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Voilà tout le crime des Jésuites : ils sont menaçants pour l'hérésie de Luther et de Calvin; ils ont forcé les prêtres de la Bavière à rentrer dans la sainte loi du célibat, et leur Collége de Rome est une pépinière de grands hommes. Montaigne ne dit aucun mal de cette Société; le panégyriste n'y voit que l'adresse cauteleuse de tyrans heureux.

On a inventé, de nos jours, contre un membre de la même Compagnie un impudent mensonge, que la presse a propagé, et qu'un ex-ministre n'a pas craint de porter à la Chambre des Pairs. Le 29 avril 1844, M. Passy imputait solennellement au P. Loriquet une phrase sortie on ne sait de quelle officine de mensonges, et au moyen de laquelle ce Religieux, passant à pieds joints par-dessus la République et l'Empire, aurait appelé Napoléon le marquis de Buonaparte, général en chef des armées de Sa Majesté Louis XVIII. En vain la première édition de l'Histoire de France publiée en 1814 s'arrêtait à 1789 et ne parlait pas de Bonaparte; en vain les éditions suivantes, à dater de la septième inclusivement, n'ont rien contenu de semblable à cette phrase saugrenue (1), tout en conduisant le récit jusqu'à des temps plus rapprochés de nous la bonne foi de certains hommes ne s'en est pas moins obstinée à propager ce mensonge avec un aplomb infiniment honorable. Le superbe dédain prodigué à un livre élémentaire qui fut, pendant de longues années, la seule Histoire de France qu'il y eût à mettre aux mains de la jeunesse, et que des abrégés plus étendus, plus prétentieux n'ont pu encore faire

(1) Voir là-dessus Henrion, Vie du P. Loriquet, pag. 328.

oublier, ce dédain assurément est peu de chose; le vaste champ où se met à son aise la calomnie, c'est cette admiration effrénée pour le héros qui eut à dévorer en tombant les injures les plus ignobles, de la part même de certains ingrats, ou de certains partis qui reprochent à d'autres de ne l'avoir pas assez admiré.

Au reste, le P. Loriquet avait composé, en 1803, quelques vers à la louange de Napoléon, premier consul; ils prouvent assez que ce Religieux n'avait aucun parti pris contre le grand capitaine (1). Si depuis lors il le jugea avec sévérité, il ne fit en cela que devancer le jugement de plusieurs contemporains illustres. Ainsi, il regrette que Napoléon n'ait pas ambitionné le rôle de Monck; mais Lamartine a dit :

Ah! si, rendant le sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,

Tes mains des saints tombeaux avaient lavé l'affront;
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadême,

L'histoire aurait sacré ton front!

Il flétrit du nom d'assassinat la mort du duc d'Enghien. Lamartine encore s'est écrié :

La gloire efface tout, tout, excepté le crime.
Mais son doigt me montrait le corps d'une victime:
Un jeune homme, un héros, d'un sang pur inondé.
Le flot qui l'apportait passait, passait sans cesse,
Et toujours, en passant, la vague vengeresse

Lui jetait le nom de Condé.

(1) Henrion, ibid., pag. 339.

Il dit que Napoléon, ce grand moissonneur d'hommes, mérita, aussi justement qu'Attila, le nom de fléau de Dieu. Mais l'historien le dit-il avec autant de vigueur que le poète? On connaît cette strophe de Victor Hugo:

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au loin un poison voyageur;

Quand l'ouragan mugit, quand les monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.

Et si, lassant enfin les clémences célestes,

Le monde à ces signes funestes

Ose répondre en les bravant,

Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaississant la proie,

Paraît comme un fléau vivant.

Il préconisait la dynastie des Bourbons; mais l'auteur des Messéniennes a dit, lui aussi :

Nous aimerons bientôt ceux qu'ont aimés nos pères ;
Ils sont nés parmi nous, et nos rois sont nos frères.
Leurs aïeux aux combats ont conduit nos aïeux.....
Soldats, le Ciel prononce; il relève le lis :
Adoptez les couleurs des héros de Bouvines,
En donnant une larme au drapeau d'Austerlitz.

