صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

tution de l'État, & s'il n'eut pas abandonné le Parlement préférablement à Buckingham, il eft certain que la chûte de ce favori eût été plus prompte encore que fon élévation, & qu'en périffant par les mains d'un affaffin, il eut fervi d'exemple aux Miniftres qui lui reffemblent.

Le Cardinal de Richelieu, avec infiniment plus de talens & d'autorité, parce que la monarchie qu'il gouvernoit est beaucoup plus abfolue que celle d'Angleterre, ne fut pas exempt un moment de fa vie de difficultés, de dangers & d'embarras, malgré que par fes grandes qualités & fa bonne fortune, il fût les faire évanouir auffitôt qu'ils paroiffoient. Les intrigues du cabinet contre lui, furent en fi grand nombre, fi puiffantes, fi conftantes, que quoiqu'il eut affaire avec toute l'Europe, il difoit fouvent qu'une feule chambre, (donnant à entendre le cabinet) l'embarraffoit plus que tout le refte. On confpira fans ceffe contre fon autorité, & plufieurs fois contre fa vie. Le Cardinal de Retz, alors l'Abbé de Retz, avoua qu'il avoit été engagé dans une confpiration, & ce fut pour un crime pareil que M. Cinqmars porta fa tête fur un échafaud. Cinqmars étoit le favori du Roi; ce Prince connoiffoit fon deffein, quoiqu'il ne parût pas l'approuver; mais il eft certain qu'il déteftoit le Cardinal, autant que le faifoit toute la France.

A mesure que fon pouvoir augmentoit, les périls & les inquiétudes augmentoient pareillement; & la mefure de fon pouvoir devint celle de fon repos & de fa fureté. Le Cardinal de Richelieu tenoit entre fes mains tout le pouvoir de la France, fes armées, fes garnifons, fes finances; le Roi n'étoit à proprement parler que fon pupille. Tout ce qui étoit foumis à l'obéiffance dans cette grande monarchie, recevoit les ordres du Cardinal. Mazarin réunit en fa perfonne la même autorité; mais c'étoit plutôt un petit efprit minutieux & rufé, qu'un grand politique. Que de difgraces, d'infultes, de dangers, de défagrémens n'eut-il pas à effuyer. Il falloit être, comme lui, fou d'ambition & d'avarice, pour avoir gardé fon pofte malgré toutes ces avanies.

Dira-t-on que les Miniftres dont je viens de faire mention, étoient des Miniftres arbitraires, & qu'ils commirent des actes d'autorité qui les firent craindre à jufte titre? Mais pour ne parler que du Cardinal de Richelieu, les plus fages actions, comme les plus condamnables ne lui firent-elles pas des ennemis puiffans, & ne l'expoferent-elles pas à une infinité de dangers? En général tout Miniftre eft expofé à fe rendre odieux par le bien même qu'il fait à une infinité de gens qui ont intérêt à lui voir faire le mal. Les fervices véritables qu'il rend au public, perdent prefque tout leur mérite par les couleurs odieufes fous lefquelles l'envie les expofe aux yeux des peuples. Si par hafard un Miniftre a commis quelfaute effentielle, la nation croira auffitôt, qu'il en fera de même dans tout ce qu'il projettera; elle confondra le bien & le mal & dèslors elle n'espérera plus rien de bon de lui. Ce qu'il y a de plus malheu

que

[ocr errors]

reux en cela, c'eft qu'il ne refte à ce Miniftre aucun moyen d'éloigner ces mauvaises impreffions, qu'en fe fignalant fur le champ par quelque acte authentique de popularité, dont il n'aura peut-être pas l'occafion s'il vouloit effacer ces mauvaises impreffions par degrés, & par une fuite continuelle de bonnes actions, le terme de fa vie ou de fon pouvoir ne fuffiroit peut-être pas. Comme quelquefois les plus glorieufes actions fe font dans un mauvais deffein, leur auteur fera adoré des uns, tandis que les autres le couvriront d'injures & de blâme. Tel eft le commencement ou l'accroiffement des factions, qui toujours élevent aux cieux ou condamnent implicitement, fans autre regle qu'une affection ou une antipathie aveugles.

