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Il y a aujourd'hui en Europe une impoffibilité morale de faire des conquêtes; & de cette impoffibilité il eft jufqu'à préfent réfulté pour les peuples plus d'inconvéniens, peut-être, que d'avantages. Quelques Légiflateurs fe font négligés fur la partie de l'adminiftration qui donne de la force aux Etats; & on a vu de grands royaumes fous un ciel favorable, languir fans richeffes & fans puiffances.

D'autres Législateurs n'ont regardé les conquêtes que comme difficiles, & point comme impoffibles, & leur ambition s'eft occupée à multiplier les moyens de conquérir; les uns ont donné à leurs Etats une forme purement militaire, & ne laiffent prefque à leurs fujets de métier à faire que celui de foldat; d'autres entretiennent même en paix des armées de mercenaires, qui ruinent les finances & favorisent le defpotifme; des magiftrats & quelques liteurs feroient obéir aux loix, & il faut des armées immenfes pour faire fervir un maître. C'eft-là le principal objet de la plupart de nos Législateurs; & pour le remplir ils fe voyent obligés d'employer les tristes moyens des dettes & des impôts.

Quelques Législateurs ont profité du progrès des lumieres qui depuis cinquante années fe font répandues rapidement d'un bout de l'Europe à l'autre; elles ont éclairé fur les détails de l'adminiftration, fur les moyens de favorifer la population, d'exciter l'induftrie, de conferver les avantages de fa fituation, & de s'en procurer de nouveaux. On peut croire que les lumieres confervées par l'imprimerie, ne peuvent s'éteindre, & peuvent encore augmenter. Si quelque defpote vouloit replonger fa nation dans les ténebres, il fe trouvera des nations libres qui lui rendront le jour.

Dans les fiecles éclairés, il eft impoffible de fonder une légiflation fur des erreurs; la charlatanerie même & la mauvaise foi des miniftres font d'abord apperçues, & ne font qu'exciter l'indignation. Il est également difficile de répandre un fanatifme deftructeur, tel que celui des difciples d'Odin & de Mahomet; on ne feroit recevoir aujourd'hui chez aucun peuple de l'Europe des préjugés contraires au droit des gens & aux loix de la nature.

Tous les peuples ont aujourd'hui des idées affez juftes de leurs voisins, & par conféquent ils ont moins que dans les temps d'ignorance l'enthoufiafme de la patrie, il n'y a guere d'enthousiasme quand il y a beaucoup de lumieres; il eft prefque toujours le mouvement d'une ame plus paffionnée qu'inftruite; les peuples en comparant dans toutes les nations les loix aux loix, les talens aux talens, les mœurs aux mœurs, trouveront fi peu de raison de fe préférer à d'autres, que s'ils confervent pour la patrie çet amour, qui eft le fruit de l'intérêt perfonnel, ils n'auront plus du moins cet enthousiasme qui eft le fruit d'une eftime exclufive.

On ne pourroit aujourd'hui par des fuppofitions, par des imputations, par des artifices politiques infpirer des haines nationales auffi vives qu'on en infpiroit autrefois; les libelles que des voifins publient contre un

Etat ne font guére d'effet que fur une foible & vile partie des habitans d'une capitale qui renferme la derniere des populaces & le premier des peuples.

La religion de jour en jour plus éclairée, nous apprend qu'il ne faut point hair ceux qui ne penfent pas comme nous; on fait diftinguer aujourd'hui l'efprit fublime de la religion, des fuggeftions de fes miniftres; nous avons vu de nos jours les puiffances proteftantes en guerre avec les puiffances catholiques, & aucune ne réaffir dans le deffein d'inspirer aux peuples ce zele brutal & féroce qu'on avoit autrefois l'un contre l'autre, même pendant la paix, chez les peuples de différentes fectes.

Tous les hommes de tous les pays fe font devenus néceffaires pour l'échange des fruits de l'induftrie & des productions de leur fol; le commerce eft pour les hommes un lien nouveau, chaque nation a intérêt aujourd'hui qu'une autre nation conferve fes richeffes, fon induftrie, fes banques, fon luxe & fon agriculture; la ruine de Leipfick, de Lisbonne & de Lima, fait faire des banqueroutes fur toutes les places de l'Europe, & a influé fur la fortune de plufieurs millions de citoyens.

Le commerce, comme les lumieres, diminue la férocité, mais auffi comme les lumieres ôtent l'enthoufiafme d'eftime, il ôre, peut-être, l'enthousiasme de vertu; il éteint peu à peu l'efprit de défintéreffement, qu'il remplace par celui de juftice; il adoucit les mœurs que les lumieres poliffent; mais en tournant moins les efprits au beau qu'à l'utile, au grand qu'au fage, il altere, peut-être, la force, la générofité & la nobleffe

des mœurs.

De l'efprit de commerce & de la connoiffance que les hommes ont aujourd'hui des vrais intérêts de chaque nation, il s'enfuit que les Légiflateurs doivent être moins occupés de défenfes & de conquêtes qu'ils ne l'ont été autrefois; il s'enfuit qu'ils doivent favorifer la culture des terres & des arts, la confommation & le produit de leurs productions, mais ils doivent veiller en même temps à ce que les mœurs polies ne s'affoibliffent point trop & à maintenir l'eftime des vertus guerrieres.