Mme de Staël avait appelé Bonaparte un Robespierre à cheval, et le Journal des Débats se plaisait à répéter ce mot en 1814 (1). Le même journal reproduisait avec amour l'écrit de Buonaparte et des Bourbons, par M. de

(1) Voir le n° du 5 avril et celui du 9.

Châteaubriand, et l'Empereur tombé n'était plus qu'une bête féroce (1), un grand scélérat, l'effroi et le tyran de sa propre famille, un monstre que l'humanité rejetait (2), un nouvel Attila, une sorte de Barbare du vo siècle (3). Enfin, ce journal qui imputait au P. Loriquet, il y a peu de temps encore, la fameuse phrase que nous avons dite, traça jadis le portrait de Napoléon avec des couleurs qui n'ont été dépassées par aucune satyre :

• Pendant quinze années, disait-il, le génie du mal a régné sur la France, et il a eu de nombreux adorateurs. La peur et la bassesse ont fait un dieu d'un fléau, d'un monstre. De grands moyens confiés aux mains de Buonaparte ont été employés par lui à faire de grandes. folies et à commettre de grands crimes..... Disons-le franchement, Buonaparte n'avait rien de grand que sa perversité, sa déraison et son mépris féroce pour l'humanité son génie, sa puissance, ses succès, sa gloire, tout est là.... Nous serions à jamais indignes de sentir, d'admirer la véritable grandeur, si nous persistions à la voir dans cette suite d'accès de folie furieuse, qui composent le règne de Buonaparte.... Nous ne pouvions ignorer combien son ame était petite, faible, susceptible de superstitions et de terreurs; son esprit faux, déréglé, bizarre; ses connaissances incertaines et mal digérées; son langage bas et grossier, ses manières ignobles et ses mœurs indécentes. Quelque jour, sans doute, un nouveau Suétone rassemblera ces anecdotes privées, ces détails de vie intérieure qui, dépouillant

(1) Journal des Débats, 27 avril 1814.

(2) Ibid., 6 mai 1814.

(3) Ibid., 16 mai.

le prince de son appareil usurpé de grandeur et d'éclat, mettront l'homme à nu, et feront voir à tous les yeux sa petitesse et sa difformité naturelles. Chacun alors pourra se convaincre que le prétendu héros, le faux demi-dieu n'avait pas même en lui, hors ses vices, les facultés d'un homme ordinaire, et que la France a fléchi le genou, a tremblé devant un misérable qui eût été le rebut de l'humanité, s'il n'en avait dû être le fléau.... Il voulut achever l'antique demeure de nos rois, mais ce fut par un sot orgueil, ce fut pour souiller tous les murs du Louvre de son effigie, de son écusson et de son chiffre, ridiculement prodigués.... Les hommes doivent maudire éternellement le plus grand massacreur et le plus grand avilisseur d'hommes qui ait jamais existé. Enfin, le voilà traduit au tribunal vengeur de l'histoire, et l'y voilà traduit de son vivant. C'est un supplice que n'ont point subi les autres tyrans; on dirait que Dieu, qui le lui réservait, lui a inspiré cette lâcheté qui nous a tous confondus (1). »

En vérité, l'on est bien en droit de prendre contre d'autres la défense de Napoléon, lorsque, dans une feuille qui est restée aux mains de la même famille, on a jeté toute cette boue sur la mémoire d'un grand homme déchu.

Passons à d'autres exemples.

Dans son Cours d'histoire et de morale, l'académicien Daunou, à propos du 18 brumaire et des scènes de l'Orangerie de Saint-Cloud, parlait de l'attentat, de l'usurpation d'un soldat ambitieux; il parlait de l'oppres

(1) 27 avril 1814.

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