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yeux; mais encore de prévoir de loin ce qui doit arriver; & lorfqu'après un mûr examen on a pris une ferme réfolution d'exécuter un projet, il doit perfifter de toutes fes forces, fans fe laiffer détourner, ni par la crainte de quelque petit mal imprévu, ni par les attraits d'un plaifir préfent. Mais d'un autre côté il faudroit être bien infensé pour se roidir, en vain, contre le torrent, & pour ne pas s'accommoder aux chofes, comme dit Epictete, lorfqu'elles ne veulent pas s'accommoder à nous.

Enfin, comme la prévoyance humaine eft fort bornée, & qu'il ne dépend pas de nous de diriger l'avenir, il ne faut ni se repofer avec trop de fécurité fur le préfent, ni anticiper l'avenir par des inquiétudes & des craintes fuperflues. Par la même raison on doit éviter également de s'enorgueillir dans les bons fuccès & de perdre courage dans les mauvais.

Aquam memento rebus in arduis

Servare mentem non fecus in bonis
Ab infolenti temperatam

Lætitia. Horat. Lib. II. Od. III.

Enfin la Connoiffance de nous-mêmes & de notre état, nous apprend encore, qu'étant nés membres de la fociété, le moyen le plus fûr de nous rendre heureux, c'eft de travailler au bonheur des autres.

Si les fondateurs des fociétés & les Princes avoient été pénétrés de cette vérité importante, les loix & les coutumes feroient, à-peu-près, uniformes par-tout. Mais nous courons encore après ce bonheur qui nous fuit, parce que chacun d'eux l'a placé fuivant ce que lui dictoient fon humeur & fes inclinations; différences qui ont dû fe manifefter dans leurs inftitutions que l'on voit aufli variées que leurs caprices. C'eft donc, avec raifon, qu'on accufe les Législateurs d'être caufe du peu de concert qui regne entre les hommes, non-feulement parce qu'ils ont mis l'intérêt général en oppofition avec l'intérêt particulier, mais fur-tout pour n'avoir pas affez appris aux hommes, que c'eft dans le bonheur général uniquement que chaque particulier doit puifer le fien. Lycurgue, en fe traçant une route particuliere, avoit bien approché du point de perfection à cet égard, car, d'ailleurs, fon plan de législation avoit des défauts effentiels. Il eft certain que le bonheur des parties eft celui du tout or les individus de la fociété ne fauroient le trouver & l'obtenir fans travailler à celui de la fociété dont ils font membres. Le bonheur particulier eft le bonheur de ces efprits bornés qui s'imaginent être en fureté dans un incendie, tandis que la maifon de leur voifin brûle,

1

CONNOISSANCE DES

HOMME S.

Combien il eft important que les Princes & leurs Miniftres connoiffent les Hommes.

L'HOM

'HOMME d'État ne peut conduire les hommes avec fageffe, ni les employer avec difcernement & avantage, fans les bien connoître; & le regne d'un Monarque ne fera qu'une fuite de. fautes & d'égaremens, s'il néglige une science, qui eft, à proprement parler, celle des Rois, qui doit faire l'étude de toute leur vie, & qui, après beaucoup de réflexions & d'expériences, demeure toujours très-imparfaite.

Quand on n'auroit que des troupeaux à conduire, on ne pourroit le faire avec fuccès, fans en connoître les inclinations naturelles & les befoins; fans être attentif à ce qui peut leur nuire ou leur être utile; fans étudier les manieres de les gouverner qui réuffiffent le mieux; & fans profiter de ce qu'on découvre tous les jours concernant leurs maladies, & les remedes. Combien donc eft-il plus jufte qu'un Prince, chargé de la conduite des hommes, donne tous fes foins à les bien connoître, afin qu'il ne les gouverne pas au hafard; qu'il n'emploie à leur égard que la raifon & l'intelligence, qu'il entre dans tous leurs véritables befoins, qu'il fatisfaffe leurs juftes inclinations, qu'il condefcende à ce qu'elles ont de bon, & qu'il s'oppose à ce qu'elles ont d'injufte?

Croiroit-on qu'un Pafteur, à qui l'on n'auroit confié que quelques brebis, s'acquitteroit de fon devoir en ne confultant que fes volontés, & en n'employant que la force? Comment donc peut-on penfer qu'un Prince n'ait qu'à commander ce qui lui plaira, & à foutenir fes commandemens par la force, & qu'il ne faille, pour régner, qu'être abfolu?

Il faut avoir une idée bien baffe de la Royauté pour la borner à la feule puiffance & pour en exclure la raifon. Y a-t-il un pere qui ne fe trouvât déshonoré, fi on le croyoit incapable de conduire fa famille avec fageffe? Voudroit-on confier une ville, fes loix, fon commerce, fa liberté, fa fureté à un homme fans intelligence? Et quelle témérité par conféquent n'eft-ce point de fe charger d'un grand Etat où il y a des millions d'hommes, fans tâcher d'approfondir ce qu'ils font, & de connoître parlà ce qu'on leur doit.

