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Dimanche, à 5 heurs de soir.

J'EUS hier la visite du grand-papa, j'avois du monde chez moi, des Allemands, des Evêques; il fut de fort bonne conversation; il rapporta l'affaire de M. de Guignes comme auroit pu faire l'Avocat Général. Le Roi a consenti que l'on communiquât aux juges les dépêches qui peuvent prouver en faveur de M. de Guignes. Son mémoire ne paroît point encore; il vouloit attendre que le second de Tort parût, et celui-ci ne veut point le donner que M. de Guigues n'ait donné le sien. Tous le monde s'intéresse à cette affaire, les uns par amitié, et les autres par curiosité.

Le procès de M. de Richelieu fait un effet tout différent; il est si ridicule, qu'on ne s'en occupe que pour s'en moquer. Mad. de St. Vincent l'attaque pour rapt, de séduction et subornation de témoins: elle avoit quarante ans quand elle prétend avoir été séduite, et lui soixante-quinze ans quand il l'a séduite. Ses meilleurs amis ne peuvent s'empêcher d'en pleurer et d'en rire.

La grand'maman soupa chez moi avec le grand Abbé; en me me mettant à table, je trouvai sur mon assiette quantité de cho

ses; je ne s'avois ce que ce pouvoit être ; c'étoient six coquetiers d'argent et un d'or, les plus jolis du monde. Ce présent ne m'a point plu; premièrement, parce que c'étoit un présent, et secondement, parce qu'il n'est bon à rien. Notre soirée se passa fort doucement; la grand'maman est la vertu personnifiée. La vertu a étouffé en elle la nature; je ne sais si elle en est plus heureuse, mais elle en est certainement moins gaie et moins naturelle.

Remarquez, je vous prie, que cette lettre vous sera rendue par l'Ambassadeur, et que je ne parlerois pas si librement, si elle étoit confiée à la poste.

Je ne sais si c'est la vieillesse qui me donne de l'humeur et qui me rend difficile.

Mardi.

J'EUS hier le tête-à-tête que je vous avois annoncé (3); il ne fut pas gai, mais il fut intéressant, et m'auroit appris, si je ne l'avois pas su, qu'il y a des situations plus fâcheuses la mienne. J'allai ensuite rendre une visite à l'hôtel de Choiseul. Ce n'est point là encore où l'on doit trouver le bonheur. Pour moi, je

que

(3) With Mad, de Jonsac.

crois qu'il s'est retiré à Strawberry-hill. Croyezvous en effet le quitter pour quelques momens? Je ne saurois me persuader que vous exécutiez le projet que vous faites. Vous avez manqué le tems où il vous auroit été agréable. Milord Stormont est persuadé que vos parens reviendront ici, qu'ils s'y sont beaucoup plu; et pour lui, loin de s'y déplaire, il se flatte d'y rester fort long-tems et je ne doute pas que cela ne soit, s'il ramène sa Milady (4).

Je n'appris rien hier de nouveau. Je suis honteuse de la longueur de cette lettre et de son insipidité.

LETTRE CCXVII.

Mardi, 4 Avril, 1775.

JE courus hier un fort grand danger: entre sept et huit heures du matin le feu prit à la cheminée de mon antichambre avec une telle furie, que les flammes sortirent jusqu'au milieu de la chambre et montèrent jusqu'aux bras de la cheminée, brûlèrent les cordons des son

(4) Lady Harriet Stanhope.

nettes, et si la cheminée s'étoit crevée, il est très-vraisemblable que non-seulement mon appartement, mais tout le corps de logis auroit été brûlé. Heureusement la cheminée est de brique, et le prompt secours qu'on apporta fit que le danger dura peu, et n'a même causé aucun dommage; les maçons qui travaillent dans la cour furent d'un grand secours, et les pompiers qui ne tardèrent pas à arriver, mirent fin à ce terrible accident; le pauvre Wiart en a un peu souffert, il a eu un bras un peu brûlé, et une partie de sa redingote. Ce fut au moment que je m'éveillai que l'accident arriva; je me levai bien vite et descendis chez Mademoiselle Sanadon. Mes gens étoient dans la plus grande terreur; et ce qui vous surprendra, c'est que je ne fus point effrayée; ce ne fut point par courage, mais par insensibilité; je ne puis pas me rendre raison à moi-même de cette disposition; le danger me paroissoit évident, je disois même qu'il falloit mettre en sûreté tout ce qu'on pourroit sauver ; je pensois un peu au parti que je prendrois, et dans ce moment-là tout me paroissoit égal. Rendez-moi raison. de cela si vous pouvez; pour moi je l'attribue à ce changement que je vous ai annoncé que vous trouveriez en moi, qui est bien plus l'effet

de mon âge que de mes réflexions. J'avois été toute la veille dans un grand affaissement.

Les lettres de M. d'Aiguillon, dont le recueil a pour titre Correspondance de M. le Duc d'Aiguillon, au sujet de l'affaire de M. le Comte de Guignes et du Sieur Tort, et autres intéressés pendant les années 1771, 2, 3, 4, et 5, est la plus ennuyeuse chose du monde. J'en ai lu soixante-cinq pages, il y en a deux cent vingt-trois. Jusqu'à cette page on ne peut en rien conclure; je vous enverrai cette brochure avec les autres pièces du procès; mais j'attendrai une occasion. Je trouve le pauvre M. de Guignes bien à plaindre.

Je suis bien de votre avis, je ne sais pas comment il se peut trouver des Juges, parce qu'il me paroît impossible de s'assurer de la vérité; on ne voit que des masques, on n'entend que des mensonges; il est étonnant qu'on soit attaché à la vie; je doute qu'il y ait aucun individu (si ce n'est mon petit chien) pour qui elle soit heureuse; encore voudroit-il se marier, et l'on ne lui donne point de femme.

Je vous ai mandé que je perdrois mes parens (1) le Lundi de pâque; cet accident est

(1) The Duke and Duchess of Choiseul.

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