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monde. Les Gens de Lettres du moins me fauront gré de mon courage, les honnêtes gens m'applaudiront, & vous m'en aimerez mieux,

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ESSAI

SUR LA SOCIÉTÉ

D-E S

GENS DE LETTRES

E T

DES GRANDS, Sur la réputation, fur les Mécenes, & fu? les récompenfes Littéraires.

L n'y a point de peuple qui n'ait été long-tems dans la barbarie, ou plutôt dans l'ignorance, car il n'eft pas bien décidé fi ces deux mots font fynonymes. Notre nation, par une infinité de caufes, auffi dangereufes à développer que faciles à connoître, eft demeurée enfévelie pendant plufieurs fiecles dans les ténébres les plus profondes; elle n'en étoit pas même plus à plaindre, fi nous en

tendent que la nature humaine se déprave à force de lumieres. Comme ce fiecle corrompu eft en même tems éclai ré, ces Philofophes en concluent que la corruption est l'effet & la fuite du progrès des connoiffances. S'ils euffent vécu dans les fiecles que nous appellons barbares, ils euffent alors regardé l'ignorance comme l'ennemie de la vertu : le fage qui voit de fang froid tous les fiecles & même le fien, penfe que les hommes y font à peu-près femblables.

Quoi qu'il en foit, le jour est enfin venu pour nous; mais comme la nuit avoit été longue, le crépuscule & l'aurore de ce jour ont été longs auffi. Charles V. un des plus fages & par conféquent des plus grands Princes qui ayent jamais regné, quoique moins célébré dans l'Hiftoire qu'une foule de Rois qui n'ont été qu'heureux ou puiffans, fit quelques efforts pour ranimer dans fes Etats le goût des Sciences. Il fut fans doute affez éclairé pour fentir, au milieu des troubles qui agitoient fon Royaume, que la culture des Lettres eft un des moyens les plus infaillibles d'affurer la tranquillité des Monarchies, par une raifon qui peut rendre au contraire cette

même culture nuifible aux Républiques quand elle y eft pouffée trop loin; c'est que l'attrait qui l'accompagne, ifole pour ainfi dire les hommes, & les rend froids fur tout autre objet. Des fucceffeurs ou trop bornés ou trop defpotiques, femblerent négliger les vues fages de Charles V; mais le mouvement imprimé fubfifta, quoique foiblement, jufqu'à François premier, qui donna aux efprits engourdis & languiffans une nouvelle impulfion. Ce Prince fut, ou affez bien né pour aimer les Savans, ou du moins affez habile pour les protéger; car fans les aimer on les protege quelquefois, & l'intérêt ou la vanité les rend aifément dupes fur les motifs des égards qu'on a pour eux. Auffi rien n'a-t-il égalé leur reconnoiffance pour ce Monarque; les Gens de Lettres, comme le Peuple, tiennent compte aux Princes des moindres bienfaits; &, ce qui eft affez remarquable dans l'Hiftoire de l'efprit & du cœur humain, le titre de Pere des Lettres femble avoir plus contribué à faire oublier les fautes innombrables de François premier, que le nom bien plus

à effacer celles de Louis XII. L'Hiftoire paroît avoir mis le premier de ces deux Rois fur la même ligne que fon rival de gloire Charles-quint, qui avec beaucoup plus de talens que lui, n'intéressa pas tant de plumes à le célébrer, & qui négligea la vanité futile d'être l'idole de quelques Savans, pour l'honneur moins réel encore & plus funefte d'être la terreur de l'Europe.

La Nobleffe Françoife toute portée qu'elle eft à prendre aveuglément fes Rois pour modeles, ne montra pas pour les Lettres le même goût que François premier. Peu éloignée du tems où des héros qui ne favoient pas lire gagnoient des batailles & fubjuguoient des Provinces, elle ne connoiffoit encore d'autre gloire que celle des armes ; & c'eft ici une de ces circonftances peu fréquentes dans notre Hiftoire, où la pareffe & le préjugé l'ont emporté fur le defir de faire fa cour au Monarque. Le penchant naturel des Courtifans pour l'ignorance fe trouva beaucoup plus à fon aife fous les Rois qui fuivirent, & qui furent tous protecteurs peu zélés des Lettres ; je n'en excepte ni Charles IX. auteur de quelques vers, dont on n'auroit peut

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