Car il y aura toujours des guerres en Europe, on peut s'en fier là-deffus aux intérêts des miniftres; mais ces guerres qui étoient de nation à nation ne feront fouvent que de Législateur à Légiflateur.

Ce qui doit encore embrafer l'Europe c'eft la différence des gouvernemens; cette belle partie du monde eft partagée en républiques & en monarchies : l'efprit de celles-ci eft actif, & quoiqu'il ne foit pas de leur intérêt de s'étendre, elles peuvent entreprendre des conquêtes dans les momens où elles font gouvernées par des hommes que l'intérêt de leur nation ne conduit pas; l'efprit des républiques eft pacifique, mais l'amour de la liberté, une crainte fuperftitieufe de la perdre, porteront fouvent les Etats républicains à faire la guerre pour abaiffer ou pour réprimer les Etats monarchiques; cette fituation de l'Europe entretiendra l'émulation des vertus

fortes & guerrieres; cette diverfité de fentimens & de mœurs qui naiffent de différens gouvernemens, s'oppoferont au progrès de cette molleffe, de cette douceur exceffive des mœurs, effet du commerce, du luxe & des longues paix.

LÉGISLATIF, LÉGISLATIVE, adj.

DU POUVOIR LÉGISLATIF, ET DE L'OBÉISSANCE QUI LUI EST DU E.

1. Origine & caractere du pouvoir législatif & des loix qui en

LES

émanent.

ES paffions bien réglées font néceffaires à la confervation de l'homme, mais les paffions déréglées tendent à fa deftruction totale. La colere en veut à fa vie, l'ambition à fa liberté, l'avarice à fes biens, l'envie à fon mérite ou à fes fuccès, la concupifcence à fon honneur & à fa vertu. Il a donc fallu armer la juftice & la raifon contre les paffions déréglées, & c'est ce qu'on a exécuté en leur oppofant l'ordre politique, comme une barriere contre la fureur de leurs attaques. Les hommes avoient befoin d'un frein, & les loix font venues au fecours de leur foible raison.

L'Etat eft un corps moral qui n'a qu'une seule volonté; il eft par conféquent néceffaire qu'il y ait des marques certaines à quoi les êtres phyfiques qui compofent ce corps moral, qui font partagés en divers fentimens, & qui ont diverfes inclinations, puiffent reconnoître la volonté fuprême du corps à laquelle ils doivent réunir la leur. L'intérêt public a voulu que le fouverain réglât ce que chaque particulier doit regarder comme fien ou comme appartenant à autrui, ce que chaque citoyen doit tenir pour jufte ou pour injufte; jufqu'à quel point il conferve fa liberté naturelle; & comment il doit ufer de fes droits, pour ne pas troubler l'ordre public.

La majefté fouveraine doit être non-feulement ornée de la puiffance des armes, mais armée de la juftice des loix, afin que, dans l'un & dans l'autre temps de la guerre & de la paix, l'Etat foit maintenu dans la fplendeur (a). Il n'eût pas fuffi que le prince ou les magiftrats qu'il établit, décidaffent les affaires felon l'ufage. Il a fallu que l'Etat eût des regles générales de conduite, afin que le gouvernement fût conftant & uniforme.

Telle eft l'origine du pouvoir de porter des loix, d'en faire de nouvel

(a) Imperatoriam majeftatem non folùm armis decoratam, fed etiam legibus oportet effe armatam, ut utrumque tempus & bellorum & pacis rectè possi gubernari. Préf. des Inftit de Juftinien.

les, & d'abroger les anciennes ; c'eft une propriété effentielle à la fouveraineté. Il est également jufte & néceffaire que le prince en foit le maître, comme le pilote l'eft du gouvernail qui deviendroit entiérement inutile, s'il ne lui étoit permis de le tourner fuivant la difpofition des vents. S'il falloit chaque fois demander les avis de ceux qui font dans le vaiffeau il feroit plutôt fubmergé que l'on n'auroit pû les confulter.

Ce pouvoir législatif n'existe que dans la puiffance fouveraine. Si les coutumes que les besoins établiffent infenfiblement dans les différentes parties d'un Etat, peuvent être regardées comme des loix, ce n'eft que parce que la perpétuité de leur obfervation fait préfumer qu'elles font connues du fouverain, & que n'en ayant pas arrêté le cours, il eft censé leur avoir imprimé l'autorité de la loi par un confentement tacite.

On appelle donc loix les ordonnances, par lefquelles le fouverain prefcrit à tous les citoyens en général & à chacun d'eux en particulier, la maniere dont ils doivent fe conduire pour l'intérêt du corps entier, & par conféquent pour celui de chacun de fes membres.

