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On avertit encore les Princes d'être en garde contre les flatteurs : mais il n'y a que ceux qui le font groffiérement qui foient découverts; les autres font inftruits de la défiance où l'on eft à leur égard, & ils évitent avec foin tout ce qui les feroit reconnoître. Plus ils font ingénieux, plus ils font féconds en artifices & en précautions: & le même deffein de fe rendre maître de l'efprit du Prince par la flatterie, s'exécute par cent moyens différens.

Il en eft de même de l'ambition & du défir de dominer. Devant un Prince jaloux de fon autorité qui oferoit l'avouer? On fe couvre d'un masque de modeftie, d'éloignement des affaires, d'inclination pour la retraite, capables de tromper tout le monde; & pendant qu'on fait agir & parler différentes perfonnes, pour faire valoir fes talens & fon mérite, on y ajoute de fon côté la recommandation de l'humilité, qu'on efpere qui fera plus puiffante. La fauffe probité, le faux zéle pour le bien public, fous un Prince qui n'a que de bonnes intentions, prennent mille figures pour le féduire : & quoique le menfonge ne foit pas toujours heureux, il réuffit mieux ordinairement que la vérité, dont il emprunte le visage, & auquel il ajoute le fard.

Par quelle efpece de prophétie le Prince lira-t-il dans les cœurs le contraire de ce qu'on lui montre; car c'eft le nom que donne l'Ecriture à cette lumiere fupérieure, qui doit lui découvrir tout l'artifice qu'on emploie pour le tromper? Il faut, dit-elle, que le Roi foit devin pour bien juger de tout. Qui diffipera les preftiges & les fantômes qu'on fait paroître devant lui à la place des réalités? Le cœur d'un feul homme eft impénétrable, felon le langage du St. Efprit. C'eft une eau profonde qu'on ne peut fonder. Quelle fageffe faut-il donc avoir pour l'épuifer, & en découvrir le fond? Et quelle étendue doit avoir cette fageffe, pour avoir le même fuccès à l'égard de tant de perfonnes que le Prince a intérêt de bien connoître?

Comme le Prince étudie les hommes, tous ceux qui font auprès de lui, ou qui ont quelques efpérances, l'étudient auffi. Ils l'examinent encore plus attentivement qu'ils n'en font examinés. Ils témoignent de l'averfion pour tout ce qu'il condamne. Ils paroiffent fes approbateurs, pour en être approuvés ; & parmi cette multitude d'hommes attentifs à le copier, rien n'eft plus difficile que de difcerner le figne de celui qui a des motifs plus finceres.

On obferve principalement fes défiances & fes précautions, pour le tromper plus fûrement par fa vigilance même. On fait fur quoi il est en garde, & on l'évite. On fait ce qu'il prend pour une preuve de mérite, & l'on s'en fait honneur; mais avec de fages ménagemens, parce qu'on fait bien que le plus grand danger confifte à être découvert, & que rien n'eft plus capable de tout découvrir que l'affectation.

Mais quand on fuppoferoit que perfonne n'a deffein de tromper le Prin

ce, comment connoîtra-t-il des hommes qui ne fe connoiffent point euxmêmes, & qui font les premiers trompés fur leur fujet; qui penfent avoir ce qu'ils n'ont point; qui fe croyent propres à des chofes qui les paffent; qui prennent leurs penfées pour leurs difpofitions; qui jugent de leur vertu par leurs idées, & qui fe perfuadent qu'ils font capables de tout, parce qu'ils ne fe rendent juftice fur rien?

Sur quels fondemens pourra-t-il juger que dans une place importante ils conferveront la probité qu'ils avoient dans une fituation qui les exposoit moins? Combien y en a-t-il à qui l'élévation a fait perdre ce qu'ils avoient de vertus? Combien paroiffoient-ils modérés jufqu'à ce qu'ils fuffent placés? L'efpérance de l'être, tenoit toutes leurs autres paffions en bride. Ils avoient un intérêt principal qui fufpendoit tous les autres; ils ont paru ce qu'ils étoient dès qu'ils ont eu la liberté de le montrer.

