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il nous sera trop aisé de montrer combien peu elle fut à l'abri de tout reproche sérieux. La plupart des philosophes du xvin® siècle ont été esclaves de ces passions d'ignominie auxquelles, selon saint Paul, Dieu avait livré les sages de l'antiquité. Diderot écrivait d'un de ses amis : « Suard est à tant de femmes qu'il ne songe guère à Mme de (1). Il avait eu l'indiscrétion de m'envoyer sous une enveloppe volante un livre anglais rempli de figures infâmes. J'ai tâché de lui faire comprendre les suites possibles de son action, la corruption de ma fille, et mon éternelle haine. Voilà nos gens qui portent dans leurs poches la toise dont ils mesurent si strictement les ouvrages et les procédés; et voilà un d'entre eux qui s'expose à faire sécher son ami de douleur, et qui fait ce qu'un freluquet de quinze ans, qui aurait eu à envoyer un pareil ouvrage rue Froidmanteau, à une catin, n'aurait pas fait par respect pour lui-même (2). » Diderot s'inquiète ici pour la moralité de sa fille, mais il n'était pas le moins da monde sévère sur le point d'honneur de la femme. Il y a dans le volume que nous citons, et tout près de ees mêmes pages, une ardente exhortation pour apprendre aux femmes à se montrer faciles (3), et le digne mora

(1) Mémoires, corresp. et ouv. inéd. de Diderot, tom. II, p. 403. (2.) Ibid., pag. 433.

(3) Ibid., pag. 218.

liste expose ses théories avec un cynisme qui semble à peine se douter de ce qu'il est réellement.

Très-jeune encore, Diderot avait entraîné une malheureuse créature dans une vie qui ne lui laissait d'autre ressource que le libertinage (†). Plus tard, il eut pour une dame de Puisieux une passion qui dura dix ans (2).

Plus tard encore, il se prit d'amour pour Mile Voland, fille d'un financier, et cette nouvelle passion dura jusqu'à la mort de l'un et de l'autre (3), l'espace de vingt ans (4). Après tous ces détails qui sont tombés de la main d'une fille de Diderot, n'est-il pas aussi étrange que douloureux d'entendre cette femme nous disant sans sourciller: « Les mœurs de mon père ont toujours été bonnes; il n'a de sa vie aimé les femmes de spectacle ni les filles publiques. Il fut quelque temps amoureux de la Lionnais, danseuse de l'Opera (5). »

Mais on ne doit pas s'étonner beaucoup d'un pareil langage. Notre philosophe ne croyait pas plus en Dieu qu'à la vie future, et la postérité était pour lui l'autre

(1) Mémoires, corresp. et ouvr. inédits, tom. I, p. 13 de la notice par Mme de Vandeul, fille de l'auteur.

(2) Ibid., pag. 24; et Mémoires de Mme Roland, tom. I, pag. 115, édit. de J. Ravenel.

(3) Diderot, Ibid., pag. 35.

(4) Ibid., pag. 61.

(5) Ibid., pag. 63.

monde de l'homme religieux (1). Diderot élevait sa fille dans les tristes principes qu'il professait. Un jour, il s'extasiait sur ce que la pauvre fille avait appris déjà à ne point eroire au dogme de la spiritualité de l'ame, et il écrivait à Mlle Voland : « Oh! le beau chemin que cette enfant-là a fait toute seule ! Je m'avisai, il y a quelques jours, de lui demander ce que c'était que l'ame. L'ame, me répondit-elle; mais on fait de l'ame quand on fait de la chair (2).

D

Il disait à ses amis, la veille de sa mort: Le premier pas vers la philosophie, c'est l'incredulité (3). Nous trouvons dans ses écrits une autre maxime aussi sauvage que celle-là : « Un peuple qui eroit que c'est la croyance d'un Dieu, et non pas les bonnes lois qui font les honnêtes gens, ne me paraît guère avancé (4).

Le 7 janvier 1774, Frédéric de Prusse écrivait à d'Alembert, au sujet de ce philosophe : « On dit qu'à Pétersbourg on trouve Diderot raisonneur ennuyeux. Il rabâche sans cesse les mêmes choses. Ce que je sais, c'est que je ne saurais soutenir la lecture de ses livres, tout intrépide lecteur que je suis. Hy règne un ton suffisant et une arrogance qui révolte l'instinct de ma

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liberté. >> • C'était un feu sans aliment, dit un écrivain moderne que la philosophie ne compte pas pour ennemi. Il erra dans le vague, en y faisant briller quelques éclairs. Un caractère tel que le sien perdit tout, en adoptant la philosophie, à laquelle il s'attacha. I! écrivit sur la morale, et, tout en faisant voir qu'il était capable de chaleur et d'élévation, il fit un mélange obsour et incohérent de ce style animé avec une philosophie analytique et destructive. Ses romans présentent aussi le burlesque assemblage de je ne sais quel amour de la vertu avec le plus honteux cynisme, et d'une chaleur quelquefois vraie et profonde avec des paroles grossières et ignobles. Au total, Diderot fut un écrivain funeste à la littérature comme à la morale; il devint le modèle de ces hommes froids et vides, qui apprirent, à son école, comment on pouvait se battre les flancs pour se donner de la verve dans les mots, sans avoir un foyer intérieur de pensée et de sentiments (2). »

La plus grande partie des lettres qui forment la Correspondance de l'abbé Galiani est adressée à Me d'Epinay. connue par les Confessions de Jean-Jacques. Mme d'Epinay était liée avec toute l'école philosophique, et on ne nous a pas laissé ignorer la nature de ses rapports avec Grimm, qui était aussi l'ami de Galiani. Cet abbé

(1) De Barante, Dc la Littérature française.

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PHILOSOPHES.

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fréquentait assidument à Paris la maison de Mme d'Epinay, celle de Mme Geoffrin, celle du baron d'Holbach, celle d'Helvétius, celle de M Lespinasse, c'est-à-dire les maisons où l'on faisait le plus ouvertement profession de doctrines irréligieuses. Il y connut Diderot, Raynal, Thomas, Turgot, le chevalier de Chastellux, d'Alembert, d'Alainville, Marmontel, Suard, le chevalier de Magallon, l'abbé Morellet; et parmi les étrangers, le baron de Schromberg, le baron de Gleichen, le comte de Creutz, Gatti, etc. Tels sont les amis que Galiani nomme le plus volontiers dans sa Correspondan ce (1), et il ne permet pas de douter qu'il ne partageât leurs opinions sur les points les plus importants. Dans plusieurs de ses lettres, il désigne cette coterie par des noms fort significatifs. Il l'appelle pusillus grex electorum (2), ou bien ecclesia quæ est Parisiis (3). faut, dit-il, montrer cette lettre qu'à un petit nombre d'élus, de ces amis communs et choisis de la grande Boulangerie, tels que les Suard, les Marmontel et autres gens de calibre (4). » Les amis de la grande Bou

. Il ne

(1) Correspondance inédite de l'abbé Ferdinand Galiani, etc., avec notice par Ginguené et notes par Salfi; Paris, 1818, 2 vol. in-8°.

(2) Galiani, tom. 1, pag. 48.

(3) Ibid., pag. 129.

(4) Ibid., pag. 96 (26 mai 1770).

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