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douleur; la pudeur n'est que convention, et il faudrait ramener les hommes à l'état de nature. » Le tour était entremêlé d'expressions et de tableaux cyniques, que Mme d'Epinay ne peut s'empêcher de blâmer, quoique médiocrement scrupuleuse. Dans le second entretien, les principaux acteurs étaient Duclos, Rousseau et Saint-Lambert. Ces messieurs tournèrent en ridicule les cérémonies chrétiennes. Mile Quinault dit que, en matière de religion, il fallait que chacun demeurat dans celle où il était né. Non, reprit Rousseau avec chaleur, si elle est mauvaise; car alors elle ne peut faire que beaucoup de mal. Je m'avisai de dire que la religion faisait souvent aussi beaucoup de bien, qu'elle était un frein pour le menu peuple qui n'avait pas d'autre morale. Tout le monde se récria à la fois, et m'écrasa de raisonnements qui me parurent en effet meilleurs que le mien. Saint-Lanıbert dit que c'était l'affaire du code civil et criminel de régler les mœurs, et non celle de la religion, qui faisait bien restituer un écu à Pâques à une servante, mais qui n'avait jamais fait restituer des millions mal acquis, une province usurpée, ni réparer une calomnie. Les valets étant sortis et la porte fermée, Saint-Lambert et Duclos s'évertuèrent à tel point, que je craignis qu'ils ne voulussent détruire toute religion, et que je demandai grâce pour la religion naturelle. « Pas plus que pour d'autres, dit

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PHILOSOPHES.

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Saint-Lambert. Mais parlez donc, marquis, reprit Mile A sa réQuinault; est-ce que vous seriez athée ? » ponse, Rousseau se fâcha et murmura entre ses dents; on l'en plaisanta. » « Si c'est une lâcheté, dit-il, que de souffrir qu'on dise du mal de son ami absent, de souffrir qu'on dise du mal de son Dieu, crime que qui est présent; et moi, messieurs, je crois en Dieu.» - « Cette notion, repartit Saint-Lambert, est, comme beaucoup d'autres, très-utile dans quelques grandes têtes; elle n'y peut produire que l'héroïsme; mais c'est « Messieurs, s'écria le germe de toutes les folies. »> Rousseau, je sors si vous dites un mot de plus. » En effet, il s'était levé, et sérieusement il voulait fuir (1). »

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Voilà donc quelles étaient la doctrine et la morale de ces précepteurs du genre humain. Saint-Lambert s'est assez affiché par les Principes des mœurs, ou Catéchisme universel, qui respirent l'immoralité et le matérialisme dans toute leur turpitude. Mais Duclos, à qui l'on avait supposé plus de retenue, est loin de se montrer aussi estimable par ses principes, qu'il l'est dans ses Mémoires par son caractère et sa conduite. Rousseau finit, à la vérité, cette conversation par un trait de courage; mais on remarquera sans doute qu'il contredit ici les principes qu'il soutint depuis, qu'il ne faut point chan

(1) Ami de la Religion, tom. XXI, pag. 99.

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ger de religion. Dans une conversation avec Mme d'Epinay, quelques jours après, il ne parle plus de l'existence de Dieu que comme d'une illusion utile. La révélation est, à son gré, une de ces inconséquences qui peuvent faire du bien.

Telle était la fixité des principes de cet homme qui reprochait a d'autres leurs inconséquences (I).

D'Alembert faisait remarquer à Voltaire combien la raison gagnait du terrain, puisqu'un prêtre, l'abbé Morellet, ou Mords-les, combattait dans leurs rangs, et, comme il faut encourager les gens de bien, • il demandait un mot d'honnêteté pour cet honnête ecelésiastique (2). Morellet fut admis à l'Encyclopédie, et il donna, entre autres articles, ceux de Figures, Fils de Dieu, Fatalité, etc. « Il faisait la théologie chrétienne historiquement, dit-il, pensant que c'était le ton dont il fallait exposer les opinions religieuses dans un ouvrage destiné aux nations et aux siècles, pour lesquels un grand nombre de ces opinions seraient passées lorsque l'Encyclopédie subsisterait encore (3). » Pauvre homme quelle idée il nous donne là de sa prévoyance! Mort en 1819, à l'âge de 29 ans, il a vécu assez pour

(1) Ami de la Reiigion, loc. cit., pag. 100, art. de M. de Bonlogne.

(2) OEuvres de d'Alembert, tom. XV, pag. 187 (27 janvier 1762). (3) Mémoires, tom. I, pag. 39.

voir l'Encyclopédie tomber de plus en plus dans l'oubli, la religion se relever après une guerre terrible, et sortir des ruines et du sang, dans lesquels on croyait l'avoir abattue pour toujours.

Morellet s'efforce dans ses Mémoires, de peindre en beau la société du baron d'Holbach. Là se rassemblaient Diderot, Helvétius, Barthès, Venelle, Rouelle, Roux, Darcet, Duclos, Saurin, Raynal, Suard, Marmontel, Saint-Lambert, La Condamine, Chastellux, Naigeon, etc. Le baron donnait régulièrement deux dîners par semaine, le dimanche et le jeudi. « Il n'y a point de hardiesse politique et religieuse qui ne fût mise là en avant; c'est là que Diderot, Roux et le baron luimême établissaient dogmatiquement l'athéisme absolu, celui du Systême de la nature; mais nous étions là bon nombre de théistes qui nous défendions vigoureusement (1). » Cet aveu de Morellet est confirmé par les détails qu'il donne sur plusieurs des conversations qui sc tenaient chez le baron d'Holbach. D'autres Mémoires du temps ne permettent pas de douter de l'esprit et de la liberté des opinions qui régnaient dans cette Société. Aussi a-t-on lieu d'être surpris que Marmontel ait pu dire de ce même cercle: « Il est des objets révérés et inviolables qui jamais n'y étaient sou

(1) Mémoires, tom. L, pag. 139,

mis aux débats des opinions; Dieu, la vertu, les saintes lois de la morale naturelle n'y furent jamais mis en doute, du moins en ma présence; c'est ce que je puis attester (1).» Fiez-vous après cela, aux attestations de ces messieurs. L'un vous dit qu'il est des objets révérés et inviolables qui jamais n'y étaient soumis aux débats des opinions; et l'autre, qu'il n'y a point de hardiesse politique et religieuse qui ne fût mise là en avant. Morellet rapporte quelques plaidoyers de l'abbé Galiani contre l'athéisme, et des plaisanteries sur cette matière, ce qui prouve bien qu'on s'en occupait

souvent.

Morellet fait aussi un mérite à ses amis de leur discrétion à l'égard du baron d'Holbach, qu'ils savaient être l'auteur du Systême de la nature, de la Politique naturelle, du Christianisme dévoilé, et l'éditeur des ouvrages de Boulanger et de la plupart des ouvrages imprimés chez MM. Rey, à Amsterdam. Cette philosophie, dit-il, nous semblait alors fort innocente; aucun des philosophes n'était capable d'entrer dans une conspiration, ni dans le moindre projet de troubler le gouvernement et la paix publique; aucun d'eux n'eût suscité une persécution religieuse, ni insulté à un moine ou

(1) Mémoires, édit. de 1804, en 4 vol. in-12, tom. II, pag. 312.

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