Pour bien juger des hommes, il faut beaucoup moins les examiner par rapport à ce qu'ils font actuellement, que par rapport à ce qu'ils peuvent devenir car il y a mille refforts dans leurs cœurs, qui n'agiffent & ne fe détendent que dans l'occafion. Une condition obfcure tient toutes les paffions comme engourdies, & l'on croiroit alors qu'elles font éteintes parce que rien ne les remue; mais dès que les chofes qui en font les objets, ne font pius à la même diftance, & qu'elles commencent à s'approcher, c'eft une chose étonnante, combien les mêmes hommes paroiffent différens, & combien on s'étoit trompé en jugeant qu'ils feroient toujours ce qu'ils avoient été plufieurs années.

Un fimple particulier, borné à un petit bien de campagne, & qui n'a pas la moindre pensée d'ambition, peut être conduit par degré à en avoir une auffi grande qu'Alexandre. Il ne faut pour cela qu'étendre les bornes qui mettent à l'étroit fa cupidité, & qui ôtent toute vraisemblance à fes défirs. A mesure que fon pouvoir s'augmentera, fes projets deviendront plus grands; & quand il aura obtenu un grand Empire, il ne pensera qu'à l'agrandir.

Ce n'eft pas alors le cœur de cet homme qui eft changé. Ce n'eft que fa fortune. Il étoit dans fa condition privée tout ce qu'il eft fur le trône. Il ne lui manquoit qu'un efpace qui pût donner lieu à tous les mouvemens dont il portoit le principe. C'eft un refte de grandeur du premier état de l'homme, dont il abuse maintenant; & c'eft ce qu'il faut bien connoître, pour juger fi les Femmes qu'on met en place font fages & modérés par réflexion & par vertu, ou s'ils ne l'ont été jufques-là que par impuiffance. Mais avant l'expérience, fur quoi un tel jugement portera-t-il?

Il y a des hommes fi légers & fi mobiles, qu'on ne peut compter fur eux. Mais il y en a d'autres plus fermes, qu'il importe fort de connoître, parce qu'ils le font quelquefois pour le mal, comme pour le bien; & qu'il y a un extrême danger à mettre l'autorité entre les mains d'un homme capable de foutenir jufqu'au bout un mauvais parti, s'il l'avoit

pris. Mais fur quelles conjectures un difcernement de cette conféquence fera-t-il fait? Et que ne hafarde-t-on point, en donnant un grand pouvoir à un homme qui peut devenir invincible dans le mal, comme dans le bien ? Il y a des défauts qui n'ont pas de racine dans le cœur, & qu'on peut corriger, quoiqu'ils paroiffent grands. Il y a des vertus au contraire, qui ne font pas profondes quoiqu'elles aient un grand éclat. Certains veftiges font efpérer, que les défauts du premier genre feront furmontés par des inclinations plus heureuses; & certains indices au contraire, font appréhender que les vertus de la feconde efpece ne foient vaincues par de mauvais penchans. Comment obferver ces traces prefque imperceptibles d'un bien ou d'un mal futur, & régler fur elles le choix ou l'exclufion de certaines personnes, qu'il importe au bien public d'admettre ou d'exclure? Un fimple particulier réuffit rarement dans le difcernement du petit nombre d'amis qu'il veut avoir; plufieurs fe plaignent d'avoir été trompés, ou de n'avoir rien trouvé que de médiocre. Quelques-uns vont jufqu'à cet excès, que de croire tous les hommes incapables d'amitié & de fidélité; ce qui eft la même chofe que de les croire incapables de vertus. Que faut-il donc penser de la difficulté que doit trouver un Prince à difcerner des hommes d'un vrai mérite, pour leur donner fa confiance, lui que tant de perfonnes croient avoir intérêt de féduire, & qui a tant de chofes dans fa grandeur, fi éloignée de l'état d'un particulier, qui attirent & invitent les féducteurs?

Moyens de connoître les Hommes.