Cicéron dit que de très-favans hommes définiffoient la loi une premiere raifon imprimée dans la nature, qui prefcrit les chofes à faire & qui défend celles à éviter, & il ajoute de, fon chef, que cette même raifon, quand elle a reçu fon accroiffement & fa perfection dans l'efprit de l'homme eft la loi (a).

Elle eft la regle, cette loi, de toutes les actions des hommes, elle est inflexible & inexorable (b), au lieu que les volontés des hommes font variables & incertaines; elle eft fans intérêt comme fans paffion, fans tache & fans corruption; elle parle, fans déguisement & fans flatterie; elle raffemble les lumieres les plus pures de la raifon, elle fuit les principes de l'équité naturelle, elle fait la gloire du fouverain & le bonheur du peuple.

La loi commande, défend, permet, punit, récompenfe. Elle commande le bien, elle défend le mal, elle permet ce qui eft indifférent, elle punit la tranfgreffion, elle récompenfe l'obéiffance. Puifqu'elle contient les regles des fociétes civiles,, il faut que fon autorité foit appliquée aux divers ufages qui doivent y former ou y maintenir l'ordre. Elle ordonne ce qu'on doit faire, elle défend les chofes dont on doit s'abftenir. Elle reftreint la liberté, foit qu'elle invite à l'obéiffance par l'attrait des promeffes, foit qu'elle y oblige par la crainte des menaces.

L'efperance & la crainte font les deux pôles fur lefquels tourne le genre humain; & les récompenfes & les peines, les deux fondemens du bonheur des fociétés civiles. C'est d'elles que les loix civiles tirent toute leur force.

(a) Ut iidem (doctissimi viri) definiunt; Lex eft ratio fumma infita in naturâ, quæ jubet ea qua facienda funt, prohibetque contraria. Eadem ratio, cum eft in hominis mente confer vata & confe&ta, lex eft. Cicer. de Legib. lib. 1.

(b) Lex furda & inexorabilis magiflra.

L'autorité publique ne fauroit être refpectée, fi les crimes demeuroient impunis, & il eft indifpenfable que le législateur foumette à des peines ceux qui contreviennent à fes loix & qui troublent l'ordre de la fociété. Mais fi les punitions font néceffaires, les récompenfes ne le font pas moins. Un fouverain ne doit laiffer aucune bonne action fans récompenfe, ni aucun crime fans punition. Quand je parle de récompenfe pour de bonnes actions," j'entends parler des fervices qu'un fujet rend à l'Etat, car un citoyen qui obferve tout fimplement les loix, fans rien faire au furplus pour fa patrie, s'abftient fimplement d'un crime & ne mérite aucune récompenfe; il évite uniquement d'être dans le cas de fubir une peine. S'il falloit donner des récompenses à ceux qui obfervent les loix, l'Etat rendroit à tous les particuliers comme récompenfe ce qu'il en auroit reçu à titre de taxe. Quand je parle auffi de peines, j'entends parler de celles qu'on inflige à quiconque viole les loix, & non de peines à impofer à quiconque néglige de rendre quelque fervice à fa patrie. Les loix ne font pas fi féveres, & nous verrons bientôt qu'elles laiffent en même-temps fans châtiment les péchés, les penfées, les paffions & les vices qui ne troublent pas extérieurement les fociétés civiles.

La loi n'eft pas toujours obligatoire, elle ne force pas toujours indifpenfablement à agir ou à ne pas agir, elle n'eft pas toujours conçue en termes impératifs ou prohibitifs. Le fupérieur de qui la loi émane, a droit de régler pofitivement toutes les actions extérieures de ceux qui dépendent de lui, il peut imposer la néceffité d'agir ou de ne pas agir d'une certaine maniere; mais aucun fupérieur n'exerce fon autorité avec cette rigueur, & il y a toujours un affez grand nombre de chofes par rapport à quoi il laiffe à chacun la liberté de faire ce qu'il juge à propos.

Cette liberté que le législateur laiffe, n'eft point une inaction de la loi, s'il eft permis de parler ainfi, c'eft une vraie action, c'eft un acte pofi tif, quoique tacite pour l'ordinaire, par lequel le législateur fe relâche de fon droit; c'est un effet auffi réel de la loi prife dans toute fon étendue. que l'obligation la plus forte & la plus indispensable: de forte que, com me les actions ordonnées ou défendues font réglées pofitivement par la loi, en tant qu'elle impofe une néceffité indifpenfable de faire les premieres & de s'abftenir des autres, les actions permises font auffi pofitivement réglées par la loi, à leur maniere & felon leur nature, en tant qu'elle laiffe une liberté qu'elle auroit pû ôter en tout ou en partie. Tout ce qui n'eft pas défendu par la loi, eft permis.

Les loix accordent quelquefois une permiffion expreffe ou à tous ceux qui font fous la puiffance du législateur, ou fimplement à quelques-uns. On trouve néanmoins bien rarement cette permiffion & dans les loix divines & dans les loix humaines; mais auffi n'eft-il point néceffaire qu'elle foit expreffe. Le filence du législateur fuffit pour donner lieu d'inférer une permiffion pofitive, Lorfque Dieu, qui feul peut régler toutes les actions

des

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