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LETTRE & Hiftoire Galante de M. Vergier, à Madame d'H*** 1691.

J

'Etois fort embarraffe, Madame, à trouver quelque fujet de Lettre, qui put vous amufer un moment à la campagne, où vous êtes, & où je crois que vous ferez encore quelque temps; je m'étois plufieurs fois frotté le front, & très-inutilement pour exciter mon imagination, lorfqu'une avanture arrivée près d'ici m'a tité de peine; je n'en fuis fait raconter très-particulierement toutes les circonstances, afin de pouvoir vous l'écrire plus au long, & remplir dautant le papier. La voici.

coin

Après le Siege de Philifbourg, mandé par Monfeigneur en 1688. Je prens, comme vous le voyez, la chofe d'un peu loin. Le Marquis de Kerland, jeune Seigneur de Baffe Bretagne, qui avoit fait cette campagne en qualité de volontaire, fut obligé de quitter Paris, où il avoit réfolu de paffer l'Hiver pour aller folliciter un procès important au Parlement de Rennes. Le Baron de Sinville, jeune Seigneur de Normandie, avec lequel il venoit de lier à l'armée

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ane amitié très-étroite, devant s'en retourner auffi chez lui, avança fon voyage de quelques jours pour profiter de la compagnie de fon ami; car l'endroit de Normandie, où font fituées les terres du Comte de Sinville, pere du Baron, font peu éloignées du chemin, que devoit tenir le Marquis de Kerland pour aller en Bretagne. Leur voyage fe paffa gayement, & ne fit que redoubler leur amitié; mais enfin ils arriverent au lieu où leurs chemins fe feparoient, & le Baron de Sinville ne pouvant s'y réfoudre fitôt, invita le Marquis à venir fe délaffer chez lui, & y paffer quelques jours le Marquis, qui de fon côté avoit beaucoup de peine à fe feparer de fon ami, confentit à cette propofition d'au tant plus volontiers, que cela ne le détournoit que de deux lieuës. Enfin les y voilà arrivez, & voilà le Marquis de Kerland, prefenté fuivant le ceremonial ordinaire, au Comte & à la Comteffe de Sinville, pere & mere du Baron; mais tout n'eft pas encore achevé pour lui, & il lui refte un pas bien dangereux à faire.. Le Baron avoit une fœur qu'il falloit faluer auffi cette Demlle âgée de 18 ans étoit, & à juste titre, l'amour & l'admiration de toute la Province, & il n'y avoit perfonne dans le pays qui eut un

cœur.

cœur, & qui l'eut vûë, qui n'en fut éperdument amoureux; elle s'étoit confervée libre au milieu de tout cela; mais voici fon heure qui approche. Le Baron après avoir prefenté fon ami au Comte & à la Comtefle, le mena dans l'appartement de fa fœur, & le lui prefenta; le Marquis la vit, & comme tous les autres il l'aima, mais ce que les autres n'avoient pû faire, dès l'inftant il s'en fit aimer.

Tous les cœurs font faits pour aimer, Si quelqu'un pour un temps differe à s'enflam

mer,

C'est qu'il ne trouve rien digne de fa tendreffe-
Certain merite à fes yeux presenté,
Vaincra dans l'inftant fa fierté,

Et ce que l'on appelle insensibilité,
N'eft fouvent que délicateffe.

Jamais ardeur ne fut plus promptement conçuë de part & d'autre, ni de part & d'autre plus promptement expliquée. Le Marquis jeune & hardi declara dès le même jour à Madle de Sinville l'effet que fa premiere vûe avoit produit dans fon cœur, & Made de Sinville que des paffions précedentes n'avoient point inftruite à cacher celle qu'elle venoit de concevoir, pour fe donner le temps

d'éprou

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d'éprouver fon Amant, & pour ne le dégouter pas par une conquête trop facile, lui lafla bien tôt voir tout ce qu'elle Ieflentoit pour lui enfin les chofes allerent fi vite, que trois jours après cn parla de mariage : le Marquis de Kerland étoit un parti confiderable, ainfi fes demandes ne trouverent aucun obftacle auprès du Comte & de la Comteffe de Sinville, & il ne s'agiffoit plus pour achever le grand ouvrage, que de proceder aux formalitez neceffaires, comme étoient le confentement des parens & des Tuteurs du Marquis, encore mineur; & en attendant, ce n'étoient que bals, cadeaux & autres fêtes femblables, vains & Jegers amusemens pour deux perfonnes, qui s'aiment, qui ne cherchent qu'elles mêmes, & qui languiffent après le mo、 ment, qui doit les unir; mais ce moment qu'on croyoit fort proche, fe trouva bien éloigné le Comte de Sinville avoit un parent en Bretagne, qui apprenant le mariage qu'il alloit faire, lui donna avis que le Marquis de Kerlard, auparavant un des plus riches Seigneurs du pays, venoit de perde au Parlement de Rennes un procès qui le ruinoit entierement ; & cet avis lui ayant été confirmé de plufieurs autres endroits, il declara fans detour au Marquis qu'il ne pouvoit plus

ache

achever le mariage propofé, & lui e dit la raifon : il le pria même de vouloi bien fe retirer chez lui, & n'entreteni point par la prefence dans le coeur de f fille une tendreffe déformais inutile, & qui ne pourroit plus fervir qu'à la ren dre malheureufe. Figurez-vous, Mada me, dans quel defespoir cette declara tion jetta nos Amans; figurez-vous aussi quels furent leurs adieux; car ce font des états & des mouvemens que l'on ne fçauz roit décrire fans les rendre froids & languilfans, & c'eft aux Lecteurs tendres & fenfibles à y fuppléer par leurs propres fentimens tout ce que j'ajoûterai aux chofes touchantes que vous aurez imaginées fur cela, eft qu'ils fe promirent de s'aimer éternellement, & de fe réunir dès que la fortune leur en prefenteroit l'occafion; car ces deux circonftances font effentielles à l'Hiftoire ; cependant il fallut quitter dès le même jour que le Marquis eut reçû cette declaration; il s'en alla chez lui, où il donna autant que le défordre de fon cœur le lui permettoit, quelques foins à fes affaires; mais peu de temps après ne pouvant réfifter à l'impatience de revoir la maîtreffe, il retourna en Normandie, ou par cent déguifemens, & par cent ftratagêmes il tenta vainement de l'enlever

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