avoir fait l'occupation orageufe & pénible des plus précieufes années de notre vie, elle fera peut être la confolation des dernieres. Puiffe-t-elle, quand nos ennemis & nous ne ferons plus, être un témoignage durable de nos fentimens & de leur injuftice! Puiffe la poftérité nous aimer comme gens de bien, fi elle ne nous eftime pas comme gens de Lettres! Puiffe enfin le Public, fatisfait de notre docilité, fe charger luimême de répondre à tout ce qu'on pourra faire, dire ou écrire contre nous! C'est un foin dont nous nous repoferons dans la fuite fur nos lecteurs & fur notre ouvrage. Souvenons-nous, dit l'un des plus beaux génies qu'ait jamais eus notre Nation (), de la fable du Bocalini: Un voyageur étoit im» »portuné du bruit des cigales, il vou » lut les tuer, & ne fit que s'écarter de

fa route il n'avoit qu'à continuer » paifiblement fon chemin, les cigales » feroient mortes d'elles-mêmes au » bout de huit jours ». (*)

(1) Préface d'Alzire.

(*) Depuis l'année 1753, où cette Préface a paru, jufqu'à la fin de 1757, les Auteurs de l'Encyclopédie ont joui d'une affez grande tranquillité. Ce n'eft pas qu'ils

n'ayent été fouvent attaqués par des critiques injurieufes; mais comine ces critiques étoient purement littéraires, ils n'y avoient fait aucune attention, & laiffoient au Public le foin d'apprécier leur travail. Enfin la haine a franchi les bornes qu'elle paroiffoit s'être prefcrites. Dans des libelles diftribués publiquement (& ouvertement protégés) les Auteurs de l'Encyclopédie ont été représentés comme des hommes fans probité & fans mœurs, quoiqu'on n'ait pas cité une feule ligne dans fept volumes, pour appuyer des accufations fi atroces. L'Auteur de cette Préface a cru devoir demander juftice; moins pour lui-même (car il n'étoit pas perfonnellement attaqué dans ces libelles) que pour le bien d'un ouvrage qui paroiffoit mériter quelques égards & quelque appui. La juftice qu'il demandoit lui ayant été refufée, il a reconnu, peut-être trop tard, que rien ne pouvoit mettre déformais l'Encyclopédie à cou vert des imputations les plus graves & les plus injuftes & de l'efpece d'inquifition qu'on fe préparoit à exercer contre elle. Il a donc pris le fage parti de fe borner défor mais uniquement dans ce Dictionnaire à la partie mathé matique, qui ne peut être fujette ni aux clameurs des faux zélés, ni aux chicanes d'un revifeur, & qui d'ailleurs eft la seule pour laquelle il ait contracté avec le public des engagemens folemnels. Un ouvrage tel que l'Ency clopédie a befoin de liberté ; la Religion & l'Etat doivent y être respectés fans doute; mais il doit être permis d'y donner carriere à des opinions purement philofophiques, fans avoir à craindre ni les conféquences odieufes, ni les applications malignes; autrement il eft impoffible de fe livrer avec goût,& par conféquent avec fuccès, à un travail qui devant être de longue haleine, n'offre en perfpective à fes Auteurs que des véxations de toute efpece à effuyer pendant l'espace de dix à douze ans ; véxa. tions encore plus nuisibles au bien de l'ouvrage qu'à la tranquillité de ceux qui y confacrent leurs veilles. Plus on s'éloigne de la jeunesse, plus on eft porté à prendre pour devife ces Vers d'Horace :

ESSA I

SUR LA SOCIÉTÉ

DES

GENS DE LETTRES

E T

DES GRANDS,

SUR LA RÉPUTATION, SUR LES Mécenes, et sur LES RÉCOMPENSES LITTÉRAIRES.

Sine irá & ftudio, quorum caufas procul habeo. TACIT. Ann. L. I. C. I.

A M. L'ABBÉ DE CANAYE,

De l'Académie Royale des Infcriptions & Belles-Lettres.

R

ECEVEZ, mon cher Ami, ce fruit de nos conversations philofophiques, qui vous appartient comme à moi. Je ne puis mieux l'adreffer qu'à vous, dont l'exemple prouve fi bien qu'on peut vivre heureux fans les Grands, & dont le commerce fait fentir combien il eft facile de s'en paffer. Quelque foin que j'aye apporté dans cet écrit pour dire la vérité de la maniere la moins offenfante qu'il m'a été poffible, fans l'affoiblir, je doute qu'il