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CONNOITRE, v. a.

ON peut, fans bizarrerie, rapporter à deux facultés tous les pouvoirs

de l'homme, envisagé comme un être raisonnable, Connoitre & vouloir : au premier se rapporte tout ce qui conftitue fon intelligence; au fecond tout ce qui en fait un être actif & moral. La premiere de ces facultés, éclaire la feconde dans fon exercice; celle-ci fert de motif à ufer de cellelà. Les fens qui nous fourniffent les idées fenfibles de ce qui eft hors de nous, nous font connoître les corps : le fentiment intime, qui nous apprend ce qui fe paffe dans notre ame, nous apprend à connoître les efprits : l'abftraction phyfique nous donne les idées diftinctes des chofes, & l'abftraction métaphyfique nous fournit les principes généraux, convenables à tout ce qui eft du même genre. Décompofant les idées compofées, nous apprenons à connoître les diverfes facultés, qualités & relations des objets généralifant nos idées, nous nous mettons en état de connoître plus d'objets que nous n'en avons analyfés; & nous fervant de l'analogie après l'expérience, nous connoiffons cela même que nous n'avons pas pu étudier. La mémoire nous rappelle nos connoiffances acquifes; l'imagination s'en fert, en les combinant, à nous former de nouveaux concepts qui étendent & perfectionnent notre intelligence. Nous parvenons, par ce moyen, à connoître dans chaque être, fon exiftence, foit réelle, foit poffible, fes qualités, fes facultés, fon état, fes relations & fa deftination. C'est en effet la réunion des idées diftinctes de chacun de ces fix objets dans chaque être, qui en conftitue la vraie connoiflance; nous ne le connoiffons pas, fi l'un d'eux nous eft caché, & que nous n'en ayons point d'idée diftincte, ou au moins claire. C'eft par ce caractere, que la connoiffance dont l'homme eft capable, differe de la connoiffance que les bêtes acquierent celles-ci connoiffent les individus qui ont frappé leurs fens par leurs qualités fenfibles; elles ne connoiffent rien diftinctement, parce qu'elles n'ont rien abftrait de l'idée totale. Si dans l'idée totale, il furvient quelque changement, elles ne fe repréfentent pas cette circonftance à part, mais elles voyent que l'individu n'eft pas le même; elles ne découvrent pas les relations purement intelligibles, qui ne confiftent pas dans les rapports de lieu, de figure & d'influence actuelle & phyfique; dès-lors, nulle idée de relations morales, de rapports intelligibles, de convenance & de deftination finale. Elles ne connoiffent que ce qui eft actuellement. Ces connoiffances fuffifent aux bêtes pour diriger leur volonté & leurs actions, qui fe rapportent toujours & uniquement à leur état actuel & fenti, à leurs befoins préfens, à leurs habitudes fubfiftantes.

L'homme, par fa volonté, embraffe une étendue d'objets d'autant plus confidérable, que fes connoiffances font plus parfaites & plus diverfifiées.

Tout objet entre lequel & lui, il découvre quelque relation, devient l'objet de quelque acte de fa volonté, de quelque résolution de quelque action; il veut être heureux, c'est-là fa volonté générale; il lui importe donc de connoître tout ce qui peut avoir quelque influence fur fon état; de-là, cette curiofité & cet appétit de tout connoître.

Sans connoître, l'homme eft expofé à mal diriger fa volonté; la connoiffance des chofes eft le flambeau qui éclaire fes déterminations. Il importe donc infiniment à l'homme de connoître, & pour cela, de travailler par l'exercice à perfectionner fes facultés intellectuelles, & à ne négliger ni occafions, ni moyens d'acquérir des connoiffances; elles font pour lui de vraies richeffes. Mais l'Homme-d'Etat a fur-tout befoin d'orner fon efprit de connoiffances utiles, pour remplir les fonctions de fa charge.

Connoître eft pour l'homme un appétit naturel : la connoiffance des chofes nous eft trop néceffaire, & néceffaire trop effentiellement, dès que nous exiftons, pour que le Créateur ait dû s'en remettre aux réflexions froides & tardives de notre raifon, pour nous déterminer à nous inftruire; d'ailleurs la connoiffance ne s'acquiert pas fans peine, elle exige des efforts, des foins, de la régularité; nous aurions rejetté avec dédain l'avantage de connoître, qui ne s'acquiert que par le travail régulier, fi la nature ne nous avoit pas donné ce défir d'inftinet qu'on nomme curiofité, qui nous fait fouhaiter de tout favoir. Je ne crains pas ici d'en appeller à l'expérience; fi pour tout connoître, il fuffifoit du défir de tout favoir, y a-t-il un homme qui ne trouvât pas ce défir tout formé dans fon cœur?

Il ne fuit pas de-là cependant, que l'homme puiffe tout connoître, & doive tenter de tout favoir la capacité de fon efprit eft bornée, & le temps de la vie eft trop court pour pouvoir réaliser cette chimere, dont quelquefois notre orgueil s'amufe.