JE E n'ai pas eu deffein, en représentant combien il eft difficile de connoître les hommes, de décourager l'Homme-d'Etat qui a un fi grand intérêt à les connoître. J'ai voulu feulement l'avertir, qu'il ne trouveroit pas dans lui-même, ni dans les fecours humains, toute la lumiere dont une telle Connoiffance eft le fruit, & j'ai efpéré qu'il la demanderoit à Dieu avec un cœur auffi humble auffi fincere que Salomon, en lui difant, comme lui :>> Seigneur, qui êtes mon Dieu, vous avez mis fur le Trône vo» tre ferviteur; mais je fuis un jeune homme qui ne fais pas me conduire, & qui fuis chargé du peuple que vous avez choifi, peuple infini » & innombrable donnez donc à votre ferviteur la fageffe & l'intelli» gence, & un cœur docile, afin qu'il puiffe juger & gouverner votre peuple & difcerner entre le bien & le mal, car qui pourra gouverner & juger, comme il faut, ce peuple immenfe? «

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Salomon défiroit ardemment la fageffe & l'intelligence; & ce défir auffi vif que fincere eft la premiere difpofition requife pour l'obtenir. Il ne fe diffimuloit ni l'excellence ni les difficultés de la science du Gouvernement, & de la Connoiffance des hommes. C'eft un peuple immenfe, dit-il, que j'ai à conduire, moi qui ne fais pas me conduire moi-même ; & ce peuple eft celui que vous avez choifi, que vous aimez, que vous m'ordonnez

d'aimer

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d'aimer à votre exemple, mais dont les inclinations, les befoins, les intérêts, les maux même me font inconnus. Inftruisez-moi le premier, foyez mon conducteur, afin que je fois le fien; faites que je vous écoute, afin qu'il m'obéiffe utilement. Que ce foit votre fageffe qui regne fur lui & non pas moi; & n'abandonnez pas une nation dont vous êtes le pere & le pafteur invisible à la témérité d'un jeune Prince qui eft égal à fes freres, qui par conféquent a les mêmes befoins, & à qui le même guide eft néceffaire. C'est ce qu'il repréfentoit à Dieu dans une autre priere qui doit fervir de modele aux prieres de tous les Princes. » O Dieu de mes peres, Seigneur miféricordieux, qui avez tout fait par votre parole, donnez» moi la fageffe qui eft toujours auprès de votre Trône, & ne me rejet» tez pas du nombre de vos ferviteurs; car je le fuis, & le fils de votre » fervante. Je ne fuis qu'un homme foible, peu avancé en âge, & dont » la Connoiffance eft fort au-deffous de celle que je dois avoir de la juf»tice; mais quand on auroit toute l'expérience & toute la Connoiffance » dont un homme eft capable, fi l'on étoit privé de votre fagefle, tous » ces avantages feroient comptés pour rien... Votre fageffe eft avec vous; » elle connoit tous vos ouvrages; elle étoit avec vous quand vous avez » fait le monde; elle favoit ce qui vous plaifoit & l'équité de toutes vos » loix; envoyez-la moi des lieux où votre fainteté réfide; du Trône où » vous êtes affis avec majefté, afin qu'elle foit toujours avec moi, & que » je connoiffe ce qui vous eft agréable car elle fait tout, & elle a l'in» telligence de tout. Elle me fera obferver une jufte médiocrité dans toutes » mes actions; & elle me gardera par fa puiffance; & ma conduite vous » plaira, & je gouvernerai votre peuple avec justice, & je ferai digne » du Trône de mon pere. «

Tout eft remarquable dans cette divine priere. Il y eft clairement établi, qu'aucune prudence, aucune expérience, aucun travail, ne peuvent mettre un Prince en état de bien conduire fes fujets, s'il n'eft lui-même conduit par la fageffe éternelle. La raifon de cette importante vérité y eft clairement marquée : c'eft que tout eft l'ouvrage de cette fageffe, & qu'elle connoît elle feule ce qu'elle a mis dans les créatures; que c'eft elle qui a créé l'homme en particulier, qui lui a marqué fa deftination en lui donnant tout ce qu'il a, & qu'elle eft feule bien inftruite de ce qu'il eft, & de la maniere dont il doit être conduit. La conféquence de ces principes eft nettement tirée. Sans elle on ne fera que fe tromper; on ne connoîtra point les deffeins de Dieu; on conduira mal le peuple; on ne fera rien avec prudence mais avec elle tout fera dans l'ordre, & dans une jufte mefure, tout fera conduit à fa fin par des moyens fürs & infaillibles; Dieu gouvernera le Prince, & par lui le peuple qui lui obéit.

