubju gués. Ils voyent les défauts de ces gens-là, & fe contentent de les voir. Ils fe favent bon gré de n'en être pas les dupes; après quoi, ils les fuivent aveuglément. Ils leur facrifient le mérite, l'innocence, les talens diftingués, & les plus longs fervices. Quelquefois, ils écouteront favorablement un homme, qui ofera leur parler contre ces Miniftres, ou ces favoris, & ils verront des faits clairement vérifiés. Alors, ils gronderont, & feront entendre à ceux qui auront ofé parler, qu'ils feront foutenus contre le Miniftre, ou contre le favori. Mais, bientôt le Prince fe laffe de protéger celui qui ne tient qu'à lui feul. Cette protection lui coûte trop dans le détail : &, de peur de voir un vifage mécontent dans la perfonne du Miniftre, l'honnête-homme, par qui l'on avoit fu la vérité, sera abandonné à fon indignation. Après cela, méritez-vous d'être averti? Pouvez-vous efpérer de l'être? Quel eft l'homme fage, qui ofera aller droit à vous, fans paffer par le Miniftre, dont la jaloufie eft implacable? Ne méritez-vous pas de ne plus voir que par fes yeux? N'êtes-vous pas livré à fes pasfions les plus injuftes, & à fes préventions les plus déraisonnables? Vous laiffez-vous quelque remede contre un si grand mal?

DIRECTION X X X V I.

NE vous laiffez-vous point éblouïr par certains hommes, vains, hardis, & qui ont l'art de fe faire valoir; pendant que vous négligez, & laiffez loin de vous, le mérite fimple, modefte, timide, & caché? Un Prince montre la groffiéreté de fon goût, lorfqu'il ne fait pas difcerner combien ces efprits fi hardis, & qui ont l'art d'impofer, font fuperficiels, & pleins de défauts méprifables. Un Prince fage & pénétrant n'eftime ni les efprits évaporés, ni les grands parleurs, ni ceux qui décident d'un ton de confiance, ni les critiques dédaigneux, ni les moqueurs qui tournent tout en plaifanterie. Il méprife ceux qui trouvent tout facile, qui applaudiffent à tout ce qu'il veut, qui ne confultent que fes yeux, ou le ton de fa voix, pour deviner fa penfée, & pour l'approuver. Il recule, loin des emplois de confiance, ces hommes, qui n'ont que des dehors fans fond. Au contraire, il cherche, il prévient, il attire à foi, les perfonnes judicieuses & folides, qui n'ont aucun empreffement, qui fe défient d'ellesmêmes, qui craignent les emplois, qui promettent peu & qui tâchent de faire beaucoup, qui ne parlent guere & qui penfent toujours, qui parlent d'un ton douteux, & qui favent contredire avec respect.

De tels fujets demeurent fouvent obfcurs dans les places inférieures pendant que les premieres font occupées par des hommes groffiers & hardis, qui ont impofé au Prince, & qui ne fervent qu'à montrer combien il manque de difcernement. Tandis que vous négligerez de chercher le mérite caché, & de réprimer les gens empreffés & dépourvus de qualités folides, vous ferez responsable devant Dieu de toutes les fautes qui feront faites par ceux qui agiront fous vous. Le métier d'adroit courtifan perd tout dans un Etat. Les efprits les plus courts, & les plus corrompus, font fouvent ceux qui apprennent le mieux cet indigne métier. Ce métier gâte tous les autres : le Médecin néglige la médecine : le Prélat oublie les devoirs de fon miniftere; le Général d'armée songe bien plus à faire fa Cour, qu'à défendre l'Etat : l'Ambaffadeur négocie bien plus pour les propres intérêts à la Cour de fon maître, qu'il ne négocie pour les intérêts de fon maître à la Cour où il eft envoyé. L'art de faire fa cour gâte les hommes de toutes les profeffions, & étouffe le vrai mérite.

Rabaiffez donc ces hommes, dont tout le talent ne confifte qu'à plaire, qu'à flatter, qu'à éblouir, qu'à s'infinuer pour faire fortune. Si vous y manquez, vous remplirez indignement vos places, & le vrai mérite demeurera toujours en arriere. Votre devoir eft de reculer ceux qui s'avancent trop, & d'avancer ceux qui demeurent reculés en faisant leur devoir.

DIRECTION XXXVII, ET DERNIERE.

N'AVEZ-VOUS point entaffé trop d'emplois fur la tête d'un feul homme, foit pour contenter fon ambition, foit pour vous épargner la peine d'avoir beaucoup de gens à qui vous foyez obligé de parler? Dès qu'un homme eft l'homme-à-la-mode, on lui donne tout, on voudroit qu'il fit lui feul toutes choses. Ce n'eft pas qu'on l'aime; car on n'aime rien : ce n'eft pas qu'on s'y fie; car on fe défie de la probité de tout le monde : ce n'eft pas qu'on le trouve parfait; car on eft ravi de le critiquer fouvent : mais, c'eft qu'on eft pareffeux & fauvage. On ne veut point avoir à compter avec tant de gens. Pour en voir moins & pour n'être point obfervé de près par tant de perfonnes, on fera faire à un feul homme ce que quatre auroient grand'peine à bien faire. Le public en fouffre, les expéditions languiffent, les furprifes & les injuftices font plus fréquentes & plus irremediables. L'homme eft accablé, & feroit bien faché de ne l'être pas. Il n'a le temps, ni de penfer, ni d'approfondir, ni de faire des plans, ni d'étudier les hommes dont il fe fert: il eft toujours entraîné au jour la journée, par un torrent de détails à expédier.

