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Chaque territoire qu'ils ajoutent à leurs Royaumes eft une nouvelle addition à leur foibleffe. Quand les Empires font à leur plus haut période de gloire, on les voit tomber fenfiblement en décadence, parce que la décadence eft une fuite naturelle du découragement des peuples.

Bien des gens regarderont comme une contradiction de dire, qu'un tout peut être formé de la deftruction de plufieurs parties: cet axiome eft vrai néanmoins par rapport à la Monarchie, qui ne fubfifte que par la deftruction de ce qui la fait exifter. C'eft un pouvoir établi fur les ruines de fa propre force, qui eft le peuple, mais c'eft un pouvoir qui ne peut fubfifter long-temps. Les conquêtes des Efpagnols firent beaucoup de bruit dans le monde, & les rendirent formidables pendant quelque temps; mais leurs montagnes d'or & d'argent du Perou & du Mexique, ne furent pas capables de rétablir les pertes qu'ils avoient faites de leurs peuples dans l'intérieur du Royaume. L'Empire Turc qui épouvanta l'Europe & l'univers entier par la multitude de fes conquêtes, eft maintenant fi épuifé d'hommes, la difcipline militaire eft fi mal obfervée parmi les foldats, fes Provinces font tellement dévaftées, que felon toute vraisemblance cet Empire ne fubfiftera pas long-temps en fon entier. Semblable à l'Empire des Sarrafins, il fe détruit lui-même peu-à-peu; & chaque jour il est menacé d'une affligeante révolution.

Le peuple reffemble à un fil d'archal; plus il s'étend, plus il s'affoiblit; de même une nation refferrée dans des bornes légitimes devient plus riche & plus puiffante. Tel eft le langage du fens commun & de l'expérience; mais l'ambition s'exprime autrement : elle prêche fans ceffe pour l'étendue d'un Empire & pour une domination fans bornes. Son système eft de perfuader aux hommes de facrifier leurs forces réelles, pour en obtenir d'imaginaires. C'eft alors que les Princes, en voulant fe rendre plus formidables, fe trouvent déchus de leur puiffance réelle; & pour avoir voulu acquérir de la gloire, il arrive qu'ils n'ont gagné que de l'infamie. Car y a-t-il rien de plus horrible & de plus déteftable que les chemins qui conduifent à cette gloire. Il faut détruire des milliers d'hommes pour le feul motif de chercher à réaliser un rêve agréable. Ainfi les Princes détruifent leur bonheur particulier & celui de leurs peuples pour faifir un fantôme qui trouble leur vue, & qui s'enfuit au moment qu'ils fe croyent fürs de l'attraper.

D'ailleurs, fi l'on réfléchit fur les difficultés, fur les dangers, fur les inquiétudes fans nombre, & fur l'horreur générale qui accompagnent toujours ces fortes d'entreprises, il n'y a perfonne qui n'avoue que la peine Turpaffe de beaucoup la récompenfe. On prend les armes dans l'intention de faire la conquête du bonheur; & l'on eft forcé de les mettre bas, après n'avoir gagné que douleur & défefpoir. Celui qui fe flatte d'obtenir la félicité par cette voie, court rifque de ne poursuivre qu'une ombre vaine qu'il n'attrapera jamais. En outre, à quoi doit s'attendre un perturbateur

de l'univers, qu'à être l'exécration du peuple qu'il opprime & qu'il épuise,
& le fléau du genre humain qu'il perfécute & qu'il détruit? Les conquê-
tes ne donnent point une nouvelle fureté; au contraire, elles excitent les
puiffances voifines à fe réunir & à s'armer contre le Conquérant. Plus l'on
a de biens en fa poffeffion, plus l'on a de motifs de crainte,
& lorfque
ces biens n'ont été acquis que par l'injuftice, on doit employer la vio-
lence pour les conferver. De-là naiffent les craintes & les inquiétudes con-
tinuelles des Conquérans & des oppreffeurs; de-là les confpirations fré→
quentes qui fe forment contre eux.

Sine cæde & fanguine pauci.

Voilà quel est pour l'ordinaire le trifte fruit des conquêtes. Y a-t-il un homme fage qui, pour l'Empire du monde, voulût vivre fans ceffe dans des inquiétudes de cette forte? Y a-t-il quelqu'un qui ne frémit en penfant qu'il eft devenu l'exécration du genre-humain, qui en veut à fa vie comme à celle de fon plus cruel ennemi ?

