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lui, ou, pour mieux dire, pour lui. Frédéric » Guillaume avoit la manie des géans, la manie » de la tenue, la manie des exercices de détail; tous ces fignes infaillibles d'un efprit qui n'est pas né pour le grand art de la guerre. » Il en étoit devenu en Europe ridicule plutôt que redoutable; car fi les hommes en particulier portent fouvent de faux juge» mens, les Nations ne fe trompent jamais dans l'opinion qu'ils prennent des Souverains : » elles lèvent le voile dont ils veulent s'envelopper, & les caractérisent d'un mot ou d'un trait qui s'attache pour jamais à leur mémoire. On appeloit Frédéric Guillaume, le Roi Ser»gent, ce qui exprimoit parfaitement fon goût pour les détails fubalternes, & le peu de grandes idées qu'il attachoit à fes grandes » forces «. Ce ftyle un peu familier & trèsfacile, dérobe la profondeur & la fineffe des idées; mais c'est un mérite de plus pour les prits d'un goût délicat, qui aiment mieux fen& difcerner les beautés que d'en être frappés. De tous les évènemeus de la jeunesse du Rɔi de Pruffe, il n'en eft qu'un feul fur lequel s'arrête un peu fon Panegyriate; c'eft le fupplice de ce jeune Kaat, que Frédéric ainoit, & que fon pere eut la barbarie atroce de faire exécuter fous fes yeux. On a dit dans le temps, que le Roi de Pruffe n'avoit pas paru affez fenfible au fupplice de fon jeune ami; mais les pleurs, les tranfports, ces fignes communs de l'équivoque fenfibilité de tant d'ames ordinaires, font-ils faits pour un caractère d'une cer»taine trempe? Un fpectacle auffi horrible ne » devoit-il pas concentrer fa douleur, plutôt » que la faire eclater? & ne vaut-il pas mieux, prêtant à un grand homme une profondeur » de pensée que toute la vie a justifiée depuis,

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fe repréfenter Frédéric recueilli dans fa conf» ternation, prenant à jamais en horreur le fa» tal droit que fe font donné les Rois, & pro-» nonçant, à la vue de ce fang infortuné, le » ferment de n'en jamais faire couler fur un échafaud quand il viendroit à régner «?

On eft d'abord un peu étonné de cette juftification, & le cœur eft tenté de la repouffer comme une tournure oratoire avec laquelle on veut en impofer à un fentiment naturel qui fe révolte. Mais on fent bientôt que c'eft une grande penfée, & non pas un artifice d'Ecrivain; & le cœur fe réconcilie avec ce fentiment réfléchi, qui appartient fans doute moins à l'humanité, mais qui peut lui être plus favorable.

Ni l'enfance, ni même la jeuneffe de Frédéric n'annoncèrent ce qu'il devoit être un jour, Si on avoit voulu par fes goûts préfager fes deftinées, la Pruffe n'auroit dû attendre qu'un Prince ami des Arts & des voluptés que les Arts embelliffent. Le véritable génie de Frédéric ne devoit fe manifefter qu'au moment où il mon teroit fur le trône; & c'eft auffi à ce moment que fon Panegyrifte fe hâte de le contempler.

Quelques Orateurs & quelques Poëtes ont eu à peindre des Princes d'un efprit étendu & d'une confcience fcrupuleufe, qui, appe cevant les bornes de leurs facultés naturelles & l'immensité des devoirs du pouvoir feprême, en ont été effrayés, & ont refusé le trône ou n'y font montés qu'en tremblant; & ce, fentiment fublime a produit quelques beaux morceaux de poéfie & d'éloquence. Mais les imi tateurs for venns, & aufi-tôt, dans leur profe & dans leurs vers, on n'a plus vu que des Princes qui ont peur du trône; les ufurpatcurs même ont été modeftes, & les defpotes ont tremblé devant l'étendue de leur puiffance. Rien au monde cependant ne doit être plus rare qu'une

pareille crainte; tous les hommes aiment le pouvoir, les uns pour fatisfaire leurs paffions, les autres pour exercer leurs vertus; tous, pour avoir une vie plus étendue & un fentiment moins inquiet, plus fûr de leur perfection. Il est prefque fans exemple que la bonté même voie dans la Royauté autre chofe qu'un moyen continuel de fe livrer à fes doux penchans. Un lieu commun n'étoit pas fait pour le Panégyrifte du Roi de Pruffe; & en commençant à régner, Frédéric n'a pas plus craint fa puiffance. que celle des autres; il a voulu la connoitre. »Pendant plufieurs jours Frédéric fe taît; il » s'inftruit en filence des détails de fon armée, de fes finances, de fes moyens; un » de fes Miniftres, croyant flatter fes penchans, » lui donne un plan pour s'entourer de grandeurs, d'étiquette & de fafte, comme les autres Rois. Frédéric ne répond rien. Concentré » dans fes méditations, il étudie fa pofition', "il embraffe le préfent, le paffé, l'avenir; il voit fes provinces éparfes, fes reffources » foibles & divifées, fa puiffance précaire & » entourée de voifins formidables «.