D'ailleurs, cette multitude d'emplois fur une feule tête, fouvent affez foible, exclut tous les meilleurs fujets, qui pourroient fe former, & faire de grandes choses. Tout talent demeure étouffé. La pareffe du Prince en eft la vraie cause. Les plus petites raifons décident fur les grandes affaires. Delà naiffent des injuftices innombrables. Pauca de te, difoit Saint Auguftin au Comte Boniface, fed multa propter te. Peut-être ferez-vous peu de mal par vous-même; mais, il s'en fera d'infinis par votre autorité mise en mauvaises mains.

SUPPLÉMENT OU ADDITION

AUX DIRECTIONS

PRÉCÉDENTES

X XV - X X X,

Concernant en particulier, non-feulement le droit légitime, mais même la neceffité indifpenfable, de former des Alliances, tant offenfives que défenfives, contre une Puiffance fupérieure, juftement redoutable aux autres, & tendant manifeftement à la Monarchie univerfelle.

LES États voifins les uns des autres ne font pas feulement obligés à se traiter mutuellement felon les regles de la juftice, & de la bonne foi; mais ils doivent encore, pour leur fureté particuliere, autant que pour l'intérêt commun, faire une efpece de fociété, & de république générale.

Il faut compter, qu'à la longue, la plus grande puiffance prévaut toujours, & renverse les autres, fi les autres ne fe réuniffent point pour faire le contre-poids. Il n'eft pas permis d'efpérer parmi les hommes qu'une puiffance fupérieure demeure dans les bornes d'une exacte modération : & qu'elle ne veuille dans fa force, que ce qu'elle pourroit obtenir dans fa plus grande foibleffe. Quand même un Prince feroit affez parfait, pour faire un ufage fi merveilleux de fa profpérité, cette merveille finiroit avec fon regne. L'ambition naturelle des Souverains, les flatteries de leurs Confeillers & la prévention des nations entieres, ne permettent pas de croire, qu'une nation, qui peut fubjuguer les autres, s'en abftienne pendant des fiecles entiers. Un regne, où éclateroit une juftice fi extraordinaire, feroit l'ornement de l'hiftoire, & un prodige qu'on ne peut plus revoir.

Il faut donc compter fur ce qui eft réel & journalier; qui eft, que chaque nation cherche à prévaloir fur toutes les autres qui l'environnent. Chaque nation eft donc obligée à veiller fans ceffe, pour prévenir l'exceffif agrandiffement de chaque voifin, pour fa fureté propre. Empêcher le voifin d'être trop puiffant, ce n'eft point faire un mal : c'est se garantir de la fervitude, & en garantir fes autres voifins. En un mot, c'eft travailler à la liberté, à la tranquillité, au falut public. Car l'agrandiffement d'une nation au-delà d'une certaine borne, change le fyftême général de toutes les nations qui ont rapport à celle-là. Par exemple, toutes les fucceffions, qui font entrées dans la maison de Bourgogne, puis celles qui ont élevé la maifon d'Autriche, ont changé la face de toute l'Europe. Toute l'Europe a dû craindre la Monarchie univerfelle fous Charles-Quint; fur-tout après que François I eut été défait & pris à Pavie. Il eft certain qu'une nation, qui n'avoit rien à démêler directement avec l'Espagne, ne laiffoit pas alors d'être en droit, pour la liberté publique, de prévenir cette puiffance rapide, qui fembloit prête à tout engloutir.

Les particuliers ne font pas en droit de s'oppofer de même à l'accroiffement des richeffes de leurs voifins; parce qu'on doit fuppofer, que cet accroiffement d'autrui ne peut être leur ruine. Il y a des loix écrites, & des Magiftrats, pour réprimer les injuftices & les violences entre les familles inégales en biens. Mais pour les Etats, ils ne font pas de même. Le trop grand accroiffement d'un feul peut être la ruine & la fervitude de tous les autres qui font fes voifins : il n'y a, ni loix écrites, ni juges établis, pour fervir de barriere contre les invafions du plus puiffant. On eft toujours en droit de fuppofer, que le plus puiffant, à la longue, fe prévaudra de fa force, quand il n'y aura plus d'autre force à-peu-près égale, qui puiffe l'arrêter. Ainfi, chaque Prince eft en droit, & en obligation de prévenir dans fon voifin cet accroiffement de puiffance, qui jetteroit fon peuple, & tous les autres peuples voisins, dans un danger prochain de fervitude fans reffource.

Par exemple, Philippe II, Roi d'Espagne, après avoir conquis le Por

« السابقةمتابعة »