D'un côté, il eft des connoiffances qui font hors de notre portée, parce que nous manquons de moyens pour en faifir les objets. Nos fens font trop imparfaits en eux-mêmes, trop reftreints dans leur nombre, pour foumettre tout à leur activité; l'effence ou fubftance des chofes ne peut nous être connue, nous en voyons l'exiftence par les effets qui nous l'annoncent. Il eft dans la nature des agens qui fe dérobent à nos recherches; tels font ceux qui produifent l'attraction & la répulfion, le magnétifme, l'influence de l'ame fur le corps & du corps fur l'ame, l'action de Dieu fur les créatures, &c. Il eft des objets trop éloignés, pour que nous puiffions les examiner, tels font les corps céleftes & les êtres qui exiftent fur eux & autour d'eux. Il eft des êtres abftraits, dont nous ne faurions nous former d'idée diftincte, l'efpace, le temps, les atômes, le vuide, &c. 11 eft des faits qui fort enveloppés pour nous des plus épaiffes ténébres. Qu'est-ce qui s'eft paffé dans cette éternité de temps qui précede les hiftoires? que fe paffera-t-il quand nous ne ferons plus? qu'est-ce qui existe audelà des mondes, au centre de la terre? &c. Il eft donc des objets qu'une

curiofité indifcrete voudroit en vain connoître; ce feroit perdre le temps, que d'en confacrer à l'étude de ce que rien ne met à notre portée. Tout nous conduit à affirmer que dans l'état des chofes, ces connoiffances qui nous font refufées, nous feroient inutiles : & quand nous foupçonnerions qu'il nous feroit avantageux de les acquérir, également faudroit-il nous en paffer, puifque l'Etre, tout fage, qui nous a faits, qui fait mieux que ce qui convient à notre nature n'a pas voulu que nous y parvinffions. Qu'ont produit les recherches de ceux qui ont occupé leur efprit de ces objets? des fyftêmes incertains & obfcurs, des tas de mots vuides de fens, des erreurs dangereufes.

nous,

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D'un autre côté, le temps trop court de la vie, ne nous permet pas de confacrer à tout apprendre, l'efpace deftiné à nous inftruire de ce qui nous intéreffe réellement & effentiellement. Commençons toujours par connoître l'existence, les qualités, les facultés, l'état, les relations, & la deftination, foit de nous-mêmes, foit des êtres dont l'exiftence influe fur notre perfection & notre bonheur, pour tout le temps de notre exiftence. Toute autre étude eft à-peu-près inutile.

Enfin, même par rapport à ces objets dont l'existence nous intéresse, notre capacité n'allant pas jusques à les connoître tous fans exception, bornons-nous chacun en particulier à la connoiffance de ce qui convient à notre état, à notre pofte, à nos talens, à notre goût, à nos relations, à notre deftination, & par-là même à nos obligations perfonnelles & civiles.

Dans la fociété, les ouvrages, les actions à faire, les devoirs à remplir font partagés. Le Monarque ne fait pas les fouliers de fes fujets; le Général ne tiffe pas les étoffes dont s'habille le foldat; le Jurifconfulte ne fait pas le papier; chacun a fa tâche, chacun a donc des objets à connoître qui lui font propres, ne pouvant pas s'appliquer à tout; chaque individu doit connoître ce fans quoi il ne peut pas remplir convenablement #fes obligations: il ne lui eft permis d'aller au-delà dans la recherche des connoiffances , que quand il connoît fuffifamment ce que la place qu'il eoccupe, lui rend effentiellement néceffaire. Pardonnerai-je à un Monarque qui ne connoit pas l'art du gouvernement, qui ne connoît ni les hommes en général, ni les fujets en particulier, ni fon pays, ni les relations de fes Etats, ni leurs befoins, ni les moyens d'y remédier, &c. de s'appliquer à la peinture, à la mufique & à la poéfie? Il faut, comme Frédéricle-Grand, favoir tout ce que doit connoître un grand Prince, pour qu'on applaudiffe au goût qui lui fait chercher dans les Beaux-Arts des moyens de délaffement.

L'ART DE CONNOÎTRE LES HOMMES,

CET

Par M. L. D. B. in-12. 1702.