Qu'une cabale déclarée ouvertement contre un Miniftré, blâme toutes fes opérations, empoisonne toutes fes démarches, faffe avorter fes meilleurs projets, au lieu de concourir à leur exécution, les gens de fon propre parti tireront avantage de l'embarras où ils le verront, & par conféquent ils l'augmenteront fi cela eft poffible. Alors quelle fituation que éelle de ce Miniftre! Il aimera mieux fe défendre de fes amis & les conferver dans la dépendance, que de fâcher fes ennemis. Toute faction a l'intérêt pour bafe; & chaque homme ayant le fien en particulier, il est impoffible de les fatisfaire tous; c'eft donc autant d'ennemis que l'on fe fait & dont on a tout à craindre.

Souvent les plus petites chofes donnent autant ou plus de peine que les grandes. Pour les petites faveurs qu'un miniftre a le pouvoir d'accorder, il a une infinité de petits afpirans; les grands fe mêlent quelquefois dans le nombre, & l'embarras devient alors plus grand, parce que ces gens croient leur rang compromis fi on les refufe. Par exemple douze hommes de confidération folliciteront peut-être une place peu confidérable; tous ne pouvant l'obtenir, ceux qui auront été refufés conferveront un auffi vif reffentiment que s'il fe fût agi d'un objet de grande importance. Un Miniftre a quelquefois vingt embarras de cette nature, fans examiner ceux qui font d'une importance bien plus réelle, comme quand il s'agit d'accorder une place confidérable à vingt perfonnes qui fe mettent à la fois fur les rangs. Ceux qu'il eft obligé de refuser deviennent ou fes ennemis ou de froids amis.

Il n'y a pas d'élévation qui n'attire les regards de l'envie. Ainfi tout Miniftre doit s'attendre à des attaques continuelles de la part de fes rivaux. Ceux qui ambitionnent une place ne manquent jamais de partisans, ni de créatures & conféquemment de forces. Quelquefois il arrivera que le Miniftre fera trahi par la perfonne dans laquelle il a le plus de confiance (car il eft néceffaire qu'il fe fie à quelqu'un.) On fera usage contre lui du fecret qu'il a cru dépofer dans le fein d'un ami. Cette trahifon eft, je crois, auffi ordinaire que toute autre. Tantôt de faux amis lui confeilleront des démarches qu'ils favent bien devoir caufer fa ruine. D'au

tres fois on lui fait part de projets que l'on fait bien qu'il rejettera. Souvent on lui fait faire auprès de fes ennemis, fous prétexte de les gagner, certaines avances qui le mettront à leur merci. Ajoutez à toutes ces difgraces la difficulté de bien ménager l'humeur du Prince & de plaire en même-temps aux peuples tâche bien pénible & bien difficile à remplir! Les Princes craignent un Miniftre qui a trop de crédit, & il ne peut les fervir comme il faut, s'il n'en a pas affez. La faveur du Prince le plus puiffant n'eft pas capable de maintenir en place un Miniftre. Les cris du peuple ou d'un parti nombreux rendent quelquefois fa démiffion néceffaire. Il y a une infinité d'exemples de cette vérité. Le Cardinal de Richelieu trouva le moyen de gouverner le Roi de France & la nation Françoise en dépit d'eux-mêmes; mais j'ai déjà montré quels défagrémens il eut à effuyer.-Aucun Prince n'aimera un Miniftre qu'il n'ofera pas renvoyer; & il n'y a pas de Miniftre qui voulût borner fon pouvoir jufqu'à s'expofer à être congédié felon le bon plaifir du Souverain.

