et au lait pendant quelque temps. A peine est-il débarrassé de ses liens, qu'il fait un si mauvais usage de sa liberté, que l'on juge nécessaire de le livrer à la discipline la plus rigoureuse; d'abord sous une gouvernante, puis sous un maître d'école, tous deux tyrans dans leurs départemens respectifs. Par eux il est encore retenu sans l'autorité de la loi, condamné sans jury, et fouetté sans miséricorde. Dans cet état d'esclavage, il avance plusieurs années, à l'expiration desquelles il est obligé, bon gré mal gré, de se reconnoître sujet d'un Gouvernement civil, et de se soumettre à son autorité, en dépit des efforts ingénieux qu'il peut faire pour lui contester ses droits, et quoiqu'il risque d'être pendu avec justice s'il ose désobéir à ses lois.

13. Définition du hasard.

Le hasard est l'enchaînement des effets, dont nous n'apercevons pas les causes.

14. Chasse extraordinaire.

En 1758, l'Empereur François I fit une chasse sur les terres du Prince Colloredo en Bohême, qui dura dix-huit jours. Il y avoit vingt-trois chasseurs, dont trois Dames. Il y eut 47,950 pièces de gibier et bêtes fauves tuées; dont 19 cerfs-77 chevreuils-10 renards-18,243 lièvres 19,545 perdrix-9,499 faisans-114

L'Empereur tira 9,789 coups; la Princesse Charlotte de Lorraine, sa sœur, 9,010..-Il y eut en tout 116,209 coups tirés. On tint registre de tout.*

15. Définitions de l'amour, par Ninon et Leibnitz, Ninon de l'Enclos définissoit l'amour une sensation plutôt qu'un sentiment; un goût aveu gle, purement sensuel; une illusion passagère, que le plaisir fait naître, que la société détruit, et qui ne suppose aucun mérite ni dans celui qui le prend, ni dans celui qui le donne: elle disoit que c'étoit l'ivresse de la raison. Leibnitz le définissoit une affection, qui nous fait trouver du plaisir dans les perfections de ce que nous aimons.

16. Maxime de Marc-Aurèle.

Dans les événemens qui te chagrinent, dit Marc-Aurèle, ressouviens-toi que, loin l'accident qui t'arrive soit un malheur pour toi,

que

* Quand le Roi de Naples fut en Allemagne vers l'an 1792, on dit, dans les gazettes Allemandes, que, dans les différentes chasses qu'il avoit faites en Autriche, en Bohême et en Moravie, il avoit tué 5 ours, 1,820 sangliers, 1,968 cerfs, 13 loups, 354 renards, 15,350 faisans, 1,121 lapins, 16,354 lièvres, 1,625 chèvres, 1,145 chevreuils, 12,435 perdrix.

ta constance à le supporter t'en fera retirer un avantage certain.

17. Spinosisme.

Spinosa ne reconnoissoit qu'une seule substance dans le monde, dont il disoit que les âmes individuelles n'étoient que des modifications passagères. Les Stoïciens supposoient une âme universelle qui étoit, selon eux, l'océan de toutes les âmes particulières.

18.

Accusation d'opiniâtreté souvent injuste.

La plupart des personnes ne distinguent jamais leur autorité de la raison, ne considé rant pas que si les autres ne sont pas de leur sentiment, ils ne sont pas aussi du sentiment des autres:* tout cela naît de cet orgueil qui fait prendre à chacun pour principe qu'il a raison. Cet orgueil est surtout le partage des ignorans ; ce qui a fait dire sans doute à Madame Deshoulières, de quelqu'un qui étoit dans ce cas : Il est

* Milord P. disoit que j'étois opiniâtre, parce que je soutenois contre lui l'existence de Dieu. Dans l'édition que j'ai donnée des Œuvres de Leibnitz, j'ai publié plusieurs de ses lettres à Muratori; malgré cela, quelqu'un me soutenoit qu'ils n'avoient pas été contemporains, et j'étois un opiniâtre pour avancer l'affirmative.

tout orgueilleux d'être ignorant. Le contraire de ceux-ci étoit Socrate, qui, après avoir étudié tout ce que les hommes de son temps pouvoient savoir, en étoit venu au point d'avouer qu'il ne savoit rien; ce que Pascal appeloit une ignorance savante, qui se connoît.

19. Belle strophe de Le Franc de Pompignan.

Voici une des plus belles strophes qui se trouve dans la poésie Françoise: Voltaire fut forcé de l'admirer, même après qu'on lui eut dit qu'elle étoit de M. Le Franc de Pompignan: il s'agit des athées, qui nient l'existence de Dieu, dans le temps où ils jouissent de ses bienfaits:

Il y a plus de bien moral dans le monde que de mal; il peut y avoir plus d'hommes méchans que de bons, parce qu'une seule mauvaise

action suffit pour qualifier un homme de méchant; mais, d'un autre côté, ceux qu'on appelle méchans font souvent dans leur vie dix bonnes actions pour une mauvaise. D'ailleurs on parle beaucoup plus d'un grand crime, comme d'un meurtre, que de cent bonnes actions, qui ne font point de bruit dans le monde ; et cela même prouve que les premières sont beaucoup plus rares que les dernières.

21. Origine du mal.

Tous les êtres créés sont nécessairement finis et imparfaits, Dieu ne pouvant créer d'être semblable à lui-même : le mal qui résulte de là est donc essentiel. Cela

que le prouve aussi mal, dans le physique aussi-bien que dans le moral, n'est pas positif; c'est une privation, un défaut attaché à la nature des êtres créés.

22. Pourquoi nous ne comprenons point l'esprit.

L'esprit étant le lieu des idées et les contenant, il s'ensuit nécessairement que l'idée que l'on veut se former de l'esprit, ne peut jamais être l'idée de l'esprit; lequel, devant comprendre cette idée, ne peut pas être en même temps le contenant et le contenu. L'esprit et l'âme sont synonymes à cet égard.