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DIRECTIONS POUR LA CONSCIENCE D'UN ROI,

COMPOSÉES

POUR L'INSTRUCTION DE LOUIS DE FRANCE, DUC DE BOURGOGNE, (a)

Par Meffire FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LA MOTHE-FENELON; Archevêque-Duc de Cambrai, fon Précepteur.

PERSON

INTRODUCTION.

ERSONNE ne fouhaite plus que moi, Monfeigneur, que vous foyez un très-grand nombre d'années loin des périls inféparables de la Royauté. Je le fouhaite par zele pour la confervation de la perfonne facrée du Roi, fi néceffaire à fon Royaume, & celle de Monfeigneur le Dauphin (b). Je le fouhaite pour le bien de l'État. Je le fouhaite pour le vôtre même : car un des plus grands malheurs qui vous pût arriver, feroit d'être maître des autres, dans un âge où vous l'êtes encore fi peu de vous-même. Mais, il faut vous préparer de loin aux dangers d'un Etat, dont je prie Dieu de vous préserver jufqu'à l'âge le plus avancé de la vie. La meilleure maniere de faire connoître cet État à un Prince qui craint Dieu & qui aime la Religion, c'eft de lui faire un Examen de Confcience fur les devoirs de la Royauté : & c'eft ce que je vais tâcher de faire.

DIRECTION I.

CONNOISSEZ-VOUS affez toutes les vérités du Chriftianifme? Vous ferez jugé fur l'Evangile, comme le moindre de vos fujets. Étudiez-vous vos devoirs dans cette Loi divine? Souffririez-vous qu'un Magiftrat jugeât tous les jours les peuples en votre nom, fans favoir vos Loix & vos Ordonnances, qui doivent être la regle de fes jugemens? Efpérez-vous que Dieu

(a) Petit-Fils de Louis XIV, Roi de France & de Navarre; né à Verfailles, le 6 d'Août 1682; & mort XX Dauphin de la Maison de France, à Marli, le 18 de Février 1712.

(b) Louis de France, Fils de Louis XIV; né à Fontainebleau, le 1 de Novembre 1661; & mort à Meudon, le 14 d'Avril 1711.

fouffrira que vous ignoriez fa Loi, fuivant laquelle il veut que vous viviez & que vous gouverniez fon peuple? Lifez-vous l'Evangile fans curiofité, avec une docilité humble, dans un efprit de pratique, & vous tournant contre vous-même pour vous condamner dans toutes les chofes que cette Loi reprendra en vous?

DIRECTION I I.

NE vous êtes-vous point imaginé que l'Evangile ne doit point être la regle des Rois comme celle de leurs fujets; que la Politique les difpenfe d'être humbles, juftes, finceres, modérés, compatiffans, prêts à pardonner les injures? Quelque lâche & corrompu flatteur ne vous a-t-il point dit, & n'avez-vous point été bien-aife de croire, que les Rois ont befoin de fe gouverner, pour leurs États, par certaines maximes de hauteur, de dureté, de diffimulation, en s'élevant au-deffus des regles communes de la justice & de l'humanité?

DIRECTION II I.

N'AVEZ-VOUS point cherché les Confeillers en tout genre les plus difpo fés à vous flatter dans vos maximes d'ambition, de vanité, de faste, de moleffe & d'artifice? N'avez-vous point eu peine à croire les hommes fermes & defintéreffés, qui, ne défirant rien de vous, & ne fe laiffant point éblouir par votre grandeur, vous auroient dit avec refpe&t toutes vos vérités; & vous auroient contredit, pour vous empêcher de faire des fautes ?

DIRECTION I V.

N'AVEZ-VOUS pas été bien-aise, dans les replis les plus cachés de votre cœur, de ne pas voir le bien, que vous n'aviez pas envie de faire, parce qu'il vous en auroit trop coûté pour le pratiquer : & n'avez-vous point cherché des raifons pour excufer le mal auquel votre inclination vous portoit ?

DIRECTION V.

N'AVEZ-VOUS point négligé la Priere, pour demander à Dieu la connoiffance de ses volontés fur vous? Avez-vous cherché, dans la Priere, la grace pour profiter de vos lectures? Si vous avez négligé de prier, vous vous êtes rendu coupable de toutes les ignorances où vous avez vécu, & que l'efprit de priere vous auroit ôtées. C'eft peu de lire les vérités éternelles, fi on ne prie pour obtenir le don de les bien entendre. N'ayant pas bien prié, vous avez mérité les ténebres où Dieu vous a laiffé fur la correction de vos défauts, & fur l'accompliffement de vos devoirs. Ainfi, la négligence, la tiédeur & la diftraction volontaire dans la priere, qui

paffent

paffent pour l'ordinaire pour les plus légeres de toutes les fautes, font néanmoins la vraie fource de l'ignorance & de l'aveuglement funefte, où vivent la plupart des Princes.

