صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

occuper de cet ordre du jour, nous avons une question préjudicielle à poser: « La Compagnie de Jésus sera-telle, oui ou non, exclue de l'enseignement ? »

La Compagnie de Jésus a été, pendant deux siècles et demi, l'enseignement personnifié, l'enseignement évangélique, par toute la terre, l'enseignement moral et religieux dans l'Europe chrétienne. Pendant deux siècles et demi, l'enseignement des Jésuites a été la morale de l'Evangile, servant de régulateur et de contrepoids à la littérature du monde ancien, aux lettres, aux sciences et aux arts profanes. Ce fut le prosélytisme chrétien à sa plus haute et plus large expression. Qui oserait affirmer qu'elle ne sera pas encore, dans l'avenir, comme elle l'a déjà été, l'avant-garde de la civilisation, dans l'Asie centrale et dans l'Océanie, sur les côtes d'Afrique comme dans l'Amérique du sud ? Les membres de la Compagnie de Jésus ont été, et ils peuvent être encore, les plus intrépides, les plus opiniâtres agents de l'unité morale, de l'unité sociale du genre humain. S'ils ont valu, à raison de leur puissance d'action, la peine d'être attaqués tant et si souvent, ils valent au même titre la peine d'être défendus.

La Compagnie de Jésus sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas exclue de l'enseignement? Les lois qui l'ont bannie du royaume ne sont-elles pas dès-lors essentiellement abrogées? Et, si elles ne le sont pas virtuellement, ne doivent-elles pas l'être en termes formels? L'enseignement sera-t-il libre, s'il n'est pas libre pour tous? La Compagnie de Jésus pourra-t-elle y prendre part comme congrégation? ses membres pourront-ils y concourir individuellement? ou bien en seront-ils privés, eux,

citoyens français, par cela seul qu'ils appartiennent à la Compagnie? Faudra-t-il qu'un prêtre, pour se livrer à l'instruction publique, jure de ne point appartenir à cette Compagnie, ou bien, comme en 1762, le forceles ra-t-on d'abjurer? Jusqu'à quel point, en un mot, Jésuites sont-ils proscrits? La question, on le voit, mérite d'être posée.

La question est large: elle ne se borne pas à la liberté de l'enseignement par les Jésuites; elle s'étend à l'existence des congrégations d'hommes en France. Il faut dire si les chartreux, si les trappistes, si les dominicains sont au ban des lois françaises, à cette période du XIXe siècle où nous sommes. Il faut que l'on sache si les dominicains qui prêchent, ont droit de prêcher; - que l'on sache si les trappistes, qui labourent la terre en France et qui la fertilisent en Algérie, en vertu de marchés passés avec notre ministre de la guerre, sont réprouvés par nos institutions; -que l'on sache si les lazaristes qui figurent au budget du ministère des cultes n'ont pas chez nous droit de cité;-que l'on sache si les congrégations d'hommes qui desservent certains hôpitaux et s'associent au nouveau régime pénitentiaire dans nos prisons, doivent en être exclues par le ministère de l'intérieur et mises hors la loi; -que l'on sache si les frères des écoles chrétiennes, les frères de Saint-Antoine, les frères de Strasbourg, les frères de Nancy, les frères de Valence, les frères de Saint-Joseph du Mans, les frères du Saint-Esprit dans la Vendée, les frères de Viviers, les frères de Marie de Bordeaux, entrés si activement, si profondément, dans l'instruction publique, sous la responsabilité ministérielle, sont autant d'infrac

tions flagrantes aux lois du royaume; il faut qu'on sache si le conseil d'Etat, quand il a autorisé ces congrégations à acquérir et à vendre, comme corporations, ce qui arrive de temps en temps, viole les lois administratives qu'il s'est chargé de maintenir; il est temps que la France sache enfin, il est à propos que les congrégations d'hommes sachent elles-mêmes, s'il dépend d'un ministère violent de balayer à son gré de la face de la France des Français enseignant, travaillant et priant sous un costume de leur choix. Cela se pourrait-il donc sans renverser les principes de la liberté individuelle, de la liberté des cultes, ces fondements de notre charte? On voit que notre question préalable mène loin.

