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Entrons plus avant dans la question pour la préciser davantage.

La condamnation ne pouvait tomber que sur les règles des Jésuites, ou sur leurs mœurs et leur conduite, ou sur l'enseignement de leurs écrivains et de leurs écoles. Les Parlements de France voulaient que l'on condamnât leur Institut et leur fidélité à des Constitutions funestes; la Péninsule, au contraire, voulait que, respectant leurs Règles, on les punît comme infidèles à de saintes lois rédigées par un saint et sanctionnées par l'Eglise. Sur le premier chef, les magistrats du royaume très-chrétien furent déboutés de leur inique et insultante demande; le Juge suprême, au lieu de maudire l'Institut d'Ignace, rappela tout ce que ses prédécesseurs avaient exercé de libéralité et de magnificence envers la Compagnie de Jésus (1). Aussi les évêques refusèrent-ils, d'après les principes mêmes du gallicisme, de recevoir le Bref, et n'a-t-il jamais été publié en France.

L'Espagne et le Portugal le reçurent avec plaisir. Quand il arriva, tous les canons de Lisbonne tirèrent à la fois, comme à la nouvelle d'une grande victoire. Avignon, Bénévent et Ponte-Corvo furent rendus dans l'année même. Mais un peu de calme et de réflexion

(1) Bullarii romani Continuatio, tom. IV, pag. 611.

fit voir que le triomphe était illusoire, puisque sur les deux autres chefs d'accusation rien n'avait été défini.

Et, en effet, le Bref dit qu'on impute bien des choses à la Compagnie de Jésus, spécialement d'être trop avide des biens de la terre (1): voilà la phrase la plus forte; mais il ne dit pas si c'est à raison ou à tort qu'on le lui impute.

De même par rapport à l'enseignement, il n'y a pas d'autre proposition défavorable que celle-ci : « L'univers fut de plus en plus rempli des disputes les plus facheuses, à l'occasion de la doctrine que plusieurs déférèrent comme opposée à la foi orthodoxe et aux bonnes mœurs (2). » Mais ici encore rien n'est statué sur la vérité de l'imputation.

Cependant, si la doctrine générale de l'Ordre était mauvaise, il était du devoir de Clément XIV de la flétrir solennellement. Comment aurait-il oublié de le faire, lorsque l'Eglise gémissait sur les prédications impies de la philosophie voltairienne; lorsque luimème, trois ans auparavant, le 21 mars 1770, avait écrit à Louis XV que le premier devoir de sa charge

(1) Ce qu'il y a de plaisant dans cette imputation des politiques, dont le Bref n'est que l'écho, c'est que les Souverains qui demandaient la suppression de l'Ordre, le faisaient en partie par convoitise de ses biens, à lui.

(2) Bullarii romani Continuatio, pag. 612.

était de réprimer la licence des mauvais livres avec tout ce qu'il avait de force, de sagesse et d'autorité (1)? La même année, tous les évêques de France, assemblés à Paris, réunissaient leurs voix pour pousser un cri de terreur capable d'éveiller le monarque qui s'était endormi au sein de la volupté, tandis qu'une presse impie compromettait à la fois la sûreté de l'Etat et de l'Eglise. Ces mêmes prélats, neuf ans auparavant, le 30 décembre 1762, avaient solennellement déclaré qu'il n'y avait rien à réformer dans l'enseignement des Jésuites. L'assemblée de 1770 voulut donner des témoignages de satisfaction aux écrivains qui avaient bien mérité de la religion en publiant des livres pour la défendre, et le nom du P. Berthier, ex-Jésuite, fut le premier qui se présenta (2).

Ce silence, si la doctrine des Jésuites était pernicieuse, serait d'autant plus inconcevable, que l'Eglise semble approuver des livres alors condamnés par les Parlements. Ainsi, au moment même où Paris voyait la Théologie morale de Busembaum flétrie par ces magistrats et brûlée par la main du bourreau, un évêque, un saint, un docteur renommé, Alphonse Liguori, la

(1) Bullarii romani Continuatio, tom. IV, pag. 150.-Voyez Picot, Mémoires, tom. II, pag. 551.

(2) Collection des procès-verbaux des Assemblées générales du Clergé de France, tom. VIII, 2o part., pag. 1820 et 1821.

commentait dans une théologie célèbre, dédiée à Benoît XIV, reconnue ensuite par Pie VII comme ne présentant rien qui fût digne de censure.

Qu'on lise le Bref qui supprima les Jésuites sans les condamner, qui les affligea sans les punir: on n'y trouvera pas une seule proposition qui confirme positivement les dépositions de leurs accusateurs (1). L'unique motif que le Pape s'attache à développer, c'est la paix de l'Eglise. Mais ce n'est pas à dire qu'il regarde comme turbulente cette Société que sa main frappe à regret, car il reconnaît qu'elle est instituée pour une fin louable et gouvernée par des lois trèssaintes. Si donc il jugea l'existence de la Compagnie incompatible avec la paix de l'Eglise, c'était à cause de la violence et du déchaînement des Cours. Le voyageur qui se voit assailli par des brigands, juge la conservation de son argent incompatible avec celle de sa vie, et s'empresse de donner sa bourse; y aura-t-il quelqu'un d'assez inepte pour en conclure que cet homme regarde l'argent comme inutile ou pernicieux à la vie (2)?.

Louis XV lisant le Bref enfin rédigé, s'écria, dit-on: Il a volé mes Parlements (3). C'était une allusion au

(1) Cette analyse du Bref est empruntée au P. Cahour. Voyez son livre des Jésuites, 2o part., pag. 277-284.

(2) Rozaven, la Vérité, etc., pag. 247.

(3) Lettres d'un Anglais sur la Vie de Clément XIV par M. Caracciolli, XI lettre, pag. 125 (Paris, 1776).

Mémoire dans lequel les magistrats de Paris avaient dit : « L'Institut des Jésuites est qualifié de pieux et approuvé par le Saint-Siege apostolique, dans une énonciation incidente qui en est faite (1), à l'occasion d'une disposition de discipline concernant les autres Ordres religieux, de laquelle les Jésuites sont exceptés dans cet endroit. Du reste, aucune exhibition au concile de Trente, aucun examen du corps des Constitutions des Jésuites. Cependant, cette épithète de pieux, employée, pour ainsi dire, narrativement et relativement à l'approbation non du concile, mais du Saint-Siége (juxta pium eorum institutum a sancta Sede approbatum) est, suivant les Jésuites, un jugement solennel, une décision du concile, qui autorise et consacre leur Institut. » Le Parlement concluait de ce raisonnement, que se servir de ce texte en l'honneur de l'Institut, c'était faire un « abus grossier d'un mot captieusement interprété dans un sens que la bonne foi ne pouvait admettre (2). Le Pape, on le comprend bien, ne fut pas tenté de voler aux jurisconsultes cette étrange déduction; mais, en avouant avec eux que le concile de Trente n'avait

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(1) Concil. Trident. sess. XXV, cap. 46, de Regular.

(2) Recueil par ordre de dates de tous les arrêts du Parlement de Paris, tom. IV., an. 1764. Remontrance du Parlement, etc., à l'occasion de l'Instruction pastorale de Mgr l'Archevêque de Paris, du 28 oct. 1763, pag. 24, note 1.

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