صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

L'abbé Georgel n'est pas moins précis sur cette ligue des Cours, etsi nous n'adoptons pas tout ce qu'il rapporte à cet égard, nous pouvons du moins employer son témoignage, quand nous le trouvons conforme aux autres monuments historiques de l'époque. Charles III, toujours agité des frayeurs que lui avaient inspirées le marquis de Montalègre, le comte d'Aranda, Campomanez et Moniño, car ce sont là ceux que Georgel cite comme ayant eu le plus de part en Espagne à la destruction des Jésuites, écrivit au roi de France et à celui de Portugal pour les presser de se réunir à lui, afin d'obliger le Pape à supprimer la Société de Jésus(1). La cour de Lisbonne ne demandait pas mieux. Louis XV fut plus difficile à gagner, mais les instances de Charles III et les insinuations de Choiseul arrachèrent enfin son consentement, et l'ambassadeur de France eut ordre de s'unir à ceux de Madrid et de Lisbonne pour demander la suppression. Les démarches commencèrent sous Clément XIII, et devinrent bien plus actives sous Clément XIV. Le roi d'Espagne désira que le cardinal de Bernis continuât de rester à Rome, afin de presser l'exécution de la mesure. Le cardinal eut besoin de toute son adresse, pour réussir. Il ne donnait pas

(1) Georgel, Mémoires pour servir à l'histoire des évènements de la fin du XVIe siècle, tom. I, pag. 108 et suiv.

de relâche au Pape, et savait même l'effrayer, s'il en était besoin. I obtint de lui, à force d'instance, une lettre pour Charles III. Le Saint-Père tomba, cette fois, dans le piége qu'on lui tendait. Pour échapper à un mal présent, il greva son avenir d'un obstacle invincible (1). Réduit aux abois, empressé de calmer le roi d'Espagne, il donna à ses promesses un caractère positif et irrévocable, et, ce qui était plus grave encore, il inculpa les Jésuites pour les sauver. Les paroles qui lui échappèrent dans cette douloureuse situation, sont une concession aux colères de son redouté correspondant. Mais lorsque Clément XIV se prononça officiellement devant le monde catholique, dans le Bref même d'abolition, il s'abstint de produire contre la Compagnie supprimée l'incrimination par laquelle il s'était vainement flatté d'adoucir, en les caressant, les rancunes de Charles III. Pas un grief formel ne fut articulé dans le Bref de suppression.

Au reste, en mettant en avant la banale accusation qu'on a si souvent infligée à l'Ordre des Jésuites, Bernis disait dans une dépèche du 29 avril 1770 (2): Cette lettre que je lui ai fait écrire au roi Catholique le lie d'une manière si forte, que le Pape est forcé,

(1) Saint-Priest, pag. 131.

(2) Ibid.

malgré lui, d'achever l'ouvrage. Sa Sainteté est trop éclairée pour ne pas sentir que si le roi d'Espagne faisait imprimer la lettre qu'elle lui a écrite, elle serait déshonorée..... On croit communément que le Pape est très-fin et très-habile; s'il avait été fin et habile, il ne se serait pas engagé par écrit à détruire les Jésuites; il aurait évité de peindre ces Religieux, dans sa lettre au roi d'Espagne, comme ambitieux, brouillons et dangereux. Quelle avait été l'intention du Pape, en se liant par écrit ? la correspondance du cardinal de Bernis est formelle; c'était de calmer l'impatience des Cours, de se procurer de la tranquillité et de gagner du temps.

Pendant toutes les négociations, on avait effrayé Ganganelli non pas sur sa politique, mais sur sa vie. L'infamie du moyen passe toute idée. Il n'est pas besoin de dire que c'étaient les Jésuites qui payaient les frais de la calomnie. Les terreurs suggérées à Clément XIV eurent un plein succès. Sa gaîté disparut, sa santé s'altéra; les traces d'une inquiétude profonde s'imprimèrent sur son visage. Il chercha la solitude; il veilla à ce que les mets de sa table fussent préparés par le vieux moine, frère Francesco, son compagnon d'enfance, qui ne l'avait pas quitté depuis son avènement (1). Ainsi, l'aimable et léger Choiseul va ache

(1) Saint-Priest, pag. 123.

ver d'écraser les Jésuites sous l'abominable supposition que la Compagnie veut empoisonner le Souverain Pontife. L'historien de la Chute des Jésuites s'efforce, de son côté, de cacher ce fond hideux sous les fleurs d'une délicate broderie.

Aux difficultés de tout genre, aux obsessions insidieuses, vinrent s'ajouter les violences et les brutalités.

Tanucci, ministre du roi de Naples, et ennemi personnel du Pape, signala sa haine contre Clément XIV par de nombreuses insultes. Un jour, à l'improviste, il ordonna d'enlever les marbres qui, depuis plus d'un siècle, décoraient ce magnifique et silencieux palais Farnèse. Le grand-duc de Toscane imita cet exemple, et fit dépouiller la villa Medici. L'irritation des Romains fut à son comble, lorsqu'ils virent l'Hercule et le Taureau Farnèse s'acheminer vers Naples, et la famille de Niobé prendre le chemin de Florence. Clément XIV fut accusé sa volontaire pauvreté, qui autrefois l'avait rendu populaire, lui était imputée à crime, comme une honteuse avarice. L'historien de la Chute des Jésuites ne peut s'empêcher de déplorer la triste condition de ce Pontife doux et humain, dit-il, que Dieu n'avait pas créé pour de si rudes tempêtes (1).

Un évènement inattendu ranima pour un moment les

(1) Saint-Priest, pag. 137, 139.

espérances des Jésuites : le duc de Choiseul était tombé du pouvoir (25 décembre 1770).

Chose digne d'être remarquée, a dit un grave magistrat! Le duc de Choiseul tomba percé des traits mêmes qu'il avait lancés contre une Société ennemie. On assure que, par une rouerie bien digne de l'époque, Maupeou aurait mis sous les yeux de Louis XV des billets sans date, écrits par le Duc au temps de l'affaire des Jésuites, pour exhorter le Parlement à ne pas fléchir, affirmant que le roi soutiendrait la Compagnie de tout son pouvoir. Il ne fut pas difficile à la favorite de faire accroire au monarque que ces billets s'appliquaient à la crise parlementaire, et que le premier ministre poussait le Parlement à la révolte (1).

Un Mémoire fut présenté à Louis XV, au nom des Jésuites. La Compagnie s'exprimait en termes très respectueux pour le roi. Elle représentait le Saint-Père entouré d'une cabale et entièrement subjugué par ses prestiges. Etait-ce trop dire? la conduite du successeur de Choiseul, le duc d'Aiguillon, est inexplicable. Il commence par donner aux Jésuites l'espoir de leur réhabilitation, et presque aussitôt il se tourne contre eux avec une inqualifiable déloyauté, en trahissant le cardinal de Bernis. Il commet la double félonie de

(1) Th. Foisset, le Président de Brosses, etc., pag. 302.

« السابقةمتابعة »