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sance, un souvenir que le temps semblait avoir effacé. Au moment où les législateurs de la France décrétaient cette destruction universelle des Ordres religieux, il avait prononcé le nom des Jésuites; il avait rappelé leurs malheurs oubliés; il avait appris, en quelque sorte, à l'Assemblée nationale qu'il existait encore de ces infortunés qui avaient été sacrifiés, non pas à la liberté, non pas à la raison et à la patrie, mais à l'esprit de parti, mais à la vengeance, mais à des haines implacables (1).» D'après Grégoire, Barnave et Lavie eux-mêmes, la destruction des Jésuites fut donc une veration, une injustice du despotisme.

Grégoire disait encore, hors de la tribune:

• Les Provinciales et les décombres de Port-Royal (2) protesteront à jamais contre une Société à laquelle on ne peut contester d'avoir produit de grands hommes, et rendu de très-grands services, surtout pour l'éducation et les missions; à travers tous les dangers, les Jésuites sont allés porter l'Evangile et planter la croix dans les contrées les plus lointaines; par surcroît de zèle, ils en ont fait connaître les productions et les usages en servant la religion, ils ont encore été utiles aux sciences. Si leur conduite a pu nous fermer le Japon, leur activité nous a ouvert la Chine, et sans eux peut-être n'y aurait-on pas encore pénétré (3). »

(1) Journal de Paris, 1790, no 31, rédigé alors par Garat, Condorcet, Regnauld de Saint-Jean-d'Angély.-Voir le P. Prat, Histoire de la Destruction, etc., pag. 340.

(2) Les décombres doivent être imputés à qui de droit, au gouvernement de Louis XIV, dont on vante si fort l'arbitraire, quand il s'agit de l'affaire de la Régale et des articles de 1682.

(3) Les Ruines de Port-Royal, pag. 161, 2o édit., 1809.

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Nous aurons occasion de rappeler le favorable témoignage que La Harpe, engagé si avant dans les préjugés philosophiques, ne put s'empêcher de rendre aux Jé, suites sur leur habileté pour l'instruction de la jeunesse (1). Il arriva que cette illustre Compagnie à laquelle il avait su rendre justice put, à son tour, lui témoigner une tendre bienveillance, car ce fut chez un ancien Jésuite, mort en 1817, presque nonagénaire, chez l'abbé Synchole d'Espinasse, que La Harpe se retira dans ses dernières années (2).

En 1806, c'est-à-dire à une époque où il n'était guère question de parler en faveur des Jésuites, le comte de Lally-Tolendal, membre de l'Académie française, disait: «Nous croyons pouvoir avouer, dès ce moment, que, dans notre opinion, la destruction des Jésuites fut une affaire de parti et non de justice; que ce fut un triomphe orgueilleux et vindicatif de l'autorité judiciaire sur l'autorité ecclésiastique, nous dirions même sur l'autorité royale, si nous avions le temps de nous expliquer; que les motifs étaient futiles; que la persécution devint barbare; que l'expulsion de plusieurs milliers de sujets hors de leurs maisons et de leur patrie, pour des métaphores communes à tous les instituts monastiques, pour des bouquins ensevelis dans la poussière et faits dans un siècle où tous les casuistes avaient professé la même doctrine, était l'acte le plus arbitraire et le plus tyrannique qu'on puisse exercer; qu'il en résulta généralement le désordre qu'entraîne

(1) Voyez la page 164 de ce volume.

(2) L'Ami de la Religion, tom. XII, pag. 2.

une grande injustice, et qu'en particulier une plaie incurable fut faite à l'instruction publique (1). »

Joseph de Maistre, dans les belles pages qu'il consacre aux missions et aux immenses travaux des Jésuites, fait observer qu'ils avaient élevé tout le siècle de Louis XIV (2); c'est une assez solide gloire, au point de vue de l'éducation.

