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des hommes, puisque l'Evangile n'en est pas, suivant le mot de Fontenelle, n'arrive pas, à beaucoup près, au degré de spiritualité qu'exigerait la délicatesse d'un romancier. Le Christianisme ne doit-il pas désespérer de satisfaire jamais un moraliste qui ne trouve nulle saveur à l'Imitation de Jésus-Christ, et détourne avec dédain ses lèvres de cette coupe d'amertume et de mort?

Mais aussi l'Imitation de Jésus-Christ, triste ouvrage d'un moine du moyen-âge, ne présente aucune de ces pures maximes que l'on a l'avantage de rencontrer dans les colonnes du journal où l'on met une digue au flot impur. Ce n'est pas, en effet, un moraliste vulgaire qui dirait avec cette grâce enjouée: «Dans le siége qu'il fit d'un jeune cœur d'Opéra, défendu par une mère intraitable, UN DE NOS AMIS eut à dépenser 25,000 francs de femmes de chambre; on est toujours forcé de dépenser 25,000 francs, mais en femmes de chambre ce sont les cas les plus rares (1). » Ce n'est pas non plus un moraliste vulgaire qui dirait avec cette sagesse profonde :

L'Opéra, c'est le dernier vestige d'aristocratie, le dernier vice qui nous reste de nos vices; or, quand des vices sont élégants, et bien faits, et inoffensifs, une grande ville doit y tenir presque autant qu'à des vertus (2). >>

Les amis du romancier que nous avons vu si dégoûté de l'Imitation, nous ont donné de cet écrivain un portrait qui explique à merveille ses antipathies. Et, en effet, dit-on, M. Sue est simple et ne pose jamais,

(1) Constitutionnel, 24 nov. 1844, feuilleton. (2) Journal des Débats, 13 juillet 1832.

qualité rare chez les artistes célèbres de notre temps. C'est une nature à la fois pleine de franchise et de finesse, de bonhomie et de tact. Il est homme du monde, aimable et recherché, spirituel et d'un caractère gai. Nous le croyons d'humeur galante, et nous soupçonnons que, voyageur et coureur d'aventures, il a dû étudier un peu les questions d'amour chez tous les peuples et dans toutes les langues humaines. Il a l'ail créole, par moment très-vif, par moment voilé, le regard observateur. Ses sourcils noirs et épais terminent des arcades très-prononcées. Le front moyen présente le développement des organes de la causalité et de la comparaison jointes à toutes les facultés de l'artiste. Le nez est fin et délié, avec les narines bien ouvertes. Les lèvres, nettement dessinées, ont de l'accent et annoncent de la passion. La chevelure a de l'abondance et de la force; le teint est très-brun, doré. La taille est élevée, un peu replète. La démarche, l'ensemble expriment une certaine mollesse unie à beaucoup de vigueur et de sang. On dirait d'un hercule créole.

M. Eugène Sue habite, dans les hauteurs du faubourg St-Honoré, une petite maison tapissée de lianes et de fleurs, qui font voûte au péristyle. Son jardin est amoureusement arrangé, frais et parfumé; un jet d'eau bruit au milieu de roches et de joncs. Une longue galerie fermée, tapissée de sculptures et de plantes, conduit de la maison à une petite porte extérieure, toute dérobée sous un rocher artificiel. Le logement se compose de très-petites pièces, un peu étouffées, tenues obscures par les lianes et les fleurs pendantes aux fenêtres. L'ameublement est rouge à clous d'or ; la chambre à coucher seule est plus claire et bleuâtre. Les meu

bles, très-nombreux, s'entassent, non sans confusion, entre d'épaisses tentures. Il y en a un peu de tous les styles, gothique, renaissance, fantaisies françaises. Le salon est rocaille. Les murailles sont cachées par les objets d'art, bahuts, curiosités diverses, peinture et sculpture; portraits de famille, œuvres magistrales, œuvres des artistes modernes, ses amis. Des vases précieux, dons des amitiés féminines, couvrent les consoles. Un tableau occupe une place privilégiée, sur un chevalet, au milieu des coquetteries du salon. C'est un anachorète d'Isabey, d'un effet terrible, contraste remarquable dans ce petit temple de la volupté. De tout cela sort un parfum doux, où se distingue la saine odeur des cuirs de Russie.

