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que cette manie a duré peu, non parce qu'on a reconnu que c'étoit une manie, mais parce qu'aucune manie ne dure dans notre nation. Elle fubfifte cependant encore quoique foiblement. Mais à la place de nos Géometres, il me femble que je ne ferois pas fort flaté de l'accueil qu'ils reçoivent. Les éloges qu'on leur donne ne font jamais que relatifs à l'idée peu favorable qu'on avoit d'eux. C'est un grand Géometre, dit-on, & c'est pourtant un homme d'efprit; louanges affez humiliantes dans leur principe, & femblables à celles que l'on donne aux grands Seigneurs. Ces derniers raifonnent-ils paffablement fur un ouvrage de Science ou de Belles-Lettres, on fe récrie fur leur fagacité; comme fi un homme de qualité étoit obligé par état d'être moins inftruit qu'un autre fur les chofes dont il parle; en un mot on traite en France les Géometres & les grands Seigneurs à-peu-près comme on fait les Ambaffadeurs Turcs & Perfans; on eft tout furpris de trouver le bon fens le plus ordinaire à un homme qui n'eft ni François ni Chrétien, & en conféquence on recueille de fa bouche comme des

les. En vérité fi on démêloit les motifs des éloges que prodiguent les hommes, on y trouveroit bien de quoi s'y confoler de leurs fatyres, & peut-être même de leur mépris.

Je ne quitterai point cette matiere fans faire auffi quelques réflexions fur les caufes de l'empreffement que nous affectons pour les étrangers. Je m'écarte en cela d'autant moins de mon fujet, qu'étant aujourd'hui bien reçus partout, principalement lorfqu'ils font riches & d'un grand nom, ils forment dans le monde comme une claffe particuliere qui mérite d'être obfervée, & dont les gens de Lettres cherchent auffi à tirer parti pour cette réputation qu'ils ont fi fort à cœur.

Quand on confidere avec attention les étrangers tranfplantés parmi nous, & qu'on rapproche leurs perfonnes des éloges que nous leur prodiguons, on découvre rarement d'autres motifs à ces éloges, qu'une prévention ridicule en notre faveur, jointe à l'envie de rabaiffer nos compatriotes. Je ferois fâché pour les Anglois, que nous affectons de louer par préférence, qu'ils fuffent la dupe de ces motifs; on m'accufera

peut-être de leur révéler ici le fecret de Î'Etat, mais je ne crois pas faire un grand crime. Quoi qu'il en foit, j'avoue qu'avec tout le cas que je fais de leur perfonne, j'en fais encore plus de leur nation, & que je fuis auffi peu curieux d'un Anglois à Paris que je le ferois d'un François à Londres. Tel Milord arrive ici avec une réputation très-méritée qui ne paroît dans la converfation qu'un homme affez ordinaire; c'eft qu'on peut être un grand homme d'Etat, traiter éloquemment en fa propre langue dans les affemblées de fa nation des matieres importantes qu'on a étudiées toute fa vie, & balbutier dans une langue étran gere parmi des fociétés dont on ne connoît ni les ufages, ni les intérêts, ni les ridicules, ni la frivolité.

C'eft aux Gens de Lettres, il faut l'avouer, que la nation Angloife eft principalement redevable de la fortune prodigieufe qu'elle a faite parmi nous. Inférieure à la nation Françoise dans les chofes de goût & d'agrément, mais fupérieure foit par le mérite foit au moins par le grand nombre d'excellens Philofophes qu'elle a produits, elle nous

vrages de fes Ecrivains cette précieuse liberté de penfer dont la raifon profite, dont quelques gens d'efprit abufent, & dont les fots murmurent. Auffi tant de plumes Françoifes ont célébré l'Angleterre, que leurs éloges semblent avoir calmé la haine nationale, de notre part du moins; car il faut convenir que fur ce point nous fommes un peu en avance avec eux, & qu'ils ne nous rendent pas fort exactement les louanges que nous leur donnons. Cette réserve, pour le dire en paffant, ne feroit-elle pas un aveu de notre fupériorité? Du moins l'honneur qu'ils nous font de venir chercher en France nos goûts, nos airs, & jufqu'à nos préjugés, eft une forte d'éloge tacite & involontaire, dont la vanité Françoife doit s'accommoder mieux que d'aucun autre. Il femble que nous foyons actuellement dans une efpece d'échange avec l'Angleterre ; inftruits & éclairés par elle, nous commençons à l'emporter, à lui tenir tête du moins pour les Sciences exactes, & elle vient d'un autre côté puifer dans nos entretiens & dans nos livres, le goût, l'agrément, la méthode qui manque à fes productions. Prenons garde qu'elle

qu'elle ne furpaffe bientôt fes maîtres.
Nos gens de Lettres qui ont tant con-
tribué à la manie & au progrès de l'An-
glicifme, n'ont que de trop bonnes rai-
fons de protéger & de refpecter leur
ouvrage; ils fe flatent que la confidé-
ration qu'ils témoignent aux étrangers
fera payée du même prix; que ces
étrangers de retour chez eux célébre-
ront leurs admirateurs, & feront con-
noître à la France par leurs écrits des
tréfors qu'elle poffédoit quelquefois in-
cognito & fans oftentation. C'eft là fans
doute faire prendre le grand tour à la
renommée; mais le chemin le plus long
eft en ce cas le moins orageux, & pour-
vu que
la renommée arrive enfin, on
fe réfoud à prendre patience.
Quelquefois on fe rend étranger foi-
même à fa patrie: on met trois cens
lieues entre foi & l'envie après avoir
lutté en vain contr'elle. Mais on ne
penfe pas que cette distance qui affoi-
blit les traits de la fatyre, refroidit en-
core bien plus l'amitié que la haine,
& qu'à l'égard des liaifons qui ont com-
mencé dans l'éloignement, elles ne font
que trop fouvent détruites par la pré-
fence. Ainfi on ne fait par cette démar

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