Un autre défagrément de la grandeur, c'eft que celui qui en eft revêtu peut à peine jouir d'un moment de loifir ou d'amufement. Le démon des affaires, fi j'ole ainfi parler, le poursuit par-tout. Les fonctions de fa charge font immenfes. Qu'il foit chargé du Gouvernement intérieur, ou extérieur, de la police, des finances, du commerce, de la marine, de la guerre, de l'administration de la juftice, ou des affaires étrangeres, chacun de fes départemens demande un homme tout entier & plufieurs hommes. Que fera-ce fi, outre les foins & les fonctions pénibles de fa place, les intrigues de la Cour l'obligent encore de fonge: à conferver ou agrandir fon pouvoir, à ménager des rivaux artificieux, attentifs à diriger leurs batteries vers l'endroit le plus foible; s'il lui faut s'occuper du foin de fe faire des créatures, de courtifer les grands, d'élever les petits, d'honorer fes égaux, de détourner les attaques ou d'anéantir les projets de fes ennemis, de partager fon temps entre les perfonnes qui ont droit de l'approcher, & qui murmureroient s'il n'étoit pas vifible pour elles? Un travail pénible & continuel une inquiétude toujours croiffante, voilà la fituation d'un Miniftre. S'il eft pareffeux, les affaires en fouffriront; les clameurs du public l'accuferont de nonchalance & de ne pas mériter la confiance du Souverain. La partialité ni l'autorité du Prince ne font pas capables de le protéger long-temps, à moins que le Monarque, ne veuille expofer fa propre réputation pour fauver la nonchalance de fon Miniftre.

Quand un Miniftre eft attaché à fes plaifirs, c'eft un grand malheur pour le Prince, pour le peuple & pour lui-même. Un homme dont la tête est continuellement échauffée par le vin, ou affoiblie par le commerce des femmes, ou fatiguée par le jeu & les fêtes, doit où négliger les affaires ou les faire à la hâte. Cela s'appelle non-feulement préférer fes plaifirs au peuple, mais le facrifier à fes divertiffemens. Ainfi le Duc de Buckingham enveloppa les Anglois dans deux guerres tout à la fois, contre l'Espagne

[ocr errors]

& la France, pour en avoir reçu quelques légers mécontentemens. Ainfi l'invafion de l'Italie par François I, la malheureufe bataille de Pavie, la perte d'une belle armée, la longue captivité & l'emprisonnement d'un grand Roi, furent les effets de la paffion d'un de fes Miniftres pour une beauté Italienne dont il avoit réfolu d'obtenir les faveurs au péril de fon Maître & de fes Etats.

Il est vrai que les plaifirs d'un Miniftre qui n'affectent point le public, ne devroient pas l'offenfer; mais il eft également vrai que quelque particuliers & perfonnels que foient ces amusemens, ils l'offenferont toujours. C'est un malheur qu'il ne fauroit jamais empêcher. Ses parties de chaffe & fes autres divertiffemens feront également obfervés & remarqués. Parmi le nombre des perfonnes auxquelles il accordera la direction de fes plaisirs, il y en aura quelques-unes qui ne penferont qu'à l'efpionner; & tout efpionnage particulier fur les actions des hommes publics, fe transforme bientôt en murmures publics, & parmi les gens féveres & rigides, ou ceux qui prétendent l'être, l'homme de plaisirs paffe toujours pour un débauché.

Un Miniftre n'eft pas moins expofé à la cenfure dans les chofes qui concernent l'agrandiffement de fa fortune. Des accidens, un heureux hazard une confpiration, le caprice d'un Prince, la partialité ou la force d'un parti peuvent, fans le fecours des richeffes, nous élever au premier pofte de l'Etat; mais cela n'empêche pas que les richeffes ne foient d'une néceffité infinie à tout homme qui veut parvenir; & celui qui néglige d'en acquérir, juge mal de fes intérêts. Souvent c'eft un des plus grands obftacles qu'il trouve dans fon chemin, & quelquefois le feul. S'il réuffit, ce n'eft trop fouvent qu'à fes richeffes & à la corruption qu'il doit fes fuccès. Une fois élevé au pofte qu'il ambitionnoit, les peuples mettront en parallele les biens dont il jouiffoit avant cette heureufe époque, & il eft affez ordinaire de les diminuer, avec ceux dont il jouit maintenant & qu'on aura bien foin d'augmenter. On appellera vexation, pillages publics les fruits de fon économie & de fon induftrie particuliere. Ainfi, négliger d'acquérir des richeffes, c'eft une imprudence, en accumuler, c'est déplaire aux peuples. J'ai connu de grands Miniftres qui ont forti pauvres de leurs emplois; tandis qu'on croyoit généralement qu'ils avoient amaffé des biens confidérables; & ce que d'autres avoient pu gagner légitimement, par une économie honnête, on l'eftimoit dix fois au-delà de leurs épargnes.