En 1796, de Bonald disait : « La destruction d'un corps célèbre, chargé de l'enseignement public, a été le fruit d'une manœuvre ténébreuse, dont les fils échappaient à la vue de ceux qu'ils faisaient mouvoir....... Qu'on n'accuse pas l'auteur de prévention; car, outre qu'il n'a pas pu juger ce corps célèbre, il a peut-être eu à se défendre de préjugés contraires de famille et d'éducation (3). »

M. de Châteaubriand termine son Apologie des Ordres religieux par cet hommage à la Compagnie de Jésus: L'Europe savante a fait une perte irréparable dans les Jésuites. L'éducation ne s'est jamais bien relevée depuis leur chute. Ils étaient singulièrement agréables à la jeunesse; leurs manières polies ôtaient à leurs leçons ce ton pédantesque qui rebute l'enfance. Comme la plupart de leurs professeurs étaient des hommes recherchés dans le monde, les jeunes gens ne se croyaient avec eux que dans une illustre Académie. Ils avaient su établir entre leurs écoliers de

(1) Mercure du 25 janvier 1806.- Le P. Prat, Essai historique sur la Destruction des Ordres religieux en France, au xy siècle, pag. 125.-Spectateur français au xıx® siècle, tom.V, pag. 212. (2) Essai sur le Principe générateur des Constitutions humaines. (3) Théorie du Pouvoir politique et religieux.

différentes fortunes une sorte de patronage qui tour nait au profit des sciences; ces liens formés dans l'âge où le cœur s'ouvre aux sentiments généreux, ne se brisaient plus dans la suite, et établissaient entre le prince et l'homme de lettres ces antiques et nobles amitiés qui vivaient entre les Scipion et les Lélius, etc. (1). »

Dans un autre ouvrage, le même écrivain s'exprime ainsi : « Les Jésuites se soutinrent et se perfectionnèrent jusqu'à leur dernier moment. La destruction de cet Ordre a fait un mal irréparable à l'éducation et aux lettres. On en convient aujourd'hui (2). »

En 1806, M. de La Mennais, cet illustre écrivain que le catholicisme pleure, et qu'il ne désespère pas de recueillir un jour dans ses embrassements, publia des Réflexions sur l'état de l'Eglise, en France, pendant le XVIIIe siècle, ouvrage qui fut aussitôt saisi par la police de Napoléon. Après avoir dit de l'Ordre des Jésuites que << son existence tout entière ne fut qu'un grand dévouement à l'humanité et à la religion,» il ajoutait : « Qui les a remplacés dans nos chaires? qui les remplacera dans nos colléges (3)? M. de La Mennais, il est vrai, s'est repenti des magnifiques éloges qu'il avait décernés aux Jésuites, et, dès les premières pages de ses Affaires de Rome, il affirme rondement que « jamais ils n'ont produit un philosophe, un poète, un orateur, un historien, un savant même de premier ordre.. Triste effet des inexplicables contradictions où peut tomber un esprit supérieur, car le même écrivain disait

(1) Génie du Christianisme, liv. VI, chap. 5.

(2) Mélanges.

(3) Pag. 60, édit. de 1819.

dans ses Réflexions sur l'état de l'Eglise: a Ailleurs, nous rencontrons ces Congrégations vénérables qui produisirent les Petau, les Mabillon, les Sirmond, les Montfaucon et tous ces savants Religieux dont les incroyables travaux ont répandu tant de lumière sur les antiquités ecclésiastiques et profanes, et sur les premiers temps de notre histoire (1). » La palme de la science est ici déférée, moitié aux Bénédictins, moitié aux Jésuites, qui n'ont pas produit un savant de premier ordre! Nous avons rapproché l'un de l'autre ces deux sentiments d'un même homme, non pas pour le plaisir de le mettre en contradiction avec son passé, mais parce qu'on s'est prévalu quelquefois de l'opinion émise en dernier lieu, sans songer à la première.

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L'historien protestant Schlosser convient que les Jésuites possédaient l'art si difficile et si important pour les sciences, d'attacher les élèves autant à leurs maîtres qu'à leurs études (2). Suivant un autre historien protestant, Léopold Ranke, « on observa que la jeunesse apprenait chez les Jésuites beaucoup plus en dix mois que chez les autres en deux ans ; des Protestants même rappelèrent leurs enfants des gymnases éloignés pour les confier aux Jésuites (3). »

Le cardinal de Beausset résumant en quelques pages fort sensées tout ce que d'autres ont pu écrire d'élogieux pour la Compagnie de Jésus, la venge des calomnies et des persécutions auxquelles elle fut toujours en

(1) La Mennais, Réflexions, pag. 18.

(2) Histoire des Révolutions politiques et littéraires de l'Europe, au XVIe siècle, tom. I.

(3) Histoire de la Papauté pendant le xv1° siècle, tom. I.

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