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craint de lui demander la permiffion de la publier, & mon vif chagrin de ce qu'il l'a obtenue fi facilement avec une réponse qu'il colporte de maifons en maifons, bien propre à donner créance à toutes fes calomnieufes imputations. >>

» Au fait, Monfeigneur, tout ce qui me regarde fe réunit à un point bien fimple. Ai-je eu le bonheur d'être utile à l'Etat dans plufieurs circonstances très-importantes? je n'imagine pas que quelqu'un réponde négativement à cette queftion, lorfque Louis XV. de fa propre main & de fon propre mouvement m'en a donné le témoignage le plus authentique & le plus glorieux pour moi & ma famille eu date du premier Avril 1766. »

» Dès ce moment j'ai donc droit à une récompenfe. Mais eft-ce ce fameux Caron, ce divin Beaumarchais qui m'a procuré les occafions de me diftinguer dans le Nord, à l'armée & en Angleterre, qui m'a fourni les moyens de contenter le feu Roi & de fatisfaire l'administration? en ce temps il n'avoit pas même d'existence morale. »

» M'a-t-il aidé du moins à obtenir la récompenfe à laquelle je pouvois prétendre ? Monfeigneur, vous êtes équitable, je ne penferai jamais que vous ayez attendu le bavardage amphigourique du Sr. Caron pour vous déterminer à mon sujet. »

» D'ailleurs, ai-je en effet été récompensée ? avant l'arrivée de l'Envoyé extraordinaire Caron en Angleterre, je jouiffois de douze mille livres de rente qu'il a depuis, en trahiffant

na confiance, placées fur les fonds des affaires étrangeres. « Ces douze mille livres m'avoient » été accordées par Louis XV. dans les pro» pres termes fuivans: en récompenfe des fer» vices que le Sr. d'Eon m'a rendus tant en Ruffie » que dans mes armées & d'autres commiffions » que je lui ai données, je veux bien lui affurer » un traitement annuel de douze mille livres que n je lui ferai payer exactement tous les fix mois

dans quelque pays qu'il foit, (hormis en temps » de guerre, chez mes ennemis) & ce jusqu'à » ce que je juge à propos de lui donner quelque » pofte dont les appointemens feroient plus con» fidérables que le préfent traitement. A Ver» failles le premier Avril 1766. »

Signé, LOUIS.

» La Cour me devroit 318,477 liv. 16 sous.` Caron m'en a donné ou plutôt il s'eft laiffé arracher 61,714 liv. 6 fous maintenant il foutiendroit, fi je le laiffois dire, que le furplus de 256,763 livres 10 fous eft foldé par fon premier paiement. Jugez vous-même, Monfeigneur, des obligations que j'ai à ce grand négociateur & de la gratitude qu'il m'inspire. »

» Je voudrois pouvoir me dispenser de l'imiter en quoi que ce foit; mais fes lettres injurieuses, qu'il a le front de m'envoyer à moimême, circulent & me préfentent fous les plus odieufes couleurs; en conféquence, daignez, Monseigneur, écouter la priere qu'il vous fit & que je vous adreffe à plus jufte titre, de mettre aux pieds du Roi mes plaintes & mes griefs, afin qu'il impofe filence à cet impof

teur, & arrête le cours d'une diffamation qui n'a de fondement que dans fon impudence & dans fon penchant à nuire & à tracaffer: mais non, Monfeigneur, faites-lui grace, laiffez-le jouir en repos du mépris qu'il inspire à toutes les ames fenfibles, laiffez-le jouir de cette brillante & infame fortune qu'il a méditée en Angleterre fur les polices de mon fexe. Quand il s'agit d'argent, il ne fent plus rien, il est comme un cadavre, il ne fent pas qu'il pue. Toute ma vie, comme militaire, j'ai été auffi chatouilleufe fur l'honneur qu'une fille doit Pêtre fur la vertu de chafteté. Le fcrupule que j'ai toujours apporté dans ce double objet de ma conduite, me donne aujourd'hui la confolation de dormir & de mourir tranquille, malgré la calomnie & la méchanceté des hommes. On peut faire paffer ma vie par le creufet, elle en fortira, j'efpere, auffi pure que l'or, fi ce n'eft aux yeux de Dieu, du moins à ceux des hommes. "

