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mais à se repentir de l'asile accordé à des intrigants (1). » Frédéric rassurait le philosophe contre ses pieuses terreurs. « Vous pouvez, lui disait-il, être sans appréhension pour ma personne; je n'ai rien à craindre des Jésuites; le cordelier Ganganelli leur a rogné les griffes; il vient de leur arracher les dents machelières, et les a mis dans un état où ils ne peuvent ni égratigner, ni mordre, mais bien instruire la jeunesse, de quoi ils sont plus capables que toute la masse des cuculati..... Je ne suis pas cependant le seul qui ait conservé les Jésuites; les Anglais et l'Impératrice de Russie en ont fait autant, et même dans ces trois états Londres fait corps ensemble (2). »

Mais comme les frayeurs continuaient chez d'Alembert, Frédéric lui disait derechef: Vous pouvez être entièrement tranquille sur le sujet des Jésuites, qui ne sont plus Jésuites que chez moi. Ils sont plus nécessaires que vous ne le pensez en France pour l'éducation de la jeunesse, dans un pays où les maîtres sont rares, et où parmi les laïques on aurait bien de la peine à en trouver, surtout dans la Prusse occidentale (3). »

(1) D'Alembert, tom. XVII (10 déc. 1773), pag. 370.

(2) Le roi de Prusse à d'Alembert (7 janv. 1774). Œuvres de d'Alembert, tom. XVII, pag. 378.

(3) Le roi de Prusse à d'Alembert (11 mars 1774). OEuvres de d'▲· lembert, tom. XVII, pag. 385.

D'Alembert, appréhendant l'effet qu'un si mauvais exemple risquerait de produire sur d'autres rois, suppliait Frédéric de le tranquilliser en se débarrassant à tout jamais des Jésuites, et disait au vainqueur de Rosbach: « Ce n'est point pour votre Majesté que je crains le rétablissement des ci-devant soi-disant Jésuites, comme les appelait le feu Parlement de Paris....; mais je crains que d'autres princes que vous, qui ne résisteraient pas de même à toute l'Europe, et qui ont arraché cette ciguë de leur jardin, n'aient un jour la fantaisie de vous emprunter de la graine pour la ressemer chez eux. Je désirerais que votre Majesté fit un édit, pour défendre à jamais dans ses Etats l'exportation de la graine jésuitique, qui ne peut venir à bien que chez vous (1). »

Plus ils avancent, plus les deux correspondants s'animent; plus aussi leurs lettres deviennent curieuses. Frédéric répliquait cette fois, à d'Alembert : « Tant de fiel entre-t-il dans le cœur des vrais sages? diraient les pauvres Jésuites, s'ils apprenaient comme dans vos lettres vous vous exprimez sur leur sujet. Je ne les ai point protégés, tant qu'ils ont été puissants; dans leur malheur, je ne vois en eux que des gens de lettres

(1) D'Alembert au roi de Prusse (25 avril 1774), tom. XVII, pag. 388.

qu'on aurait bien de la peine à remplacer pour l'éducation de la jeunesse. C'est cet objet précieux qui me les rend nécessaires, parce que, de tout le clergé catholique du pays, il n'y a qu'eux qui s'appliquent aux lettres; aussi, n'aura pas de moi un Jésuite qui voudra, étant très intéressé à les conserver (1). D

D'Alembert insistait. Le roi de Prusse lui écrivait, le 28 juillet 1774, et en se pliant, autant que possible, à ses préjugés : « Le support que les hommes se doivent mutuellement achemine à la tolérance. Voilà pourquoi vos ennemis les Jésuites sont tolérés chez moi; ils n'ont point usé du coutelet dans ces provinces où je les protége; ils se sont bornés dans leurs colléges aux humanités qu'ils ont enseignées; serait-ce une raison pour les persécuter? M'accusera-t-on pour n'avoir pas exterminé une société de gens de lettres, parce que quelques individus de cette Compagnie ont commis des attentats à deux cents lieues de mon pays? Les lois établissent la punition des coupables, mais elles condamnent en même temps cet acharnement atroce et aveugle qui confond dans ses vengeances les criminels et les innocents. Accusez-moi de trop de tolérance; je me glorifierai

(1) Le roi de Prusse à d'Alembert (15 mai 1774), tom. XVII, pag. 393.

de ce défaut; il serait à souhaiter qu'on ne pût reprocher que de telles fautes aux Souverains (1). »

Trois ans plus tard, Voltaire, dans une lettre à Frédéric, ayant glissé une infâme saleté contre les Jésuites, Frédéric rappelait à la reconnaissance pour ses maîtres ce vieillard sans pudeur et sans pitié :

• Vous voulez savoir ce que sont devenus les Jésuites chez nous.. .; on ne trouve dans nos contrées aucun catholique lettré, si ce n'est parmi les Jésuites; nous n'avions personne capable de tenir les classes; nous n'avions ni Pères de l'Oratoire ni Piaristes; le reste des moines est d'une ignorance crasse; il fallait donc conserver les Jésuites, ou laisser périr toutes les écoles. Il fallait donc que l'Ordre subsistât, pour fournir des professeurs à mesure qu'il venait à en manquer; et la fondation pouvait fournir la dépense à ces frais. Elle n'aurait pas été suffisante pour payer des professeurs laïques. De plus, c'était à l'Université des Jésuites que se formaient les théologiens destinés à remplir les cures. Si l'Ordre avait été supprimé, l'Université ne subsisterait plus, et l'on aurait été nécessité d'envoyer les Silésiens étudier la théologie en Bohême, ce qui aurait été contraire aux principes fondamentaux du gouvernement.

(1) D'Alembert, tom. XVII, pag. 402.

« Toutes ces raisons valables m'ont fait le paladin de cet Ordre, et j'ai si bien combattu pour lui que je l'ai soutenu, à quelques modifications près, tel qu'il se trouve à présent, sans Général, sans troisième vœu, et décoré d'un nouvel uniforme que le Pape lui a conféré........

« Souvenez-vous, je vous prie, du P. Tournemine, votre nourricier (vous avez sucé chez lui le doux lait des muses), et réconciliez-vous avec un Ordre qui a porté, et qui, le siècle passé, a fourni à la France des hommes du plus grand mérite. Je sais très bien qu'ils ont cabalé et se sont mêlés d'affaires; mais c'est la faute du gouvernement. Pourquoi l'a-t-il souffert ? je ne m'en prends pas au P. Le Tellier, mais à Louis XIV (1). »

Magré une lettre-circulaire adressée aux Jésuites, et par laquelle le Roi leur faisait savoir en quelques mots la réponse de Pie VI, qui conservait leur Institut dans les Etats de S. M., quelques Evêques feignant d'ignorer la volonté du souverain Pontife, avaient fait difficulté de leur donner les Ordres; celui de Breslau était de ce nombre. Là-dessus, le Roi leur adressa à tous, au commencement de janvier 1776, la lettre suivante :

(1) Voltaire, OEuvres, tom. LXX, pag. 398 (11 nov. 1777.)

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