Le moyen donc le plus für pour bien connoître les hommes, & pour leur être utile, eft de fe rendre le difciple de la fageffe éternelle qui préfide à tous les efprits, & qui révele à qui il lui plait ce qu'il y a de plus Tome XIII. Cccc

fecret & de plus inconnu dans les penfées & les inclinations des hommes. Mais on ne devient fon difciple qu'en la préférant à tout, même aux Royaumes, fi l'on eft Roi, & en ne défirant régner qu'avec elle & par elle. » J'ai défiré l'intelligence, dit encore Salomon, & elle m'a été donnée. J'ai >> invoqué l'efprit de fageffe, & il eft venu fur moi. J'ai préféré la fageffe >> aux Royaumes, & aux Trônes: au prix de la fageffe, les richeffes m'ont » paru comme rien devant elle, l'or m'a femblé un grain de fable, & » l'argent, comme de la boue. Je l'ai plus aimée que la fanté & la beauté. » J'ai réfolu de la fuivre comme ma lumiere, parce que la fienne ne s'é» teint jamais. Tous les biens me font venus avec elle, & j'ai reçu de fa » main la gloire & des richeffes immenfes. « Voilà le cas qu'il faut faire de la fageffe, quand on veut être digne de régner. Il faut la préférer à tout, & même au Trône; car, il vaudroit mieux en defcendre, que d'y monter fans elle; parce qu'alors on n'y eft affis que pour fa propre confufion & pour le malheur des peuples qu'on ne connoit point.

Mais, quand c'est elle qui inftruit le Roi, elle lui donne une connoiffance fi étendue, & en même temps fi diftin&te de tout ce qui regarde les hommes, qu'un grand peuple ne lui eft alors guere moins connu qu'un feul particulier. L'Ecriture appelle cela élargir le cœur, & elle dit que Dieu en donna un à Salomon, plus fpacieux & plus étendu que le fable de la mer c'eft-à-dire, qu'il donna, à ce Prince, une capacité prefque immenfe, pour embraffer, comme d'une feule vue, tout ce qui étoit utile aux hommes; tout ce qui pouvoit concourir au bien de l'Etat, tout ce qui étoit caché dans les replis du cœur, tout ce qui étoit enfermé dans les fentimens naturels, dont il donna bientôt un rare exemple dans le jugement qui eft devenu fi célébre; tout ce qui convenoit à chaque deffein & à chaque affaire; tout ce qui demandoit de l'application & du détail; tout ce qui étoit l'objet des foins d'un Prince attentif & bienfaisant.

Il ne faut pas, néanmoins, s'imaginer qu'il fuffife à un Prince de demander à Dieu la fageffe fans employer d'autres moyens pour s'instruire de ce que font les hommes, & de ce qu'ils attendent de lui: car, c'eft la fageffe elle-même qui porte le Prince à faire ufage de tout ce qui peut le rendre plus éclairé fur cette matiere, & plus pénétrant.

Rien n'eft plus capable de produire cet effet, qu'une étude férieufe de la fcience morale civile qui doit être comme la bafe du grand art de régner. C'est elle qui apprend aux Rois ce que c'eft que l'homme, quelle eft fa nature, quelles font fes qualités phyfiques & intellectuelles, quel ufage il en doit faire pour la fociété; la maniere de les diriger vers la grande fin des corps politiques; les moyens de réformer les inclinations perverfes, & fortifier celles qui tendent d'elles-mêmes au bien; par quels degrés on parvient à transformer, pour ainfi dire, les hommes, en leur rendant la vertu aimable & avantageufe. Voulez-vous que les hommes foient vertueux, faites qu'ils aient intérêt à l'être faites que la vertu &

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