» Le feul crime dont S. E. Caron ofe me taxer en public, eft celui d'ingratitude envers un être auffi bienfaifant que celui de Beaumarchais. Il eft vrai qu'avec une douce compaffion il rejette cette faute fur la foibleffe d'un fexe à qui l'on doit tout pardonner. Ne vous laiffez pas toucher le cœur, Monfeigneur, par des paroles auffi mielleufes & auffi amphibiques que les fiennes fur fa prétendue foibleffe des femmes. Il faut au contraire l'endurcir, car les larmes de Caron en cette occafion ne font que des larmes de crocodiles, fa prudence eft celle du ferpent. Il reffemble

dans fa magnanimité parfaitement à ce foldat d'Innocent XIV, qui ayant été ainfi que Caron, à moitié tué dans une forêt de la Franconie, fut difféqué à Nuremberg. On lui trouva deux gefiers & point de cœur. Qu'il attribue tant qu'il voudra mon ingratitude particuliere au caractere général & incompréhensible des femmes; je le défie de l'attribuer à mes vapeurs, & je fuis en état de lui démontrer que fi les femmes ont cent défauts, les hommes à la Caron ont mille vices. »

» Si je vous envisageois, Monfeigneur, comme un Miniftre à l'ordinaire, je m'eftimerois bien malheureufe en étant noircie dans votre efprit par une langue, par une plume, je dirai plus, par une ame à la Caron: mais raffurée par votre juftice & votre pénétration, je n'ai rien à craindre de la prévention & des traits empoifonnés de la calomnie. La plume de Beaumarchais reffemble à la lance d'Achille, qui n'avoit pas fitôt bleffé qu'on en tiroit un spécifique à la bleffure qu'elle avoit faite. La parfaite connoiffance que le Sr. Caron m'a donnée fur la conduite adroite de Beaumarchais, m'a forcée à le placer malgré moi dans la claffe des gens dont il faut être haï, pour, avoir le droit de s'eftimer foi-même. Une déplorable révolution m'avoit arraché à ma pa-. trie, m'avoit dépouillé de ma dignité. Mon retour auprès de mon maître eft le plus beau triomphe de mon innocence, de la juftice du Roi, de celle du refpectable vieillard qui gou-, verne la France, dont la vertu a été fi longtemps prouvée par le bonheur & le malheur,

& dont la probité eft auffi connue que la candeur de fon ame & de fes moeurs. Hélas! Monfeigneur, pourquoi le Sr. Caron n'a-t-il pas eu la centieme partie de votre honneur & de votre bonne-foi, je ne ferois pas aujourd'hui brouillée avec lui, & il y auroit déjà près de trois ans que je ferois heureuse dans ma patrie. Vous avez fi bien fenti le ridicule qu'il y avoit d'abandonner à la vanité, à la cupidité & aux caprices du Sr. Beaumarchais l'ancien Miniftre fecret & public de Louis XV, que par votre derniere lettre vous me faites l'honneur de me marquer en propres termes d'être fans inquiétude fur M. Beaumarchais, de m'adresser diredement à vous fans le fecours d'aucun intermédiaire. »

" Qu'elle eft grande ma fatisfaction, de n'avoir plus rien à faire avec cet adroit charlatan, mais uniquement au Comte de Vergennes; c'eft-à-dire, au plus vertueux des Ministres & au plus honnête des hommes. »

Je fuis avec un profond refpect,

MONSEIGNEUR,

Votre très-humble, &c.

La Chevaliere d'EoN de Beaumont,

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