Un bon Prince défire avec ardeur de favoir ce qui eft capable de remuer les hommes, de les attirer, de les attacher, de les porter au bien, afin d'employer à leur égard tout ce qui produit de tels effets. Il veut être inftruit de ce qu'ils attendent de celui qui les conduit, afin de ne pas manquer à leur attente. Il examine pourquoi il eft de leur intérêt de fe fou

mettre à lui, afin de ménager cet intérêt même, pour rendre leur foumiffion plus fûre, & plus conftante. Il fait attention à tout ce qui les blesse, & qui les porte à la défiance, pour l'éviter avec foin. Il difcerne dans leurs inclinations & leurs défirs, ce qui eft légitime pour le leur accorder, & ce qui ne l'eft pas pour s'y oppofer, de peur d'entretenir, par une foible complaifance, des maux qu'il faut guérir par une fermeté, rai

fonnable.

Il s'applique, fur toutes chofes, à bien connoître par quels moyens les efprits de tant de caracteres différens peuvent être perfuadés & réunis dans un même fentiment; par quelles infinuations on entre dans leur cœur, par quels remedes on guérit leurs préjugés; par quels degrés on établit la confiance; à quelles preuves on connoît qu'on eft affez le maître pour établir tout le bien qu'on juge néceffaire; car c'eft dans la vue de leur bien, c'est pour les rendre heureux, que le chef de l'Etat cherche à connoître ceux qu'il gouverne.

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Outre ces raifons, qui font preffantes & fans replique, le Prince eft obligé de faire une étude particuliere des hommes, pour connoître leurs talens, leur mérite, leur capacité par rapport aux emplois. C'est à lui à les choifir & à les placer : c'eft fur lui que retombent toutes les fuites d'un mauvais choix c'eft à lui que le compte en fera demandé : & comment le Prince fe conduira-t-il dans un choix fi difficile, s'il ignore ce qui eft néceffaire dans chaque emploi; s'il ne peut être juge des qualités de celui à qui il le confie; s'il fe laiffe éblouir par de fauffes apparences, s'il se fait aider dans cette dangereuse fonction par des perfonnes peu éclairées ou infideles à qui mal à propos il a donné fa confiance?

Comment le Prince diftinguera-t-il un mérite extraordinaire, mais caché, d'un mérite médiocre qu'on lui vante? Comment faura-t-il ce que c'est que mérite dans chaque état, s'il n'a lui-même non pas un mérite univerfel, au moins une Connoiffance affez étendue du mérite dans tous les genres, pour en juger fainement: Connoiffance qui ne s'acquiert que par l'étude réfléchie des hommes & de leurs qualités naturelles & acquifes?.

Comment jugera-t-il de plufieurs qualités qui fe trouvent dans un même fujet, dont les unes font bonnes & les autres mauvaises, pour marquer cet homme une place où il fera utile par celles-là, fans être dangereux par celles-ci? Comment au contraire refufera-t-il un emploi à un homme fage & réglé, mais trop foible pour réfifter aux périls dont cet emploi est environné? Comment faura-t-il fe déterminer, en donnant chaque place, par le point véritablement décifif, fans fe laiffer jamais éblouir par d'autres qualités, excellentes à la vérité, mais plus propres à un autre emploi ?

Qui ne voit, par cette légere idée que je propofe ici, & qui n'eft rien en comparaison de la chofe même, que l'Homme-d'Etat eft expofé à tom

ber dans un million de furprises, s'il ne fait ce que font, & ce que valent les hommes, s'il ne peut les comparer avec les emplois; s'il ne fait balancer leurs bonnes qualités par les mauvaises; & s'il n'eft capable de prévoir ce que l'occafion & les penchans naturels cauferont de foibleffe, dans des perfonnes qu'il ne doit pas expofer?

Mais ce qui rend la Connoiffance des hommes infiniment plus néceffaire au Prince que tout ce que je viens de dire, eft l'intérêt qu'il y a lui-même. Car il ne peut éviter de traiter avec eux, de partager avec eux fon autorité, de les admettre dans fa confiance & dans fes confeils. Et il eft pour lui de la derniere conféquence de bien connoître ceux à qui il fe fie, & fur qui il fe décharge d'une partie de fon autorité car s'il fe trompe dans ce premier choix, il fera trompé dans tout le refte.

Il aura inutilement de bonnes intentions, elles demeureront toujours fans effet. Il défirera en vain de connoître la vérité, elle n'approchera jamais de lui. Il ignorera toujours ce qu'il eft, & ce qu'eft fon Royaume, ce qu'eft le mérite, ce qui eft digne de fon attention & de récompenfe. Il ne fera Roi qu'en idée & gouverné en effet. Sa puiffance ne fervira qu'à le rendre odieux, & elle fera bien plus à fes Miniftres qu'à lui.