DIRECTION V I.

AVEZ-VOUS choifi pour votre confeil de Confcience les hommes les plus pieux, les plus fermes, & les plus éclairés, comme on cherche les meilleurs Généraux d'armée pour commander pendant la guerre, & les meilleurs Médecins quand on eft malade? Avez-vous compofé ce confeil de Confcience de plufieurs perfonnes, afin que l'une puiffe vous préferver des préventions de l'autre ; parce que tout homme, quelque droit & habile qu'il puiffe être, eft toujours capable de prévention? Avez-vous donné à ce Confeil une entiere liberté de vous découvrir, fans adouciffement, toute l'étendue de vos obligations de Conscience?

DIRECTION VII.

AVEZ-VOUS travaillé à vous inftruire des Loix, Coutumes & Ufages du Royaume? Le Roi eft le premier Juge de fon Etat. C'eft lui, qui fait les Loix. C'eft lui, qui les interprete dans le befoin. C'eft lui, qui juge fouvent dans fon Confeil, fuivant les Loix qu'il a établies, ou trouvées déjà établies avant fon Regne. C'est lui, qui doit redreffer tous les autres Juges. En un mot, fa fonction eft d'être à la tête de fes armées pendant la guerre. Et comme la guerre ne doit jamais être faite qu'à regret, & le plus courtement qu'il eft poffible, & en vue d'une conftante paix; il s'enfuit, que la fonction de commander des armées, n'eft qu'une fonction paffagere, forcée & trifte pour les bons Rois : au lieu que celle de juger les peuples, & de veiller fur tous les Juges, eft leur fonction naturelle, effentielle, ordinaire, & inféparable de la Royauté. Bien juger, c'eft juger felon les Loix. Pour juger felon les Loix, il les faut favoir. Les favez-vous, & êtes-vous en état de redreffer les Juges qui les ignorent ? Connoiffez-vous affez les principes de la Jurifprudence, pour être facilement au fait, quand on vous rapporte une affaire? Etes-vous en état de difcerner, entre vos Confeillers, ceux qui vous flattent, d'avec ceux qui ne vous flattent pas ; & ceux qui fuivent religieufement les regles, d'avec ceux qui voudroient les plier d'une façon arbitraire felon leurs vues? Ne dites point, que vous fuivez la pluralité des voix, car, outre qu'il y a des cas de partage dans votre Confeil, où votre avis doit décider, ne fuffiez-vous-là que comme un Président de Compagnie; de plus, vous êteslà le feul vrai Juge. Vos Confeillers d'Etat, ou Miniftres, ne font que de fimples confulteurs. C'eft vous feul, qui décidez effectivement. La voix d'un feul homme de bien, éclairé, doit fouvent être préférée à celle de Tome XIII. LIII

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dix Juges timides & foibles, ou entêtés & corrompus. C'est le cas où l'on doit plutôt pefer que compter les voix.

DIRECTION VIII.

AVEZ-VOUS étudié la vraie forme du Gouvernement de votre Royaume? Il ne fuffit pas de favoir les Loix qui reglent la propriété des terres, & autres biens, entre les particuliers: c'eft, fans doute, la moindre partie de la juftice. Il s'agit de celle, que vous devez garder entre votre nation & vous, entre vous & vos voifins. Avez-vous étudié férieufement ce qu'on nomme le Droit des Gens: Droit qu'il eft d'autant moins permis à un Roi d'ignorer, que c'eft le droit qui regle fa conduite dans fes plus importantes fonctions; & que ce droit fe réduit aux principes les plus évidens du droit naturel pour tout le Genre-Humain? Avez-vous étudié lès Loix fondamentales, & les Coutumes conftantes, qui ont force de Loi pour le Gouvernement de votre nation particuliere? Avez-vous cherché à connoître, fans vous flatter, quelles font les bornes de votre autorité ? Savez-vous par quelles formes le Royaume s'eft gouverné fous les diverfes races? Ce que c'étoit que les anciens Parlemens, & les Etats-Généraux qui leur ont fuccédé? Quelle étoit la fubordination des fiefs? Comment les chofes ont paffé à l'état préfent? Sur quoi ce changement eft fondé? Ce que c'eft que l'anarchie: ce que c'eft que la puiffance arbitraire; & ce que c'eft que la Royauté réglée par les Loix, milieu entre ces deux extrémités? Souffririez-vous, qu'un Juge jugeât, fans favoir l'ordonnance; & qu'un Général d'armée commandât, fans favoir l'art militaire? Croyez-vous, que Dieu fouffre, que vous régniez, fi vous régnez fans être inftruit de ce qui doit borner & régler votre puiffance? Il ne faut donc pas regarder l'étude de l'hiftoire, des mœurs, & de tout le détail de l'ancienne forme de Gouvernement, comme une curiofité indifférente, mais comme un devoir effentiel de la Royauté.

