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contribuer à fortifier dans l'esprit de Charles III cette défiance que l'on venait de faire naître en lui contre la Compagnie. « Le roi et son ministre d'Aranda n'admirent à leur confidence que don Manuel de Roda. Quant à Moniño et à Campomanès, magistrats trèsinfluents, d'Aranda communiquait avec eux par des moyens singuliers et presque romanesques; tous deux se rendaient séparément, à l'insu l'un de l'autre, dans un lieu écarté, une espèce de masure. Là, ils travaillaient seuls et ne communiquaient ensuite qu'avec le premier ministre..... Jamais les mémoires relatifs aux Jésuites n'ont passé par les bureaux de son ministère. Lui-même portait les diverses expéditions au roi, et n'admettait en tiers ni Moniño ni Campomanès (1). »

Charles III fit en sorte de dérober même à l'avenir la connaissance du grief qu'il tenait caché dans le plus

qui voulait faire graver sur le frontispice de tous les temples et réunir dans le même écusson les noms de Luther, de Calvin, de Mahomet, de Guillaume Pen et de Jésus-Christ; c'est lui qui voulait faire publier depuis les frontières de la Navarre jusqu'aux extrémités du détroit de Cadix, que les noms Torquemada, Ferdinand, Isabelle, seraient comptés à l'avenir au rang des blasphèmes; c'est lui qui voulait faire vendre la garde-robe des Saints, le mobilier des Vierges, et convertir les croix, les chandeliers, les patènes, etc., en ponts, en auberges et en grands chemins.» Le Mis de Langle, Voyage en Espagne, tom. I, pag. 127.

(1) Saint-Priest, pag. 61 el 62.

profond de son ame. En 1815, lorsque les Jésuites furent rétablis en Espagne, une enquête se fit, par ordre royal, sur les causes qui avaient pu déterminer l'expulsion de 1767. On trouva bien aux archives de l'Etat les procès-verbaux des délibérations du conseil au sujet des moyens à suivre pour l'exécution du projet de bannissement; mais la pièce principale, la pièce dans laquelle devait se trouver consigné le motif de cette mesure, on la chercha vainement (1).

Or, s'il s'était agi d'une simple participation de quelques Jésuites à une émeute, pourquoi ne pas leur appliquer les règles ordinaires de la justice? Pourquoi se cacher et des évêques du royaume, et du pape, et des tribunaux séculiers, et des princes étrangers, et des ministres espagnols eux-mêmes, moins un, qui partage avec le roi la connaissance d'un secret infâme? Pourquoi ériger en crime de lèse-majesté la moindre allusion à ce sujet? Pourquoi abolir le document juridique qui aurait justifié les rigueurs d'un roi pieux contre des Religieux respectés, et exposer la mémoire de ce prince au reproche d'injustice. plutôt que de faire connaître à la postérité le motif de sa détermination? Cette conduite serait incompréhensible, si le roi n'avait nourri en son ame une blessure

(1) Lamache, Réponse à M. de Saint-Priest, pag. 151.

profonde, mais dont la divulgation eût été souverainement préjudiciable à son honneur, à son autorité, à sa race (1).

En 1822, un prêtre qui avait subi la déportation, et qui vit à Césène le P. Casseda, Jésuite espagnol, auteur de quelques écrits, racontait, sur la foi de ce Religieux, un fait assez singulier, que d'autres autorités ne permettent pas de rejeter, du moins dans sa teneur générale.

Quelque temps après l'expulsion des Jésuites d'Espagne, un Grand de ce royaume voyageant en Italie, passa par Forli, qui n'est qu'à quelques lieues de Césène, et vit le Supérieur du premier couvent des Jésuites de Madrid, lequel demeurait là. Leur entretien fut long; le Grand d'Espagne demanda, entre autres choses, au Jésuite, s'il savait la cause des mesures prises dans ce royaume contre la Société.

Nous l'avons toujours ignorée, dit le Père. Eh! bien, je vais vous l'apprendre, repartit le seigneur espagnol. Vous rappelez-vous qu'un jour, pendant que vous étiez à table avec votre communauté, on vous apporta vos lettres de la poste, et que vous remîtes la clef de votre chambre au Frère, en lui faisant signe d'aller déposer les lettres sur votre bureau; qu'un ins

(1) Lamache, pag. 152,

tant après arriva un officier de la part du roi, avec ordre de visiter vos papiers, et que vous lui remites avec sécurité la clef de votre chambre, pour faire ces recherches?

Le Jésuite se rappela, en effet, ces circonstances. Eh bien, reprit le voyageur, parmi les lettres de cet ordinaire, il y en avait une au timbre de Rome, qui paraissait vous être adressée par votre général Ricci, dont on avait contrefait la signature. Cette lettre fut portée au roi toute cachetée, et il y était dit, en substance, qu'il courait à Rome des bruits très-fondés sur l'illégitimité du roi d'Espagne; que vraisemblablement il y aurait dans ce pays une révolution à laquelle la cour de Rome prendrait une part active, pour faire passer la couronne sur la tête de l'héritier légitime; qu'il devait avoir soin, lui Recteur, de préparer les esprits de ses Religieux pour cet évènement, et d'en avertir les supérieurs des autres maisons.

Vous voyez bien où tendait cette lettre; c'était une imposture imaginée par vos ennemis pour vous perdre. Charles III, blessé pas l'endroit le plus sensible, donna dans le piége; il fut embarrassé et hésita longtemps. Il consulta secrètement, afin de savoir si un souverain, pour des raisons qu'il ne saurait mettre au jour, et qu'il garde dans son cœur royal, peut en conscience bannir de ses Etats un Ordre religieux. Les

théologiens furent pour la négative, mais les courtisans et les conseillers répondirent affirmativement: c'étaient peut-être les mêmes qui avaient fabriqué la lettre. Voilà la cause de votre expulsion et de la rigueur qui y présida (1).

M. de Saint-Priest rejette cette version comme absurde et jésuitique (2). Il n'y a qu'un malheur en une pareille affaire, c'est que plusieurs historiens entièrement étran gers aux Jésuites et assez haut placés dans l'estime de l'Europe savante pour échapper aux mépris de M. le Comte, Scholl, entre autres (3), Léopold Ranke (4), l'anglais Coxe (5) et Sismondi (6) adoptent cette version comme la plus probable.

Ainsi s'expliquerait la haine subite et obstinée de Charles III pour les Jésuites. On comprendrait alors les précautions multipliées pour cacher une atteinte portée à la dignité personnelle dans l'endroit le plus sensible, et qui pouvait avoir, si elle eût été ébruitée, les plus graves conséquences. On aurait la clef des

(1) Ami de la Religion, tom. XXXII, pag. 159. — D'après M. Crétineau-Joly (loc. cit.), le duc d'Albe avait composé en grande partie la lettre du Général de l'Institut contre le roi d'Espagne.

(2) Histoire de la Chule, etc., pag. 57.

(3) Cours d'Histoire, etc., tom. XXXIX, pag 163.

(4) Histoire de la Papauté pendant les xvio et xvn° siècles, tom. IV, pag. 194.

(5) Paul Lamache, pag. 154 et suiv.

(6) Histoire des Français, tom. XXIX, pag. 370.

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