ET ouvrage n'eft point celui d'un philofophe qui étudie les hommes, mais d'un mifanthrope qui les détefte. Selon lui, un intérêt quelconque eft la bafe de toutes les vertus. Si un Magiftrat eft équitable, c'eft qu'il veut étonner fon fiecle; fi un Prince eft généreux, c'est par oftentation: le fage cefferoit de l'être fi tous les hommes l'étoient, parce qu'il ne cherche qu'à se diftinguer d'eux. Point de piété qui ne foit hypocrifie, point de pudeur qui ne foit coquetterie; fi un homme n'eft point avide de richeffes, c'eft qu'il eft avide de gloire : l'auteur trouve de l'intérêt jusques dans le désintéreffement. Socrate fouffrant & mourant fans murmurer, n'eft qu'un orgueilleux qui veut forcer la poftérité à l'admirer. Les grands hommes ne font clémens que par impuiffance de fe venger. Ainfi, cette réponse fublime de Louis XII, ce n'eft pas au Roi de France à venger les injures du Duc d'Orléans, n'eft qu'un trait de foibleffe ou de fatuité. On ne conferve fes mœurs que par la crainte de perdre fa fanté; & fans les gibets & fans l'infamie, il n'y auroit point d'honnêtes gens fur la terre. Encore, fi l'élégance du ftyle, la variété des tableaux & la véhémence des forties dédommageoient le lecteur du ton atrabilaire qui regne dans cet ouvrage! Mais que cet auteur eft au-deffous de ce mifanthrope aimable qui nous charme lors même qu'il nous calomnie, & dont les outrages fe font lire avec plus de plaifir que les éloges dont plufieurs philanthropes ont flatté le genre humain ! Les Journalistes du temps s'éleverent avec raison contre cet art de connoître les hommes. Mais en condamnant le livre ils devoient épargner l'auteur; ils ne devoient pas dire: il eft naturel de penfer que c'est par les réflexions qu'il a faites fur lui-même, qu'il s'eft ainfi accoutumé à juger mal de l'intérieur de tous les hommes. Il falloit défendre le genre humain fans le venger; il falloit prouver à cet auteur, qu'il eft des hommes clémens fans intérêt. Souvent un honnête homme, victime de l'envie & de l'injuftice, affimile tous les hommes à ceux qui l'ont perfécuté. C'est une erreur & non un crime. On peut ne pas croire à la vertu, & en avoir beaucoup foi-même.

Ayons une meilleure opinion de la nature humaine. La vertu eft rare fur la terre; mais il y en a, même à la Cour. Malheur à ceux qui ne favent pas la diftinguer du vice!

CONQUÉRANT.

CONQUÉRANT, f. m.

De la vanité des Conquérans, & des malheurs qu'entraînent après elles les conquétes.

ON

N dit ordinairement que la condition d'un Prince abfolu, eft de tous les états de la vie humaine le plus heureux, en ce qui concerne l'éclat, l'abondance, le pouvoir; mais c'eft peut-être le dernier de tous eu égard au bonheur. Les plus grandes apparences du plaifir, ne font pas toujours des preuves certaines de plaifirs; & celui qui peut jouir de toutes chofes, n'a fouvent que de très-petites jouiffances. Comme il n'a rien ou prefque rien à défirer, fa vie fe paffe dans une uniformité rebutante; ce qui eft peut-être de tous les malheurs le plus grand. En général le bonheur des Princes abfolus confifte à être trompés fans le favoir; & s'ils s'en apperçoivent ils n'en deviennent pas plus fages; mais tous leurs efforts tendent fe flatter d'une fatisfaction qu'ils n'obtiennent jamais.

L'efpérance eft donc de tous les plaifirs le plus permanent. Mais quels défirs peuvent former les Princes abfolus, eux qui font en poffeffion de toutes chofes Cependant ils ne fauroient vivre fans défirer. Surchargés, pour ainfi dire, de plaifirs, ils font fervir fans ceffe leur pouvoir à s'en procurer de plus vifs, ou à fe les procurer en plus grand nombre; ce qui leur eft impoffible, & par conféquent ils deviennent la dupe de leurs efpérances.

C'est par cette raifon que les grands & les fameux Conquérans n'étant jamais fatisfaits de leur condition préfente, portent fans ceffe le trouble & la défolation dans l'univers. Ceux qui auroient dû protéger le monde & y maintenir la paix, ont trouvé fouvent leur plaifir dans les larmes, la mifere & l'accablement de plufieurs millions de leurs femblables; quelquefois auffi ils y ont trouvé leur perte & la fin de leur ambition. Cette vérité n'eft malheureusement que trop atteftée; & je ne crois pas que l'on puiffe montrer un Prince fur cent qui n'ait point tramé contre fon peuple, contre fes voifins.

Tel eft le caractere terrible des Conquérans, qu'ils font confifter leur unique plaifir à faire du mal; & c'eft pour cela que le fort de leurs peuples ou de leurs voifins eft fi à plaindre. Ces malheureux peuples font forcés fouvent de fe foumettre à la direction de Gouverneurs, qui trouvent leur plaifir à porter le ravage dans leurs Provinces. L'accroiffement de leur pouvoir, eft fans doute la maxime de ces Princes; mais cette maxime est tout-à-fait oppofée à leur conduite; puifqu'en voulant augmenter leurs domaines, ils diminuent ils diminuent le nombre de leurs fujets & leurs richeffes.

Tome XIII.

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