DIRECTION IX.

IL ne fuffit pas de favoir le paffé il faut connoître le préfent. Savezvous le nombre d'hommes, qui compofent votre nation; combien d'hommes, combien de femmes; combien de laboureurs, combien d'artisans combien de praticiens, combien de commerçans, combien de prêtres & de religieux, combien de nobles & de militaires? Que diroit-on d'un berger, qui ne fauroit pas le nombre de fon troupeau? Il eft auffi facile à un Roi de favoir le nombre de fon peuple: il n'a qu'à le vouloir. Il doit favoir, s'il y a affez de laboureurs, s'il y a à proportion trop d'autres artifans, trop de praticiens, trop de militaires, à la charge de l'Etat. Il doit connoître le naturel des habitans des différentes Provinces,

leurs principaux ufages, leurs franchises, leur commerce, & les Loix de leurs divers trafics au dedans & au dehors du Royaume. Il doit favoir quels font les divers tribunaux établis en chaque Province, les droits des charges, les abus de ces charges, &c. autrement, il ne faura point la valeur de la plupart des chofes qui pafferont devant fes yeux. Ses Ministres lui impoferont fans peine à toute heure: il croira tout voir; & ne verra rien qu'à demi. Un Roi, ignorant fur toutes chofes, n'eft qu'à demi Roi. Son ignorance le met hors d'état de redreffer ce qui eft de travers. Son ignorance fait plus de mal, que la corruption des hommes qui gouvernent fous lui.

DIRECTION X.

On dit d'ordinaire aux Rois, qu'ils ont moins à craindre les vices des particuliers, que les défauts auxquels ils s'abandonnent dans les fonctions Royales. Pour moi, je dis hardiment le contraire & je foutiens, que toutes leurs fautes dans la vie privée font d'une conféquence infinie pour la Royauté. Examinez donc vos mœurs en détail. Les fujets font de ferviles imitateurs de leurs Princes; fur-tout dans les chofes qui flattent leurs paffions. Leur avez-vous donné le mauvais exemple d'un amour déshonnête & criminel? Si vous l'avez fait, votre autorité a mis en honneur l'infamie. Vous avez rompu la barriere de l'honneur & de l'honnêteté. Vous avez fait triompher le vice & l'impudence. Vous avez appris à tous vos fujets à ne rougir plus de ce qui eft honteux leçon funefte, qu'ils n'oublieront jamais! Il vaudroit mieux, dit Jefus-Christ, étre jetté, avec une meule de moulin au cou, au fond des abymes de la mer, que d'avoir feandalife le moindre des petits. Quel eft donc le fcandale d'un Roi, qui montre le vice affis avec lui fur fon Trône, non-feulement à tous fes fujets, mais encore à toutes les cours, & à toutes les nations du monde connu! Le vice eft par lui-même un poifon contagieux. Le Genre-Humain est toujours prêt à recevoir cette contagion il ne tend, par fes inclinations, qu'à fecouer le joug de toute pudeur. Une étincelle caufe un incendie. Une action d'un Roi fait fouvent une multiplication & un enchaînement de crimes, qui s'étendent jufqu'à plufieurs nations & à plufieurs fiecles. N'avezvous point donné de ces mortels exemples? Peut-être croyez-vous, que vos défordres ont été fecrets. Non, le mal n'eft jamais fecret dans les Princes. Le bien peut y être fecret; car, on a grande peine à le croire véritable en eux mais, pour le mal, on le devine, on le croit fur les moindres foupçons. Le public pénetre tout : &, fouvent, pendant que le Prince fe flatte que fes foibleffes font ignorées, il eft le feul qui ignore combien elles font l'objet de la plus maligne critique. En lui, tout commerce équivoque eft fujet à explication: toute apparence de galanterie, tout air paffionné ou amufé, caufe un fcandale, & porte coup pour altérer les mœurs de toute une nation.

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