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Ici l'Orateur trace un tableau des principaux Empires de l'Europe au moment où Frédéric fe mit en poffeffion du fien; & à peine la Pruffe paroit-elle digne d'être comptée dans cette lifte d'Empires.

A ce tableau en fuccède un fecond des Mo Barques qui régnoient, des Miniftres qui gouvernoient en Europe; & quoiqu'on ne faffe qu'entrevoir encore le génie de Frédéric, la Pruffe, dans ce fecond tableau, s'élève, s'agrandit, & prend un rang parmi les puiffantes Monarchies.

Ces deux tableaux, la manière dont l'un & l'autre font tracés, l'effet qu'ils produifent, & le grand réfultat que la raison en

tire voilà des coups de maître, voilà la manière des Hiftoriens & des Orateurs de l'antiquité, fi abfolument inconnue de la plupart des Modernes, dont l'efprit, employé tout entier à ne pas mal écrire, eft entièrement étranger à ces combinaifons profondes & à ces puiffans effers de la compofition générale da Difcours.

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Mais il faut chercher ces beautés dans l'Eloge même du Roi de Pruffe. Ce qu'on peut copier d'un Ouvrage dans un extrait, eft rarement ce qui s'y trouve de plus digne de louange; ce ferait même tant pis s'il en étoit autrement. » Mais ce qui frappe, ce qui attache fur-tout les regards de Frédéric, parce que c'est-là l'époque qui doit commencer fon agrandif» fement, c'est la mort vraisemblablement trèsprochaine de l'Empereur Charles VI. En Au»triche, tout eft resté en arrière, ou s'eft abâtar» di. L'ambition de Frédéric s'enflamme donc par de juftes efpérances; il dévore déjà en »filence une des plus belles portions de la fucceffion de Charles VI, la Silefie, province » prefque égale en richefles & en population à » la moitié de toutes les fiennes réunies, & » qui, en arrondiffant & fortifiant fon Royau

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me, lui donnera une place ftable parmi les « Puiffances de l'Europe. Il a, pour la réclamer, » des prétentions auxquelles fes ancêtres ont » renoncé parce qu'ils étoient foibles; il les » renouvellera parce qu'il fera fort & que la » circonftance fera favorable, & la victoire qui légitime tout, en fera des droits. Tel eft le vafte champ des méditations de Frédéric pen»dant les premiers jours de fon règne; & de ces » méditations naît foudain avec cette régulière harmonie qui prouve la conception d'un grand » fyftême, le plan de fa conduite publique & privée pour le refte de fa vie. Dès-lors plus

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de fafte, plus de luxe, plus de recherches, plus aucun de ces goûts frivoles dont il n'a» voit pas été exempt étant Prince Royal, parce qu'il n'étoit pas encore à fa place, mais qu'une » ameélevée rejette fi loin d'elle, quand de grands

devoirs & des pensées d'un certain ordre » s'en emparent. If fe montre à fes foldats, il " parle à fes Officiers en Roi qui veur être » guerrier; il prend l'uniforme de fon armée,

& il ne le quittera plus jufqu'au tombeau; fes journées, fes heures, fes travaux d'adininif»tration, fes audiences, fes voyages, les revenas de fes troupes, leurs camps d'inftruction, tout, jufqu'à fes plaifirs & fes goûts littéraires, qui ne deviennent plus que des » délaffemens, fe règle & fe foumet à un ordre invariable. C'eft une plus grande qualité qu'on ne penfe dans les Rois, que ce faint refpect pour le temps, foit qu'on envifage les peuples qu'ils gouvement, foit qu'on les confidère eux-mêmes. Car quel vide de35 vroit refter à des hommes chargés d'une tâche auffi immenfe! Cependant, faute d'éducation, faute de morale, fante d'habitude à cet égard, » c'est ce vide inconcevable qui les dévore pref» que tous; c'est-là ce qui les rend fi incertains

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fi mobiles, fi remplis de petits goûts, & fi • promptement blafes fur tous les plaifirs. Le » temps fe venge fur eux du culte qu'ils ne » favent pas lui rend e, & femble fe plaire à les » écrafer de fon poids. L'amour de la gloire & a l'ambition ont en fanté quelquefois dans d'autres » Princes de ces révolutions bites & marquées. » Louis XIV, à la mort de Mazarin, fecoua » brillamment les chaînes qui avoient prolongé fon enfance; Charles XII devint un héros »en lifant la vie d'Alexandre; mais dans Frédéric, cette révolution appartient plus à la N°. s. & Fév. 1788.

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