Quels furent les Jésuites et quels sont-ils ? mais aussi quelle est notre position et que sommes-nous ? Là est la question. Pour la traiter dans son ampleur, rien que pour dire ce que les Jésuites ont été, il faudrait un livre, mais nous réduirons le sujet aux proportions de quelques articles de journal. Nous dirons ce que les Jésuites ont été, ce qu'ils doivent être dans notre pays, eux, comme les autres congrégations religieuses, sous l'empire de la charte, sous un gouvernement de liberté et de responsabilité (1).

(1) Globe, 4 octobre 1843.

CHAPITRE II.

Il n'est pas probable que MM. Quinet et Michelet n'aient pas dit des Jésuites tout le mal qu'il y avait à en dire. Rien pour le fond n'a été omis dans leur livre; rien n'y a manqué pour la mise en scène et pour la passion. S'il en résultait péremptoirement que les Jésuites fussent dangereux pour l'époque où ils ont été proscrits, ce qui n'est rien moins qu'établi, il faudrait encore prouver, pour maintenir leur bannissement, qu'ils sont dangereux pour la nôtre; puis, le péril étant prouvé, oser prononcer que la perpétuité de la proscription est conciliable avec la liberté individuelle et la liberté des cultes, qui sont le fondement de nos institutions. Il faudrait oser prononcer spécialement que l'exclusion des Jésuites de l'enseignement est compatible avec la liberté dont on parle de doter l'instruction publique.

Voyons maintenant les accusations des adversaires des Jésuites; voyons l'origine de l'Ordre, son esprit et son but. Au moment où Rome est attaquée, dans Rome même, par les livres de Luther et les armes de Frondsberg, il lui vient d'Espagne un vaillant soldat qui se voue à la servir, un homme d'enthousiasme et de ruse : .concilie qui pourra la ruse et l'enthousiasme, voilà comme parle M. Michelet. Dans le dogme que fera la Compagnie de Jésus, «elle soutiendra, contre les protestants qui exagéraient l'influence divine, que l'homme

est libre (1)! » Tels sont ceux qu'on accuse d'en vouloir radicalement à la liberté humaine.

La liberté humaine est posée, par eux, d'un côté en principe; de l'autre, l'obéissance est imposée aux disciples, comme première et suprême règle. Le disciple dans la main du maître sera comme un bâton dans la main d'un vieil homme, ut senis baculus; le disciple se laissera pousser à droite, pousser à gauche, comme un cadavre : perinde ac cadaver. C'est la grande accusation de M. Michelet, comme si l'obéissance à la règle n'était pas le fondement nécessaire de tout Ordre religieux; comme si les Jésuites n'avaient pas dû la supériorité de leur action morale à la supériorité de leur abnégation; comme si l'obéissance étant une vertu nécessaire, dans toute règle, le moins d'obéissance possible pouvait être un mérite; comme si le suprême degré de l'obéissance n'était pas la suprême perfection! Connaissons mieux encore le fondateur de l'Ordre des Jésuites; écoutons M. Quinet: Ne vous étonnez pas si cet homme a été puissant, s'il l'est encore, s'il marque ses conquêtes d'un sceau indestructible; il exerce tout à la fois la puissance qui naissait de l'extase au xii* siècle, et l'autorité qui s'appuie sur la pratique consommée du monde moderne. Jusque-là, où est le mal? Cet homme d'ancienne famille, qui a été beau et a manié l'épée, va en Italie et à la Terre-Sainte, pieds nus. Il a hésité entre la vie d'ermite et le zèle des ames; le zèle des ames l'emporte. Vous l'en accusez! Etait-ce donc si mal comprendre le xvIe siècle? Dans la croisade

(1) Michelet, des Jésuites, pag. 44.

« السابقةمتابعة »