Une derniere confidération que je ferai à ce fujet, c'eft que la vie privée eft ordinairement fort infipide pour quiconque a une fois goûté de la grandeur. Les foins, les foucis, les embarras, le fracas inféparables d'un rang élevé, qui devroient être comme le contrepoifon de la grandeur, ont une vertu contraire. C'eft une espece de fortilege dont on ne guérit guere. L'amour-propre crie fans ceffe au fond du cœur d'un Miniftre: » Il n'y a

F

» rien de trop grand pour toi : tu mérites plus que jamais la place que » tu occupes; la céder à un autre, ce feroit avouer fa fupériorité fur toi. Fais tout au monde pour t'y maintenir. " D'après cette perfuafion eft-il étonnant qu'un Miniftre remercié ne conçoive une haine & une jalousie violentes contre fon fucceffeur. Il arrive de-là qu'outre la perte du pouvoir, du crédit, des honneurs, du fafte, des hommages dont il jouiffoit avec tant de complaifance, il fe regarde encore comme un homme difgracié, injurié, à qui le Prince & le peuple ne rendent pas juftice. Son unique fatisfaction alors eft de voir que les affaires vont mal fous fon fucceffeur. Ainfi l'amour-propre les affecte au point de leur faire perdre tout fentiment de patriotifme, & former des vœux contre la patrie. Les infirmités de la vieilleffe ont fouvent bien de la peine à éteindre cette ambition effrénée. Nous avons vu des Miniftres furvivre quarante ans à leur difgrace, fans perdre jamais l'envie de rentrer en place, & cabalant fans ceffe du lieu de leur exil pour fe faire rappeller. Malgré l'inutilité de leurs intrigues, & lorfqu'ils fembloient avoir perdu le goût de toute autre chofe, la foif des grandeurs les tourmentoit toujours avec la même activité. Au lit de la mort, ils fe repaiffoient encore de l'espoir d'une vaine grandeur, & jufques fous la tombe ils murmuroient contre le fort qui la leur avoit enlevée.

C'est une des plus grandes malédictions qui fuivent la grandeur fuprême, que ceux qui en ont joui font incapables de goûter les douceurs de la retraite. Cependant, ils femblent foupirer après le repos, lorfque le repos les fuit; ils en exaltent les charmes, on diroit qu'ils les fentent d'autant plus vivement, qu'ils font moins à portée d'en jouir. Dans le tumulte & les embarras de la grandeur, environné de foucis, de craintes & d'ennemis, ils regrettent la fécurité, l'aife, le calme dont jouit un fimple particulier; mais ils ne peuvent jamais fe foumettre aux Conditions qui peuvent feules leur procurer ces biens. Defcendre d'un rang fi élevé, perdre la faveur, renoncer à l'illuftre prérogative de donner des loix à une grande nation être confondu dans la multitude, fe trouver au niveau de ceux dont on recevoit les hommages, voir à fa place des hommes qu'on hait qu'on jaloufe c'est une chofe bien terrible pour l'ambition c'eft une ignomi nie, un opprobre dont la penfée feule eft accablante.

LA

De la Condition des Miniftres en Angleterre.

[ocr errors]

A Condition d'un Miniftre d'État ne convient qu'à des perfonnes qui, par un effet de leur affection pour le Roi, & pour leur patrie, cherchent plutôt à fe rendre utiles au public, qu'ils ne confultent leurs propres avantages. Un homme dans cette place, doit s'attendre, qu'outre les peines & les embarras qui accompagnent ordinairement fa charge, de quelque maniere qu'il fe comporte, il fera en butte à l'envie des uns & au mé

« السابقةمتابعة »