Il n'y a donc point de plus grand danger pour lui, & dont les fuites foient plus fans remede, que de n'avoir pas les yeux affez perçans pour aller jufqu'aux plus profondes retraites du cœur de l'homme, & pour y découvrir tout le contraire de ce que l'artifice montre fur la furface.

Il y a des caracteres qui paroiffent voifins, quoique très-différens. Le vice imite fouvent la vertu, & quelquefois même il en a plus les dehors, parce qu'il en a plus befoin, & qu'il y eft plus attentif. Il faut y regar der de bien près, & y être fort habile, pour ne s'y pas méprendre, & fur-tout dans les cours des Princes, où à la vérité tout le monde fe connoît affez, mais où tout le monde affecte de fe cacher au Prince par des apparences dont il fe contente prefque toujours.

Il doit donner toute fon attention à démêler le vrai d'avec le faux, la fauffe modeftie de la vraie, la fauffe fimplicité de celle qui eft fincere & naturelle, le faux défintéreffement de celui qui a des racines dans le cœur, la fauffe probité de celle qui eft établie fur de fermes principes, la fauffe piété de celle qui eft folide & éclairée.

Car il n'y point de vertus plus fauffes & plus dangereufes, que celles qui ayant tout, excepté la vérité, s'étudient particuliérement à fe masquer, de la vraisemblance. Il n'y a point d'hommes plus perfides & plus à craindre, que ceux qui veulent tromper par l'apparence du bien. Il n'y en a point de plus corrompus, ni de plus infideles, parce qu'il n'y en a point qui méprifent plus la vertu & leur confcience, & qui par conféquent foient moins retenus par les puiffans motifs qui agiffent fur les autres

hommes.

Un particulier a peu d'intérêt à examiner févérement fi l'on eft ce qu'on

paroît être. Il doit même éviter de foupçonner qu'un extérieur fage & modefte cache un cœur différent, parce qu'il n'eft point chargé d'approfondir ce myftere. Mais un Roi, un Homme-d'Etat, eft dans l'obligation de ne pas s'arrêter à la furface, parce qu'il eft dans l'obligation d'éviter d'être trompé, & qu'il ne le fauroit être plus dangereufement, qu'en donnant fa confiance à l'impofture penfant la donner à la fincérité.

C'est pour tout l'Etat qu'il eft fur la défiance, c'eft par amour pour le peuple qui lui eft confié, qu'il eft timide & tremblant. Ce feroit une erreur, dont tout le Royaume porteroit la peine, & dont la nation lui demanderoit compte, s'il ne prenoit toutes les mefures de prudence pour l'éviter. Le vice démafqué l'alarme moins; fa condamnation eft marquée fur fon front. Le vice mělé de quelques vertus ne lui donne auffi aucune inquiétude, parce qu'il paroît peu attentif à fe cacher mais une probité qui femble parfaite peut lui infpirer des foupçons, non qu'il ne défire qu'elle foit tout ce qu'elle paroît, mais parce qu'il eft rare qu'à la Cour la vertu foit pure, fans deffein & fans prétention. Il eft rare qu'on vante au Prince celle qu'il ne connoît pas par lui-même, fans avoir des vues ; & s'il n'eft capable d'en juger que fur les apparences & par des récits il en fera toujours mauvais juge.

Défauts que l'Homme-d'Etat doit éviter pour ne point fe tromper dans la Connoiffance des Hommes.

СЕТТЕ ETTE Connoiffance eft pleine de difficultés, comme on a pu le conjecturer par ce qui vient d'être dit, & comme on en fera convaincu par ce qui fuit. Mais les préjugés dont les hommes font remplis, & les Princes plus que les autres, y mettent des obftacles plus infurmontables, que les difficultés.

Le premier vient de la malignité, fur-tout quand elle eft foutenue par un efprit qui a quelque pénétration & quelque lumiere. Tout le bien alors eft fufpect à un Prince défiant, qui connoît peu la vertu, & qui en a peu d'expérience. De peur d'être trompé par une fauffe apparence, il repouffe même la vérité. Il croit toujours voir ce qui n'eft pas vifible. Il cherche tout ce qui ne paroît point. Il trouve dans fon propre cœur, des vraisemblances qui juftifient tous les foupçons qu'il forme contre celui d'un autre. Il ne peut penfer qu'on foit capable de faire le bien pour le bien même. Il eft ingénieux à fubftituer de mauvais motifs aux actions les plus innocentes. Il prend pour fimplicité le jugement favorable que les autres en portent; & il croit fes lumieres fupérieures à celles du vulgaire, à proportion de ce qu'il penfe avoir réuffi à découvrir ce qu'il prétend qu'on lui cachoit.

Comment un homme zin difpofé connoîtra-t-il le mérite, & ceux qui en ont? Faudra-t-il renoncer aux apparences de la vertu, pour lui perfuader

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