Mais on peut envisager encore fous un autre rapport l'étrange folie des Conquérans, à favoir, qu'il n'eft pas dans le monde de Prince, dont les Domaines foient trop petits, pour occuper tout fon temps à les gouverner, s'il veut s'en acquitter, comme il le doit; & par conféquent qu'un grand Empire n'eft jamais auffi bien adminiftré qu'une ville particuliere, & une ville particuliere qu'une feule famille. Dans un pays, où il n'y a que peu de fujets, renfermés dans un petit efpace de terrain, l'œil du Magistrat eft conftamment fixé fur toute la multitude; & l'œil de la loi est sans cesse arrêté sur lui, fi toutefois il ne s'eft pas rendu indépendant. Il eft facile d'examiner les plaintes, de punir promptement ou de prévenir les actes d'injuftice ou de violence. Mais dans les Empires vaftes & étendus, dans ceux fur-tout où tout dépend de la volonté & du miniftere d'un feul homme, il s'y commettra des injuftices fans fin, parce que l'oreille du Prince eft fermée aux plaintes de fes peuples, & qu'il n'a perfonne autour de lui qui ait le courage de lui repréfenter leur mifere. S'il arrive par hafard que les cris des fujets parviennent jusqu'au trône, leurs malheurs, loin de diminuer, s'accroiffent encore par ceux que le Prince commet pour y remédier, ou pour punir les délinquans.

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Certainement les Princes ont plus d'affaires qu'il ne leur en faut, s'ils veulent bien s'en acquitter. Car lorfqu'ils veulent chercher de nouvelles occupations, ils font obligés de négliger leurs anciennes affaires, & fouvent d'abandonner les unes pour donner leurs travaux aux autres. Quelques amusemens que prennent les Souverains, peu importe au peuple pourvu que la tranquillité publique n'en fouffre pas, & que la paix foit maintenue au dehors. Mais c'eft une finguliere maniere de remplir les devoirs de la Royauté, & de proteger le peuple, que d'entreprendre à fes

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dépens de faire des conquêtes qui lui deviendront plutôt onéreuses qu'utiles, ou de déclarer la guerre pour des objets qui ne le regardent_en aucune maniere. C'eft ainfi qu'il en fut de la guerre de Troye. Tous les Princes Grecs laiffant leurs pays dans un état d'anarchie & privés de leurs plus braves foldats, allerent fe battre la tête contre des murailles de pierre pendant dix ans, parce que ces murs renfermoient, comme on le dit, une beauté Grecque, qui étoit caufe de tout ce défordre. Après qu'ils eurent facrifié leurs temps, leurs vaiffeaux, & les forces de leur patrie, pour fatisfaire un auffi fage reffentiment, ils vinrent enfin à bout, au moyen d'un ftratagême, d'obtenir le prix chafte & important de toutes leurs démarches (a) & de joie & de colere, brûlerent la ville, égorgerent le Roi & maffacrerent tous les habitans, defquels ils n'avoient reçu aucune injure. La plupart des guerres entreprises depuis, ont reffemblé à la guerre de Troye; mais fpécialement celle de la Terre Sainte, où le plus grand nombre des Princes Chrétiens, femblables à des lunatiques, entreprirent l'expédition la plus ruineufe, pour arracher d'entre les mains des Sarrazins un tombeau, qu'il étoit impoffible de diftinguer des autres tombeaux. On fit à Aftracan de grandes préparations pour une guerre comme celle de Troye; & l'Italie a été témoin d'un pareil événement. Les Anglois & les François ont eu auffi, en différens temps, leurs guerres de Troye, leurs Ajax & leurs Achilles, qui ont fait merveille dans des guerres où la Nation n'étoit guere intéreffée, & dans lesquelles ils n'ont recueilli d'autre fatisfaction & d'autre gloire que celles de perdre beaucoup de monde & d'argent. Si Philippe II, n'avoit pris le Gouvernement des fept Provinces, que pour confulter l'intérêt de fon peuple, jamais la Hollande n'eut penfé à fe révolter. Mais ayant pris un plan de conduite tout-à-fait contraire, il épuifa envain toutes les forces de la Monarchie Espagnole, pour réduire ces nouveaux Etats fous fa domination, & pour les affoiblir autant qu'il avoit épuifé fes autres Royaumes. A quoi feront bientôt réduites les conquêtes des Anglois dans l'Amérique Septentrionale ?

(a) Hérodote prétend qu'Hélene, pour laquelle les Grecs entreprirent cette fameufe guerre, n'étoit pas à Troye, mais en Egypte.

L

CONQUÊTE, f. f.

A Conquête eft l'acquifition de la fouveraineté par la fupériorité des armes d'un Prince étranger, qui réduit enfin les vaincus à fe foumettre à fon Empire.

Il est très-important d'établir le jufte pouvoir du droit de Conquête, fes loix, fon efprit, fes effets, & les fondemens de la Souveraineté acquife de cette maniere. Mais pour ne point m'égarer faute de lumieres dans des chemins obfcurs & peù battus, je prendrai des guides éclairés, connus de tout le monde, qui ont nouvellement & attentivement parcouru ces routes épineufes, & qui me tenant par la main, m'empêcheront de tomber. On peut définir le droit de Conquête, un droit néceffaire, légitime & malheureux, qui laiffe toujours à payer une dette immenfe pour s'acquit

ter envers la nature humaine.