En parcourant cette demeure, que la main d'un ami nous ouvrait pendant l'absence du propriétaire, nous devinions bien des traits de son caractère : la passion du luxe et des plaisirs bruyants, avec des retours vers la retraite et la méditation; le goût éclairé des beaux-arts, l'attrait pour les obscurités raffinées, l'amour des animaux et des plantes.

Il y a évidemment deux phases dans l'existence de M. Eugène Sue. La première est achevée; la seconde commence avec honneur. En lui, il y a deux hommes : le premier, aventureux et insouciant, même dans ses écrits, de belle humeur, préoccupé de bien vivre, exclusivement adonné au monde et à ses pompes; le second, laborieux, méditatif, préoccupé de l'idée, dévoué au peuple, aux ames souffrantes, à l'humanité (1). »

(1) Démocratie pacifique, nov. 1844.

Assurément, lorsqu'on est ainsi fait, on a bien quelque droit à s'élever contre la morale relâchée des Casuistes et à recevoir la médaille de la Démocratie pacifique.

C'est le Journal des Débats qui s'est empressé, le premier, parmi toutes les feuilles françaises, d'accueillir les pamphlets d'un protestant de Strasbourg contre l'enseignement que les évêques de France donnent aux jeunes lévites dans les Séminaires diocésains. C'est aussi de la même tribune que sont descendues bien souvent les paroles les plus aggressives et les plus hautaines contre les Religieux de la Compagnie de Jésus. En cet état de choses, il est curieux et utile de s'enquérir du degré d'estime auquel sont arrivés des censeurs si austères dans la théorie et si braves à l'œuvre. Nous laisserons toutefois à d'autres journaux le soin de faire connaître quel respect on professe pour l'indépendance et la vertu de celui-ci. Mais comme il faut se borner dans un si beau sujet, nous nous contenterons de peu. Voici d'abord le Siècle, qui n'y va pas de main

morte :

« Le Journal des Débats, dit-il, flagorne les révolutions, tant que la puissance populaire est en action; mais, dès que la constitution est établie et que le peuple est retourné aux travaux par lesquels il fait vivre la société, le Journal des Débats se moque de la souve raineté nationale, qui ne donne ni croix, ni places, ni subventions (1). »

Si ces paroles ont un sens, une portée quelconque, on comprendra de reste que la théologie de nos évê

(1) Le Siècle, 26 oct. 1844.

ques n'ait pas le don de plaire aux écrivains des Débats, et leur semble effrayante de relâchement. Mais voici bien autre chose. Le Ministre de l'instruction publique ayant demandé aux professeurs du Collège de France de rappeler à l'ordre l'un d'entre eux, M. Quinet, dont les leçons passaient insensiblement des questions religieuses aux questions politiques, le Journal des Débats se mit au service de la pensée ministérielle, et y alla de si bon train, que la colère des feuilles démocrates s'alluma et fit explosion. Le National disait : « Nous n'aurons pas la naïveté de nous étonner que les Débats attaquent le lendemain ce qu'ils ont défendu la veille, et qu'ils menacent aujourd'hui MM. Michelet et Quinet, après les avoir applaudis hier. Est-ce donc une chose si étrange et si curieuse? Une palinodie de plus ou de moins dans une si longue carrière de palinodies, cela doit-il surprendre? Y a-t-il en France d'assez honnêtes gens pour chercher à ce volte-face une autre raison que celle du vent qui souffle? Nous nous garderions bien d'essayer la moindre polémique, à ce sujet, avec cette feuille d'Arlequin.

• Si vous vous adressez à M. de Sacy, c'est le dévot Michel Chevalier qui vous répond. Vous croyez avoir en face le pourfendeur de Jésuites, M. Cuvillier-Fleury, pas du tout : c'est un certain italien qui est derrière la toile. Alors, à quoi bon discuter? Quand les Débats voudront changer de thème, ils prieront l'exécutant d'avant-hier de se mettre au clavier, et l'un des rédacteurs vous prouvera parfaitement que son collègue n'a pas le sens commun (1). »

(1) National, 17 juillet 1845.

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