Du droit de la guerre dérive celui de Conquête, qui en eft la conféquence. Lorsqu'un peuple eft conquis, le droit que le conquérant a fur lui fuit quatre fortes de loix: la loi de la nature, qui fait que tout tend à la confervation des efpeces; la loi de la lumiere naturelle, qui veut que nous faffions à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fit; la loi qui forme les fociétés politiques, qui font telles que la nature n'en a point borné la durée; enfin la loi tirée de la chose même.

Ainfi un État qui en a conquis un autre, le traite d'une des quatre manieres fuivantes; ou il continue à le gouverner felon fes loix, & ne prend pour lui que l'exercice du gouvernement politique & civil; ou il lui donne un nouveau gouvernement politique & civil; ou il détruit la fociété & la difperfe dans d'autres; ou enfin il extermine tous les citoyens. Les deux premieres manieres font conformes au droit des gens que nous fuivons aujourd'hui. J'obferverai feulement fur la feconde, que c'est une entreprise hafardée dans le conquérant de vouloir donner fes loix & fes coutumes au peuple conquis: cela n'eft bon à rien, parce que dans toutes fortes de gouvernemens on eft capable d'obéir. Les deux dernieres manieres font plus conformes au droit des gens de quelques anciens; fur quoi l'on peut juger à quel point nous fommes devenus meilleurs. Il faut rendre hommage à nos temps modernes, à la raison préfente, à la religion d'aujourd'hui, à notre philofophie, à nos mœurs. Nous favons que la Conquête eft une acquifition, & que l'efprit d'acquifition porte avec lui l'efprit de confervation & d'ufage, & non pas celui de deftruction.

Les Auteurs de notre droit public, fondés fur les hiftoires anciennes, étant fortis des cas rigides, font tombés dans de grandes erreurs ils ont donné dans l'arbitraire; ils ont fuppofé dans les conquérans un droit, je ne fais

quel, de tuer; ce qui leur a fait tirer des conféquences terribles comme le principe, & établir des maximes que les conquérans eux-mêmes, lorfqu'ils ont eu le moindre fens, n'ont jamais prifes. Il eft clair que lorsque la Conquête eft faite, le conquérant n'a plus le droit de tuer, puifqu'il n'eft plus dans le cas de la défense naturelle & de fa propre

confervation.

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Ce qui a fait penfer ainfi nos Auteurs politiques, c'eft qu'ils ont cru que le conquérant avoit droit de détruire la fociété; d'où ils ont conclu qu'il avoit celui de détruire les hommes qui la compofent; ce qui eft une conféquence fauffement tirée d'un faux principe: car de ce que la fociété feroit anéantie, il ne s'enfuivroit pas que les hommes qui la forment duffent être anéantis. La fociété eft l'union des hommes, le citoyen peut périr, & l'homme refter.

Du droit de tuer dans la Conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en fervitude; mais la conféquence eft auffi mal fondée que le principe.

On n'a droit de réduire en fervitude, que lorfquelle eft néceffaire pour la confervation de la Conquête. L'objet de la Conquête eft la confervation la fervitude n'eft jamais l'objet de la Conquête; mais il peut arriver qu'elle foit un moyen néceffaire pour aller à la confervation.

Dans ce cas, il eft contre la nature de la chofe que cette fervitude foit éternelle; il faut que le peuple efclave puiffe devenir fujet. L'esclavage dans la Conquête eft une chofe d'accident: lorfqu'après un certain efpace de temps, toutes les parties de l'État conquérant fe font liées avec celles de l'État conquis, par des coûtumes, des mariages, des loix, des afsociations, & une certaine conformité d'efprit, la fervitude doit ceffer. Car les droits du conquérant ne font fondés que fur ce que ces choses-là ne font pas, & qu'il y a un éloignement entre les deux nations, tel que l'une ne peut pas prendre confiance en l'autre.

Ainfi le conquérant qui réduit le peuple en fervitude, doit toujours se réserver des moyens, & ces moyens font fans nombre, pour l'en faire fortir le plutôt qu'il eft poffible.

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Ce ne font point là, ajoûte M. de Montefquieu, des chofes vagues, ce font des principes, & nos peres qui conquirent l'Empire Romain les pratiquerent. Les loix qu'ils firent dans le feu, dans l'action, dans l'impétuofité, dans l'orgueil de la victoire, ils les adoucirent leurs loix étoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourguignons, les Goths & les Lombards vouloient toujours que les Romains fuffent le peuple vaincu : les loix d'Euric, de Gondebaud & de Rotharis, firent du Barbare & du Romain des concitoyens.

Au lieu de tirer du droit de Conquête des conféquences fi fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux fentis, fi no

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